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13ème FESTIVAL CSF : VENDREDI 06 FÉVRIER 2015 - VÉRITÉS ET MENSONGES

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le mercredi 4 février 2015.


Orson Welles

France, Iran, Allemagne - 1973 - 1h25 - vostf

13ème Festival annuel autour du thème : Le cinéma sens dessus dessous, quand le 7ème art joue avec ses codes !

Déguisé en prestidigitateur, Orson Welles déclare, sur un quai de gare, face à la caméra de François Reichenbach, qu’il va dire toute la vérité sur Elmyr de Hory, l’un des plus grands faussaires au monde. Celui-ci peignait des Matisse, des Monet ou des Picasso, certifiés comme authentiques par les plus grands experts. Double équivoque du cinéaste, il rejoint la galerie des différents mystificateurs que Welles affectionne : Clifford Irving, son biographe, ou le milliardaire Howard Hughes, dont toute la vie apparaît comme une gigantesque illusion. Qu’il déguste un homard, qu’il parle de l’écroulement des civilisations devant la cathédrale de Chartres, ou qu’il fasse des tours de prestidigitation, Orson Welles reste égal à lui-même en dressant, avec humour, son testament, marqué par un secret désespoir...

« Que ce soit du documentaire ou de la fiction, le tout est un grand mensonge que nous racontons. Notre art consiste à le dire de sorte qu’on le croie. Qu’une partie soit documentaire ou une autre reconstituée, c’est notre méthode de travail, elle ne regarde pas le public. Le plus important est que nous alignons une série de mensonges pour arriver à une vérité plus grande. » (Abbas Kiarostami/« Cinéma de notre temps » 1994)

Article de Bruno Precioso :

Il n’est guère aisé d’imaginer plus grand créateur de mythes qu’Orson Welles : supposé avoir joué dans Samson et Dalila à l’opéra de Chicago à 3 ans, il aurait mis en scène un Roi Lear seul à 7 ans selon les termes d’une légende qu’il a largement forgée lui-même. C’est d’ailleurs par une mystification fondatrice que le jeune Welles se serait fait connaître nationalement : le 30 octobre 1938 à l’antenne de CBS, son adaptation de la Guerre des mondes aurait conduit à l’affolement une bonne partie de la côte Est des Etats- Unis convaincue d’un reportage véritable et d’une authentique attaque venue de l’espace... cette panique légendaire étant aujourd’hui elle-même remise en doute.

De la part de ce maître en manipulation donc, choisir pour ce qui sera finalement son dernier long-métrage (The dreamers étant resté inachevé) une réflexion sur les Vérités et mensonges est pour le moins piquant. D’autant que ce film « se rattache à l’art du conteur, mais en inverse le propos : au lieu de créer des légendes, Welles va s’appliquer à les démystifier. » si l’on en croit J.-C.Allais. Tout un programme…

« Je pense qu’un artiste doit toujours être en décalage avec son temps. » (O. Welles)

Il faut dire que le projet constitue une sorte d’affrontement de titans. Face à l’ogre Welles et à sa redoutable puissance artistique se tient un sujet à la mesure du cinéaste. Elmyr de Hory est un maître faussaire, de profession pourrait-on dire, et jusque dans la manière dont il a maquillé sa vie privée. Véritable peintre tout autant que faussaire authentique, il se forme en Bavière, dans une grande école d’art de Munich, avant d’intégrer à 20 ans en 1926 l’Académie de la Grande Chaumière à Paris, où il reçoit les cours de Fernand Léger. Son ambition de vivre de sa peinture se heurte aux bouleversements du siècle, et il traverse la deuxième guerre mondiale en Transylvanie, entre prison politique pour espionnage au service des Anglais et camp de concentration où le conduisent son statut de juif autant que son homosexualité. Précisons d’emblée que Elmyr de Hory a livré le roman de sa vie à son biographe, Clifford Irving (le livre parut en 1976 sous le titre Fake !). Le journaliste se fit à la même époque surtout connaître pour une biographie d’Howard Hugues en 1970… présentée comme une Welles dans Macbeth, 1948 autobiographie du magnat et cinéaste mais désavouée par l’intéressé. L’affaire paraissant trop simple, Elmyr de Hory prit soin de mentir au menteur Irving, prétendant descendre de la grande aristocratie catholique austro-hongroise - et omettant donc de préciser qu’il était le fils d’un épicier juif de Budapest, né en Egypte. La carrière de faussaire de de Hory commence en Amérique du Sud en 1946, où il exécute de faux dessins de Picasso pour son ami galeriste Chamberlain, qui le floue et l’abandonne. Après un passage par les Etats- Unis il s’associe au marchand d’art Legros, grâce auquel il entame un commerce de faux tableaux dont le succès attire sur lui l’attention d’Interpol. De retour en Europe en 1959 il s’installe à Ibiza mais l’étau se resserre. Le scandale des faux tableaux éclate, Elmyr et ses associés sont poursuivis. De Hory est arrêté, extradé en octobre 1968 et devient par son procès une célébrité mondiale. L’année suivante, après sa libération, Welles et Reichenbach lui rendent visite à Ibiza pour l’interroger dans le cadre d’un projet de film… Les dernières années sont dominées par d’incessantes demandes françaises d’extradition qui pousseront finalement Elmyr de Hory à chercher une porte de sortie à la hauteur du romanesque du reste de sa vie. Il meurt d’une overdose de somnifères le 11 décembre 1976.

Documentariste… et faussaire ?

L’enjeu du film n’est bien entendu pas de livrer une biographie de Elmyr de Hory, moins encore de l’héroïser en faisant de lui le centre mystérieux d’une fiction ; les personnages dont l’art consiste à truquer et à manipuler sont trop nombreux à partager l’affiche, de Hory et Irving autant que Hugues lui-même, maître en mystification. Si Welles, dans le vertige de ce jeu de poupées russes truquées à l’infini, finit par choisir Elmyr de Hory pour en faire le personnage central de son film, on est fondé à y voir une forme de révérence. Le film saisit en effet le faussaire comme une métaphore propre à interroger la création artistique. On sait depuis Zeuxis qu’en art, l’œuvre donne souvent à voir autre chose que ce qu’elle prétend représenter, et Platon a suffisamment fait le procès de cette technè plus propice à se perdre sur le chemin de la vérité qu’à y accéder finalement. Quel meilleur passeur pour continuer de questionner la création artistique qu’un menteur si doué qu’il rend indistinct vérités et mensonges même aux yeux des meilleurs experts ? Ou si l’on veut s’exprimer en langage cinématographique, fait se confondre fiction et documentaire…

D’ailleurs, les images qui construisent le récit pour réelles qu’elles soient sont elles-mêmes trompeuses : certaines sont de Welles, d’autres de Reichenbach, certaines font dialoguer des absents par la magie du montage ; les présents jouent des rôles porteurs de confusion, simultanément devant et derrière la caméra. Du film initial de Reichenbach Welles dévore tout pour en faire un monstre insaisissable, capable même d’intégrer ses concepteurs - et où chaque personnage joue son propre rôle, et joue pourtant. Comme l’écrit Luca Norcen, « Dans F for Fake (...) la ruse, le mensonge, la mascarade, réelle ou métaphorique ne sont pas seulement les thèmes du film, mais sont le film, son architecture énigmatique, sa logique... ».

Car la matière du film, c’est davantage que toute autre chose le montage, et sa capacité à créer ou transformer un matériau ; le montage qui structure Welles et sa compagne Oja Kodar le film par sa circularité. Dans la dialectique entre réalité et fiction, l’image et même le filmage n’occupent qu’une place secondaire ; c’est le montage qui parle, et la seule raison d’être de F for Fake qui en est une orchestration magistrale. Ainsi, il n’y a pas d’artistes mais seulement des œuvres, dont procède ou non l’art. Chercher l’artiste sous un homme aux soixante identités relève de toute évidence de la quête impossible, et qui plus est vide de sens. Alors… F for Fake serait-il le testament cynique d’un artiste désabusé convaincu de l’inutilité de l’art ? Sans doute est-il opportun de rappeler les mots d’un autre philosophe (controversé il est vrai) que Welles n’eût pas reniés : « L’art est un advenir et un devenir de la Vérité. (…) L’essence de l’art, c’est la Vérité se mettant elle-même en scène ; c’est l’instauration de la Vérité. » Mais ces mots sont ceux de Martin Heidegger, parent à sa manière, en philosophie, du faussaire de Hory ; et l’ouvrage qui les renferme s’intitule Chemins qui ne mènent nulle part.


Plus qu’un film, Vérités et mensonges est un véritable exercice de style constituant un prodigieux tour de magie cinématographique autour de l’imposture en art. Dans ce film, Orson Welles nous parle du rapport ambigu entre vérité et mensonge, entre réalité et cinéma, à travers l’exemple de deux personnages réels : Elmyr de Hory et Clifford Irving.

Vérités et mensonges est tourné sous forme de documentaires sur la vie de ces deux hommes, le tout dirigé et raconté par Orson Welles en personne. Là où le film est intéressant, c’est que parmi les acteurs du film, on retrouve à la fois ceux qui sont devant la caméra et ceux qui sont normalement dans les coulisses. Un peu comme si le making-of était inclus directement dans le film. Ainsi, on voit à de nombreuses reprises le producteur François Reichenbach parler de l’élaboration du film avec son équipe où encore Orson Welles manipuler directement les bandes dans une salle de projection. Par moments, Welles nous perd et l’on ne sait plus si l’on est dans la réalité ou dans la fiction, et l’on ne sait même plus si ce qui est raconté est réel ou non.

Elmyr de Hory est-il vraiment un faussaire ? Clifford Irving a t-il véritablement rencontré Howard Hugues ? Les faux ne sont-ils pas finalement plus réels que les originaux ? Les faux ne sont-ils pas des vrais au final ? Autant de questions que l’on peut se poser tout au long de film, et même si la réponse est donnée à la fin, on peut quand même se surprendre à encore hésiter. Et autre confirmation, Welles l’annonce dès le début du film : "Ce film traite de tricherie, de fraude, de mensonges... Racontée chez soi, dans la rue ou au cinéma, toute histoire est presque sûrement un mensonge. Mais pas celle-ci ! Tout ce que vous verrez dans l’heure qui suit est absolument vrai."

Affublé de la cape et du chapeau des prestidigitateurs, Welles en vient à parler de lui-même, de ses mystifications célèbres, images à l’appui, avant de se jouer une nouvelle fois du spectateur à travers une superbe jeune femme, Ojar Kodar, la nièce de Elmyr de Hory, qui aurait servi de modèle à Pablo Picasso ; Mais le peintre n’a-t-il pas autorisé toutes les supercheries, lui qui a dit "l’art est un mensonge pour dire la vérité vérité" ? "Un mensonge qui fait comprendre la réalité" ajoute Welles, qui a exploré jusqu’au bout la capacité du cinéma à nous dire la vérité tout en nous maintenant dans l’illusion. En effet le cinéma, à travers son histoire et dans son essence même, est l’Art de la manipulation par excellence. Il crée du sens à partir d’artifices propres à son langage tout en donnant l’illusion de la réalité.

Orson Welles, en vrai magicien, joue constamment avec le spectateur. Il lui met sous les yeux des images qu’il orchestre magistralement. Vérités et mensonges est avant tout une remarquable démonstration de montage. Le réalisateur montre que la virtuosité de son art ne dépend pas tant de ce qui est filmé, la plupart des images n’étant pas de lui, que du mode sur lequel le montage le présente. Retenons que le film a été presque entièrement réalisé au montage. De même qu’il importe peu de savoir l’identité exacte de l’auteur d’un tableau. Il importe seulement de dire si telle ou telle oeuvre relève ou non de l’art. Il n’y a pas d’artistes, mais seulement des oeuvres. Peu importe qui signe le film, seul compte le film, l’art dégagé par chaque film. Orson Welles dynamite le récit et sa continuité. Il fige soudain l’image pour aller traquer la vérité dans un détail, monte et démonte les éléments pour en explorer toutes les facettes dans une sorte de frénésie à la Pirandello. Vérités et mensonges résume tout l’art Wellesien. Il condense toutes les obsessions du réalisateur et exprime le mensonge comme un art rattaché à tout bon illusionnisme. (...) L’oeuvre tout entière d’Orson est en effet placée sous le double signe de la magie, de l’illusionnisme et de la fascination pour les escrocs et les grands mystificateurs, le personnage de Kane en premier lieu (dans Citizen Kane). Orson Welles fonda lui-même sa carrière puis sa célébrité sur une supercherie avec sa guerre des mondes radiophonique, comme il le montre dans le film. (...) (Gaell B.Lerays/Fichesducinéma.com)

...Orson Welles s’est toujours considéré comme un illusionniste, un magicien, plus saltimbanque peut-être que cinéaste. Cet avant-dernier film est une profession de foi. Il fait le point sur ses thèmes de prédilection : le mensonge, les faux-semblants, la manipulation, et s’amuse à brouiller toutes les pistes que le film se plaît à offrir au spectateur... Vérités et mensonges est un film où l’on se plaît à se perdre. Le montage joue génialement des différents niveaux de narration, utilisant de vraies ou de fausses images d’archives. (Olivier Bitoun/Tv classik.com)

"Toute esthétique choisit forcément entre ce qui vaut d’être sauvé, perdu ou refusé, mais comme elle se propose essentiellement, comme le fait le cinéma, de créer l’illusion du réel, ce choix constitue sa contradiction fondamentale à la fois inacceptable et nécessaire. Nécessaire puisque l’art n’existe que par ce choix. Sans lui, à supposer que le cinéma total fût dès aujourd’hui techniquement possible, nous retournerions purement et simplement à la réalité. Inacceptable puisqu’il se fait en définitive aux dépens de cette réalité que le cinéma se propose de restituer intégralement." (André Bazin)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso

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