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Water

Dimanche 17 décembre à 10h30 et 14h30
Publié le dimanche 17 décembre 2006.


de Deepa Mehta

2005, Couleur, Vo-stf, 117 mn

avec Seema Biswas, Lisa Ray, Waheeda Rehman

Le film révèle la situation critique des veuves dans l’Inde coloniale de 1938, au moment où Gandhi arrive au pouvoir. L’intrusion d’une veuve de 7 ans dans leur « maison » va affecter la vie des autres résidentes et ébranler tout ce qu’elles s’étaient résignées à accepter.

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Être veuve en Inde, voilà une situation guère enviable. Bien sûr, la situation s’est aujourd’hui améliorée (même si trop lentement) par rapport à ce qu’elle fut pendant 2000 ans. Traditionnellement, la femme indienne est rendue responsable - au sens moral, non pénal - de la mort de son mari. Si son époux décède avant elle, c’est qu’elle n’a pas agi comme il aurait fallu. Il lui faut donc expier, se racheter. Elle possède alors - comme le rappelle l’un des protagonistes du film de Deppa Mehta, un brahmane - trois possibilités. La première - la plus radicale - consiste à s’immoler sur le bûcher funéraire de son époux. Cette pratique -dite de la sati - a été interdite par le colonisateur anglais en 1829 et l’est toujours mais il arrive encore que de telles horreurs se produisent, environ une fois par an, dans les régions les plus pauvres et où la volonté sacrificielle de la veuve n’est que rarement établie. Autrement dit, il s’agit la plupart du temps de meurtres maquillés ou "comment se débarrasser d’une belle-mère encombrante"... Ces cas aujourd’hui exceptionnels deviennent, hélas, l’occasion de véritables cultes locaux et de sanctification de la victime, tournant par là-même le dos à la condamnation de tels actes. La deuxième solution est celle d’épouser le plus jeune frère du défunt mari. Beaucoup choisissaient (et choisissent encore) cette alternative. Du moins lorsque la famille la leur proposait. Car nombre d’entre elles profitaient de l’occasion pour se débarrasser de cette pièce humaine rapportée, de cette bouche de trop à nourrir qui pouvait empêcher les fils d’hériter. Ces femmes partaient alors dans des ashrams pour veuves où elles (sur)vivaient de charité et de mendicité en attendant la mort. Certaines avaient recours à la prostitution. C’est de ce milieu que parle Water. Les veuves devenaient donc des parias dont la seule présence pouvait porter le mauvais oeil (lors des naissances, par ex.). Le film de Deepa Mehta l’illustre à diverses reprises : une femme indienne normale doit aller se purifier après un contact physique et accidentel avec une veuve ; l’ombre de celle-ci ne doit pas effleurer un couple de mariés, etc.

A l’époque du récit conté par la réalisatrice canadienne d’origine indienne, à savoir 1938, soit 10 ans avant l’indépendance, le nombre de ces veuves abandonnées et vivant misérablement en ashrams était encore considérablement élevé. Aujourd’hui, on l’estime à environ 20 000. Si ce chiffre peut paraître très important (il l’est, de toutes manières), on se doit néanmoins de le rapporter au total de veuves vivant en Inde, 33 millions. Soit un ratio de 0,06% (ramené à la population française, cela donnerait un peu moins de 1200 veuves concernées). Si, encore une fois, 20 000 veuves-parias sont 20 000 scandales et cas douloureux de trop, ce pourcentage permet tout de même de modérer sérieusement les interprétations de trop de critiques du film Water selon lesquels cette pratique serait encore très largement appliquée. Non, la situation a évolué et c’est tant mieux. Il n’en reste pas moins que si le traitement légal de la veuve indienne a peu à voir avec ce qu’il fut jadis, le regard accusateur porté sur les veuves, lui, est toujours bien ancré dans les mentalités et maintient ces dernières encore trop souvent à la marge de la société.

De même que Fire, premier volet de la Trilogie des éléments présenté il y a quinze jours dans le cadre de ce Festival, aura eu l’immense mérite de provoquer le débat en Inde sur la condition de la femme mariée, d’avoir fait tomber les masques d’intolérance et, peut-être, d’avoir redonné courage à des millions de femmes, Water permet aux spectateurs du monde entier de découvrir ce qui fut une tragique réalité. Mais malgré, une fois de plus, une reconnaissance de qualités indéniables, l’auteur de ces lignes reprochera à la réalisatrice sa tendance à américaniser ses films, à les rapprocher sans cesse davantage des critères hollywoodiens : images trop léchées afin de redoubler le caractère exotique plaisant tant au public occidental et débouchant sur un hyper-esthétisme à la limite du guide touristique, également présent dans les plages musicales mi-indiennes / mi-new age, ou dans le choix de ses deux interprètes principaux (Lisa Ray et John Abraham), originellement top-models et visiblement choisis davantage pour leur plastique impeccable que pour leur pur talent. Autre tendance lourde - qui, il est vrai, se retrouve dans bon nombre de films indiens - ce penchant à toujours rajouter une couche dramatique supplémentaire à une histoire qui n’en appelait pourtant pas davantage (je fais ici référence à un épisode concernant la petite Chuyia). Il y a donc, sous un vernis d’apparente sobriété, un excès formel et un peu trop de sentimentalisme dont la fonction est toujours de forcer émotionnellement la main (et le cœur) du spectateur.

A l’inverse, on ne saura que louer la performance étonnante de naturel de la petite Sarala dans le rôle de Chuyia et celle de Sima Biswas dans celui de Shakuntala. Grande actrice de théâtre, révélé au cinéma par son interprétation de Bandit Queen (94), son premier film, Sima Biswas vampirise littéralement l’écran à chacune de ses apparitions grâce à son immense talent. On retrouvera l’actrice (ainsi que John Abraham, la belle Nandita Das héroïne de Fire, et l’acteur anglais Terence Stamp) dans le prochain film de Deepa Mehta consacré à la tragédie du navire Kamagatu Maru qui, transportant 376 émigrants indiens, se vit refoulé en 1914 par les autorités canadiennes avant de devoir retourner à son point de départ et d’achever son odyssée dans le chaos et le sang.

Philippe Serve

Cinéma sans Frontières et son animateur tiennent à remercier le plus vivement possible le musée des Arts asiatiques et sa conservatrice, Marie Foissy, de les avoir associés, via ce Festival indien, à l’exposition Devi, Diva, les 7 voiles de Bollywood. Ces remerciements vont aussi très directement à Eliza Barrère ainsi qu’à tout le personnel du musée, sans exception, pour leur collaboration, leur accueil, leur disponibilité et leur gentillesse jamais démentis.

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Toutes les séances auront lieu au Musée, 405 promenade des Anglais - Arénas - 06200 Nice.

Les séances de 14h30 seront présentées par Philippe Serve (Cinéma sans Frontières).

Renseignements : Musée (04 92 29 37 00) / CSF (04 93 52 31 29 - 06 64 88 58 15)


Affiche du film - Cliquer pour agrandir