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13ème FESTIVAL CSF : SAMEDI 07 FÉVRIER 2015 - UNDERGROUND

20h00 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le mercredi 4 février 2015.


Emir Kusturica

Bulgarie, Hongrie, Allemagne, Tchécoslovaquie, France, Yougoslavie - 1995 - 2h47 - vostf

13ème Festival annuel autour du thème : Le cinéma sens dessus dessous, quand le 7ème art joue avec ses codes !

En 1941, sous les bombes allemandes à Sarajevo, deux amis patriotes magouilleurs se disputent la même femme. Marko met à l’abri Blacky et un groupe de résistants dans sa cave. Les faisant travailler, il devient trafiquant d’armes et leur ment quant à l’évolution de la guerre et ce jusqu’à la guerre froide ! Après la mort de son fils et la dislocation de son pays, Blacky en ressort désespéré et se retrouve à la tête d’une milice.

Article de Josiane Scoleri :

Ah, Natalija, quelle connerie, la guerre...

Underground est une fresque, une fresque historique, baroque et terrible, implacable et pourtant souvent drôle. C’est aussi l’hommage funèbre rendu par Emir Kusturica à son pays qui n’existe déjà plus au moment du tournage et où la guerre fait encore rage Pour mémoire, les accords de Dayton seront signés en décembre 1995, soit 8 mois après la sortie du film à Cannes.

Et comme c’est souvent le cas quand on prononce un éloge funèbre, Kusturica remonte aux origines, aux circonstances mêmes qui ont donné naissance à la République de Yougoslavie au sortir de la deuxième guerre mondiale, après la victoire des Partisans à fois sur l’occupant nazi et sur les tenants de l’ancien régime... Mais il va nous raconter cette histoire à sa manière, tambour battant, c’est le cas de le dire, avec force fanfares, beuveries, mariées qui volent même sous terre, escrocs inventifs, héros à la moralité plus que douteuse. On le voit, ce n’est pas une façon très orthodoxe de parler de la guerre. D’où évidemment sa place dans notre sélection. La guerre constitue pourtant la véritable matière première du film, il en est pétri du début jusqu’à la fin. Ou peut-être serait-il plus juste de dire que c’est la folie de la guerre qui se respire, se mange et se boit durant tout le film. Avec Kusturica, cette folie se fait image, rythme et musique. En un mot, elle se fait cinéma. Les images de Kusturica ont souvent été qualifiées de loufoque. C’est en fait qu’il a un sens aigu de l’absurde de la vie et surtout de l’action des hommes, C’est cette absurdité qui se déploie sous nos yeux grâce à des associations qui sont de véritables carambolages, tant le rythme est forcené, comme si le montage lui-même était habité par cette musique de cuivres tzigane qui nous emporte dès la première scène et qui ne nous lâchera plus. Les quelques autres musiques ou chansons se remarquent presque d’autant plus qu’elles semblent bien calmes en comparaison. La palme revenant à Lili Marleen, chanson omniprésente pendant la seconde guerre mondiale aussi bien chez les nazis que chez les Alliés. Kusturica s’en sert brièvement à plusieurs reprises sans que cela n’ait rien de bien original, sauf qu’il va enchaîner et la faire jouer à plein tube sur les images d’archives des funérailles de Tito où iront s’incliner tous les puissants de l’époque. Il fallait oser. Mais pour ce qui est du culot, on peut faire confiance à Kustu. Ce n’est qu’un exemple entre mille de la manière du réalisateur. Il pratique l’art du décalage porté à la puissance XX., décalage non seulement par rapport aux conventions, mais aussi par rapport aux utilisations précédentes dans le film lui-même. Nous assistons, médusés, au détournent du détournement. C’est ce qui explique l’état de surprise permanent dans lequel nous nous trouvons au-delà du caractère incongru, voire carrément surréaliste des images elles-mêmes. Dans ce chaos tous azimuts, Kusturica se fait virtuose et fait émerger avec force les liens pervers entre guerre et pouvoir, idéologie et aliénation, ambition et cynisme.

La scène où Marko et Nataliya préparent leur fuite en faisant soigneusement sauter la cave et tous ses habitants à la dynamite est emblématique du propos. Vingt ans auparavant, Marko s’était certes enfui face aux Allemands en leur livrant de fait son compère, son grand ami, son frère d’armes Blacky, mais il avait au moins réussi à le tirer des griffes de la Gestapo (avec Kusturica, même la scène de la gégène finit par être totalement burlesque). C’était au temps de la jeunesse et d’un certain romantisme. L’heure n’est plus à pareilles billevesées. La seule boussole, a fortiori une fois qu’on a goûté aux charmes du pouvoir et à ses privilèges, est nécessairement celle de l’intérêt personnel enveloppé dans un discours larmoyant et politiquement correct. On n’est pas à ça près... Mais le cœur du film est bien cette cave. Underground ; c’est le titre du film. Le mot désigne tout ce qui se trouve sous-terre, les caves, les égouts, les couloirs du métro, mais c’est aussi ce qui est clandestin ou encore ce qui se situe radicalement à contre-courant. Kusturica nous dit beaucoup de choses avec son simple titre. En outre, comme nous somme chez Kusturica, ces tunnels souterrains relient l’Europe d’un bout à l’autre. On y voit des panneaux qui indiquent Berlin ou Athènes, mais aussi des jeeps, des tanks, des camions qui circulent et même des véhicules de l’ONU dont les soldats servent de passeurs sans vergogne pour des immigrés clandestins contre force biftons... Alors bien sûr, on peut rire de l’outrance, mais le rire est forcément très jaune, car comment ne pas penser par exemple aux tunnels qui relient aujourd’hui la bande de Gaza à l’Égypte et qui ceux-là sont bien réels ? La cave de la maison de Marko est au départ une planque pour les partisans, une imprimerie clandestine, un atelier où l’on peut stocker et réparer des armes, Un lieu de résistance, en somme, comme il en a réellement existé dans toutes les guerres. À cette différence près qu’ici personne dans la cave ne saura que la guerre est finie, que c’est bien leur camp qui a gagné. Et donc la vie s’organise. Les enfants naissent et grandissent, les jeunes se marient, tout le monde résiste dans l’espoir de l’avenir radieux qui permet sans doute d’oublier un peu qu’on ne voit jamais la lumière du jour et peut- être même de ne pas se rendre compte de la consanguinité. Le grand-père, complice de Marko, fait reculer régulièrement les aiguilles de l’horloge. Comme il dit, sur 20 ans, ça fera 5 ans de moins passés dans la cave. Toujours cet humour à la Nsar Edin, le héros des contes populaires turcs dont la logique ressemble étrangement à celle des Shadocks !

À l’extérieur, là où l’histoire ne s’est pas arrêtée, la version officielle élaborée par Marco veut que Blacky soit mort dans la fameuse escarmouche avec les Allemands. C’est devenu un héros vénéré qui a même droit à sa statue dans les squares. Lors de l’inauguration, Marko fait un beau discours comme il sait les faire, les larmes aux yeux, le trémolo dans la voix et lorsqu’on découvre la statue, Blacky a inévitablement des traits qui rappellent un certain petit père des peuples en un peu plus svelte et la moustache légèrement plus fine. Dans ce jeu de mascarade, il ne faut pas oublier la place du cinéma. D’abord, Marko lui-même filme clandestinement ce qui se passe dans la cave. Ça permet sans doute de faire de fausses archives et ça peut toujours servir. Il y a ensuite les multiples clins d’œil au cinéma, avec notamment la séquence où Nataliya, actrice de théâtre de pacotille se fait enlever sur scène par Blacky, devant les yeux sidérés de son admirateur nazi, comme un remake à l’envers de To be or not to be, le chef d’œuvre pétillant de Lubitsch. Une fois encore décalage et détournement sont de la partie.

Et puis, pour faire bonne mesure, Kusturica met le cinéma dans le cinéma avec un réalisateur en train de tourner un film au titre si poétique Le printemps arrive sur un cheval blanc. C’est probablement une commande d’État tirée du bouquin écrit par Marko lui-même sur ce fait d’armes où Blacky est officiellement mort...C’est l’artiste au service la propagande, qui ne sait plus démêler le vrai du faux. Mais on se brûle facilement les doigts à ce jeu de faux-semblants qui finit par se retourner contre son auteur. Et le faux Franz se fera tuer pour de vrai sur ce qui est un plateau de tournage. C’est ce qui arrive quand on a affaire à ceux qui ne savent pas faire la différence entre la réalité et sa représentation. Ceux qui ne comprennent pas que non, décidément, un dessin de pipe n’est pas une pipe et qu’on ne pourra jamais y mettre du tabac pour la fumer. Ceux-là sont les plus dangereux. Nous venons, hélas, d’en faire une fois de plus la cruelle expérience.


Oeuvre d’un cinéaste à l’univers incomparablement riche de poésie et de baroque, Underground est l’un des premiers films à aborder le conflit balkanique.Il retrace trois moments majeurs de l’histoire de l’ex-Yougoslavie. 1re partie : invasion et occupation allemande dès 1941 et naissance du mouvement de résistance. 2e partie : 15 ans plus tard, en 56, en pleine guerre froide, quand la Yougoslavie de Tito et son parti communiste ont pris leurs distances avec l’URSS et Staline. 3e partie : en 92, en pleine guerre des Balkans, avec les Casques bleus et les milices indépendantistes fascisantes.

Comme dans la plupart de ses films, Emir Kusturica fait une apparition dans Underground. Après avoir été un mangeur de cacahuètes invétéré dans Arizona Dream, il incarne ici un marchand d’armes.

Il existe plusieurs versions de Underground. Celle présentée et palmée au Festival de Cannes durait 195 minutes. La durée de la copie sortie en salle était de 165 minutes. Enfin une version longue existe. Elle déploie 5h40 de fiction et a été diffusée en épisodes à la télévision yougoslave et française. Dès sa première projection à Cannes le film donna lieu à une polémique. Le cinéaste fut violemment pris à parti par certains journalistes qui le traitèrent de fasciste et de propagandiste. L’évènement se cristalisera autour de l’opposition entre Emir Kusturica et Alain Finkielkraut qui accusa le premier de soutenir le régime de Slobodan Milosevic. Kusturica s’en défendit et reprocha au philosophe de n’avoir pas vu le film, ce qui sera confirmé par celui-ci qui continuera tout de même à attaquer le film. Subissant de vives critiques autour de son oeuvre, Kusturica affirma vouloir arrêter sa carrière de cinéaste. Décision qu’il prendra effectivement, mais sur laquelle il reviendra.

Le chef opérateur slovène Vilko Filac s’occupe de la photographie de Underground après avoir travaillé avec Kusturica sur ses quatres précédentes oeuvres (Te souviens-tu de Dolly Bell ? ; Papa est en voyage d’affaires ; Le Temps des gitans et Arizona Dream). Ce film marque leur dernière collaboration.

Après s’être exilé aux Etats-Unis pour le tournage de Arizona Dream, Emir Kusturica revient sur ses terres pour filmer Underground. Une vaste fresque cinématographique doublée d’une fable politique. Le film a été tourné dans les studios de Prague pour les intérieurs (avec de superbes décors que l’on doit à Miljen Kreka Kljakovic, déjà chef décorateur pour Arizona Dream et Le Temps des gitans) et en partie à Belgrade (alors en pleine guerre), pour les extérieurs.

Pour ce cinquième long métrage, le cinéaste serbe collectionne une fois de plus les récompenses. Meilleur film étranger au Prix Lumières en 1996, Meilleur film en langue étrangère de la Boston Society of Film Critics ainsi qu’au Kinema Junpo Awards de Tokyo en 1997. Le film créé l’évènement au Festival de Cannes 1995 lorsque le jury, présidé par Jeanne Moreau, lui décerne la seconde Palme d’Or de sa carrière, après Papa est en voyage d’affaires (1985). Emir Kusturica entre dans le club très fermé des doubles vainqueurs de la Palme d’Or (Francis Ford Coppola, Shohei Imamura, Bille August et les frères Dardenne).


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

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