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Le Mariage de Tuya

Vendredi 9 novembre 2007 - 20h30 - Mercury
Publié le vendredi 9 novembre 2007.


Chine - 2007 - 1h32 - version originale sous-titrée Réalisation : Wang Quan-an Scénario : Wang Quan-an et Lu Wie Photo : Lutz Reitemeier Montage : Wang Quan-an Son : Jiang Peng Décors : Wie Tao Avec : Yu Nan (Tuya), Bater (Bater), Senge (Senge), Baolier (Baolier), Zhaya (Zhaya)

Au coeur de la Mongolie chinoise, Tuya se bat pour faire vivre ses enfants et son premier mari blessé suite à un accident. Afin de résoudre ses problèmes, elle décide de divorcer et de trouver un nouveau mari. A la seule condition que celui-ci accepte de supporter toute sa famille, y compris son premier époux.

Ours d’Or au Festival de Berlin 2007

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Wang Quan-an appartient à cette « sixième génération » qui a substitué aux reconstitutions historiques léchées (Chen Kaige, Zhang Yimou) un style documentaire sans apprêt. Comme Jia Zhangke (couronné à Venise cette année), il observe les ravages du boom économique (barrages titanesques, précarité des travailleurs urbains, exode rural) sur des êtres déboussolés. Il cherche une nouvelle « objectivité ». Or, dans le capharnaüm actuel, nul besoin de dénoncer ou de revendiquer pour être considéré comme subversif par les uns, et soupçonné par les autres de « flirter avec l’officialité ». Aucune observation n’est neutre. Naguère scénariste pour le studio de Xian, puis associé à celui de Pékin où il tourne Eclipse de lune, il produit désormais ses films seul. Parti filmer en Mongolie, il retient ses effets. Chaque fois que la pente tragique s’accentue, Wang glisse un élément de farce. En affirmant sa liberté d’artiste, il coupe court aux lectures idéologiques. La noirceur du tableau final relèvera du simple miroir tendu à une transition économique et sociale violente. Miroir, par exemple, de la prégnance du suicide dans les campagnes mongols : première cause de mortalité chez les femmes.

Image Hosted by ImageShack.us Bater et Yu Nan

Par sa mère, née en Mongolie, Wang connaît le quotidien des bergers mongols. L’eau manque, sous l’effet conjugué du vent asséchant local et de la politique de déforestation chinoise. Les autorités poussent la population à se fixer en ville pour fournir des bras à l’industrie. En tournant dans une bergerie avec des pasteurs locaux, le jeune cinéaste voulait témoigner d’une culture menacée. Au son des flûtes, il filme les dégradés ocre de la terre et du ciel, les visages enturbannés, le brillant des tissus, la richesse des habits et des fourrures, les gestes ancestraux des bergers. Dans un mouvement de caméra somptueux qui suit l’apparition du titre, Wang s’éloigne du dos de l’héroïne qui obstrue d’abord le champ, et ouvre son cadre sur l’immensité des steppes. Dans cette région inhospitalière, la mécanisation pointe à peine. Senge a soif de modernité, mais il s’agite en pure perte. Quant à Tuya, c’est au sein du mariage (sa seule option) qu’opère sa subversion. Au moins choisira-t-elle son époux à sa guise, en fixant les règles de la cohabitation. A sa manière elle s’adapte, moins par esprit de révolte que pour préserver l’essentiel : l’unité de son foyer. La fidélité, chez elle, est affaire d’honneur autant que de cœur. Avec ce noble sentiment, le film plonge dans le mélodrame. Certaines scènes offrent des aperçus saisissants sur les hôpitaux publics et les foyers privés. Mais le souffle épique vient d’ailleurs. (...)

Le drame de Tuya et des siens appelait un mélodrame social. Wang choisit de l’épurer par le burlesque. Loin de galvaniser les foules, il libère le rire, et avec lui des émotions qui font croire aux pouvoirs du cinéma. Simplement, comme le dit Jia Zhangke, « parce qu’on peut y pleurer ».

Elise Domenach

[texte extrait de l’article « La mariée était en larmes », paru dans Positif 559, Septembre 2007, et reproduit avec l’accord de l’auteur que CSF remercie)

Image Hosted by ImageShack.us Wang Quan-an recevant son Ours d’Or à Berlin en compagnie de son actrice fétiche, Yu Nan

Propos de Wang Quan-an

(extraits du Positif de septembre 2007)

« Notre génération [de cinéastes], la sixième, est particulière. Toutes les structures sociales et culturelles sont en train de s’effondrer, et nous, les réalisateurs, sommes comme de petites briques tombées du mur. Si on veut faire un film, c’est très difficile de faire partager nos idées, de discuter avec des gens pour se faire comprendre. C’est pour ça que je préfère produire et trouver l’argent moi-même.

« En 1991, quand j’ai fini mes études, c’était encore très proche des événements du massacre de Tiananmen, le 4 juin 1989. Je savais bien que ce n’était pas un moment idéal pour faire des films. Nombre de mes camarades de l’Académie [de cinéma de Pékin] sont soit partis à l’étranger, soit rentrés dans les affaires. Idéologiquement, l’époque était très fermée, et je n’avais aucune idée sur la durée de cette situation. J’ai commencé à écrire un scénario qui me permettait de garder un lien avec le cinéma. (...) Je voulais faire un cinéma nouveau, dont je ne voyais pas l’équivalent chez d’autres gens. Je me disais qu’à partir du moment où j’écrivais un scénario, j’allais naturellement faire le film. En fait, j’ai commencé à le faire avant même d’avoir fini ce scénario. Tout à coup, le studio de Xian a arrêté de payer ses employés. Et j’ai été obligé de commencer la production de mon film. »

« Avec les cinéastes de ma génération, nos films ont toujours un rapport à la vie. Nous avons essayé d’exprimer notre vécu à travers nos films. La Chine a vécu un changement radical, surtout au niveau économique : pour les individus, c’est brutal, car ils doivent s’adapter très vite. Le changement, qui parfois a pris une centaine d’années en Occident, s’est effectué en Chine en quelques années. En particulier par rapport à la morale : un certain nombre de valeurs ont été touchées par ce changement et se sont effondrées, et il faut reconstruire autre chose très rapidement. Mon second film [L’Histoire de Ermei, 04] a exprimé ce genre d’émotions. Cela racontait une histoire de ma jeunesse assez violente et brutale. »

« La différence du Mariage de Tuya par rapport à mes deux film précédents, c’est la reconnaissance envers les objets que je filme. Avant lui, je doutais un peu un peu envers ceux qui n’auraient peut-être pas la vie dont ils avaient rêvé. Après le tournage de mon deuxième film, dans la campagne chinoise, j’avais rencontré pas mal de gens. Ils étaient très accueillants, dans le respect des valeurs traditionnelles. Ces valeurs existaient toujours, alors que leur vie n’était pas idéale. C’est donc avec une plus grande confiance dans la vie que j’ai réalisé Le Mariage de Tuya. C’est à cause de cela que ce troisième film est un peu différent des précédents. L’histoire est devenue assez nette et légère. »

« J’ai tourné en Mongolie-Intérieure parce que j’aime ce pays, et que je connais bien les gens là-bas, et leur vie. En outre, j’adore la musique, et je pense que la musique mongole est la meilleure de Chine en raison de très belles mélodies. Le film raconte l’histoire de gens qui sont en train de disparaître car beaucoup se sont déjà déplacés vers les villes. Je crois aussi que la méthode indirecte accorde toujours plus de liberté et de décontraction au travail. Pour moi, un film doit être assez discret, indirect ; ce n’est pas une déclaration politique. »

« Quand je choisis un acteur professionnel, il faut qu’il soit aussi ordinaire que les gens de la vie, et en même temps il doit être capable dans les scènes dramatiques de montrer des émotions. Techniquement, il doit être capable des deux registres : un bon acteur doit être capable de monter dans le ciel et de descendre sur la terre. Yu Nan, avec qui j’ai fait mes premiers films, sait très bien ce que je veux. C’est l’une des meilleures comédiennes chinoises d’aujourd’hui. Elle est capable des deux registres dont j’ai besoin. (...) J’aime les belles histoires, les personnages forts. Je suis persuadé que je continuerai à travailler avec elle. »

Le film sera précédé d’une présentation et suivi d’un débat avec le public.

Présentation et Animation : Philippe Serve


Affiche du film - Cliquer pour agrandir © Pretty Pictures