Accueil du site - Séances-débats

Charulata

Dimanche 19 novembre à 10h30 et 14h30
Publié le dimanche 19 novembre 2006.


de Satyajit Ray

1964, NB, Vo-stf, Ours d’Argent Festival de Berlin 65, 114 mn

Ours d’Argent au Festival de Berlin 1965, l’histoire de la belle Charulata, mariée à Bhupati, un intellectuel engagé éditeur d’un journal au Bengale à la fin du 19ème siècle. Charulata lie une amitié profonde avec Amal, le cousin écrivain de Bhupati, llibre et amusant, venu séjourner chez le couple. Peu à peu, ce sentiment d’amitié va évoluer vers d’autres sphères.

Image Hosted by ImageShack.us

En choisissant pour son treizième film de fiction (sur 31) une oeuvre de l’immense Rabindranath Tagore, Satyajit Ray rendait un double hommage : au plus grand poète indien, Prix Nobel de Littérature (1913), ami de la famille Ray dont il adaptait la nouvelle Nastanirh (Le Nid brisé), et à leur région commune, le Bengale. Cet Etat de l’Inde connut au 19ème siècle une véritable renaissance intellectuelle, artistique mais aussi politique dont les traces y sont encore aujourd’hui pleinement visibles. Charulata, dont l’histoire se situe vers 1890, dépeint un milieu que le réalisateur connaissait bien car très proche de sa propre famille. Bhupati, le mari, intellectuel et éditeur engagé, est un bhadralok, c’est à dire un bourgeois bengali vivant sous une profonde influence occidentale, en littérature, en philosophie, en science et aux idées politiques libérales-humanistes et donc, forcément, tourné vers la lutte pour l’indépendance. Son épouse, Charu (diminutif de Charulata) oscille entre deux états de la condition féminine caractéristiques de ce milieu social et de l’époque. D’un côté, la prachina, l’épouse conservatrice auto-centrée, passant ses journées allongée sur le lit à lire des romans populaires, et représentée ici pleinement par sa belle-soeur, Manda. De l’autre, la nabina, la femme moderne, ouverte à la culture. Charu, douée pour l’écriture, est naturellement davantage portée vers la seconde mais le poids des habitudes sociales ainsi qu’un manque de confiance en elle l’empêchent de se libérer complètement. C’est que la femme de la Renaissance bengali, si elle est encouragée à plus de liberté et d’indépendance, doit "expérimenter" seulement dans le cadre claustrophobique de l’andarmahal, la demeure familiale de type victorien. Satyajit Ray, dans un plan-séquence d’exposition et d’anthologie de sept minutes, permet au spectateur de comprendre d’entrée la situation de son héroïne et ses rapports maritaux. Ce début de film donne aussi le ton du film : une formidable étude psychologique sans la moindre démonstration, sans le moindre psychologisme surligné par trop de dialogues.

Image Hosted by ImageShack.us

Tout ici est suggéré, induit, parfois elliptique et pourtant toujours évident. L’art de la mise en scène de Ray est à son sommet, point d’orgue d’une première partie de carrière éblouissante qui mène de La Trilogie d’Apu (Pather Panchali/La Complainte du Sentier, 55, Aparajito/L’Invaincu, 57 et Apur Sansar/Le Monde d’Apu, 59) à ce Charulata, en passant notamment par Jalsaghar (Le Salon de Musique, 58), Devi (La Déesse, 60) ou Mahanagar (La Grande Ville, 63). Si on retrouve une fois de plus l’influence de son mentor, Jean Renoir - comment ne pas penser à La Partie de Campagne de ce dernier lors de l’inoubliable et fondamentale scène de balançoire de Charulata ? - voire de la Nouvelle Vague (les derniers plans qui déconcertèrent tant les spectateurs bengalis renvoient à celui des 400 Coups de François Truffaut), Ray a pourtant déjà su établir son propre style : signer une réalisation purement cinématographique, "un langage libéré de ses influences littéraires et théâtrales" (S. Ray), où les mouvements de caméra, d’une furieuse et tranquille élégance, incarnent les sentiments les plus secrets des personnages, où musique et sons naturels dialoguent en une sorte de re-création poétique de tout un univers.

Somptueux portrait de femme, magnifique mise en scène, Charulata doit aussi son succès à la superbe interprétation de Madhabi Mukherjee dans le rôle titre. Un an après Mahanagar qu’elle avait déjà illuminé de sa présence, de sa beauté et de son talent, l’actrice de 22 ans réussissait une performance exceptionnelle, fusionnant avec son personnage, révélant par ses simples regards ou quelques attitudes corporelles une foule de sentiments divers, contradictoires et contrariés, illustrant à merveille les propos de Satyajit Ray : "La beauté d’une femme comme Charulata est en grande partie la beauté de son esprit. Ce que j’ai essayé d’exprimer est la richesse de cet esprit." Madhabi Mukherjee portait d’ailleurs chance au cinéaste puisque, exactement comme Mahanagar, Charulata remporta un Ours d’Argent au Festival de Berlin.

Satyajit Ray exprima à plusieurs reprises que Charulata - autant le film que le personnage - constituaient son sommet indépassé de cinéaste. Qui, à la vision de ce chef d’oeuvre, oserait lui donner tort ?

Philippe Serve

Image Hosted by ImageShack.us

Toutes les séances auront lieu au Musée, 405 promenade des Anglais - Arénas - 06200 Nice.

La séance de 14h30 est présentée par Philippe Serve (Cinéma sans Frontières).

Renseignements : Musée (04 92 29 37 00) / CSF (04 93 52 31 29 - 06 64 88 58 15)