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Le Sergent Noir (Sergeant Rutledge)

Vendredi 22 novembre 2007 - 20h30 - Mercury
Publié le vendredi 23 novembre 2007.


Etats-Unis - 1960 - 1h51 - version originale sous-titrée Réalisation : John Ford Scénario : James Warner Bellah, Willis Goldbeck Image : Bert Glennon Montage : Jack Murray Musique : Howard Jackson - Décors : Frank M. Miller - Son : M.A. Merrick Interprétation : Woody Strode (le sergent Rutledge), Jeffrey Hunter (le lieutenant Cantrell), Constance Towers (Mary Beecher), Billie Burke (Cordelia Fosgate), Juano Hernandez (le sergent Skidmore), Willis Bouchey (le colonel Fosgate), Carleton Young (le capitaine Shattuck), Judson Pratt (le lieutenant Mulqueen)

Arizona, 1881. Le sergent Braxton Rutledge fait partie des « buffalo soldiers », troupe de soldats noirs engagés dans la guerre contre les Apaches. Accusé de viol et de meurtre, il est défendu par son officier, blanc, le lieutenant Cantrell.

Film présenté en collaboration avec l’association REGARD INDEPENDANT

Image Hosted by ImageShack.us Woody Strode

Je n’ai jamais revu Sergeant Rutledge (Le sergent noir) depuis une lointaine soirée familiale et télévisuelle. Largement plus de vingt ans. Je dirais si l’on me pose la question que j’ai un bon souvenir de ce film. Mais de quoi me souviens-je ? Il faudrait déjà faire la part entre le souvenir réel de cette soirée et les éléments qui se sont ajoutés au fil des années, les photographies, les articles lus, les discussions. En essayant d’être le plus honnête possible, je ne me souviens de presque rien de ce film. Si je me rappelais qu’il était question d’un soldat noir accusé de viol, je ne me souvenais même plus que le film était construit autour d’un procès. Deux images, presque des sensations : un combat des « buffalo soldiers », ces unités de cavalerie composées de soldats noirs, avec les Indiens, des chevaux, de la poussière qui tourbillonne, ces fameuses chutes très dynamiques des films de Ford. Ensuite, la scène de la gare. La jeune femme qui attend sur le quai dans une ambiance quasi fantastique, la nuit, la brume, et puis la silhouette du sergent joué par Woody Strode, immense et effrayant. Pourtant bienveillant. C’est comme cela que l’on se crée des mythes. Et puis si je me force, me vient l’image de vieilles rombières fordiennes, Billie Burke et Mae Marsh sont de la partie. C’est tout. Ah ! Et la chanson du film, je me souviens d’un air, celui de la légende du Captain Buffalo. Ma mémoire l’a peut être déformé, je saurais ça quand je l’entendrais de nouveau.

« ...With a whoop and a holler and ring-tang-toe, Hup Two Three Four, Captain Buffalo, Captain Buffalo ».

Quand Ford réalise ce film, en 1960, entre deux superproductions à grandes stars, il fait l’un de ses «  petits films » qui lui tiennent à cœur et estime sans doute n’avoir rien à prouver. Il aborde un sujet sensible en cette période de la lutte pour les droits civiques d’une façon à la fois personnelle et déroutante, traduisant bien ses propres contradictions dans la représentation des Noirs au sein de son oeuvre. Pourtant, avec le recul, il donne à Woody Strode, ce magnifique acteur, ce splendide être humain, un rôle qui va bien au-delà de ce qui se pratiquait alors chez des cinéastes « progressistes » comme Stanley Kramer ou Martin Ritt. Tout est dans le titre qui met en avant le personnage. Il fait de son sergent noir un héros authentique. Ce n’est pas la thèse qui l’intéresse mais le portrait d’un homme. « Il m’a filmé comme John Wayne, sur fond de Monument Valley » disait Strode. Chez Ford, la dignité n’est pas dans ce qui est dit mais dans ce qui est montré, dans la façon dont sont montrés même les plus humbles. C’est Muley dans Grapes of Warth (Les raisins de la colère), c’est le chef Poney-qui-marche dans She wore a yellow ribbon (La charge héroïque), c’est Cochise dans Fort Apache et c’est le sergent Braxton Rutledge.

Vincent Jourdan (président de Regard Indépendant)

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Dire et redire que Ford n’est pas le cinéaste conservateur qu’on croit. C’est le seul des géants de l’usine hollywoodienne, avec Walsh et Dwan, à avoir combiné le classicisme frontal de D.W. Griffith et l’instinct baroque d’Orson Welles. Ses films sont aussi radicaux qu’intemporels, aussi progressistes que passéistes. Il suffit de revoir (plutôt que de s’attarder sur l’hypocrite et fade Cheyenne Autumn) le superbe Sergent noir pour s’en convaincre. Le sergent Rutledge est musclé comme un étalon et noir comme la nuit. Cela suffit-il à faire de lui un violeur ? Le film de Ford est un long procès, la défense et l’illustration de la vie d’un homme, de sa carrière, de sa morale.

Louis Sorecki

Si Ford n’a pas cherché, semble-t-il, à faire de son personnage autre chose qu’un héros typiquement fordien, noir ou pas (et n’est-ce pas au fond la plus belle façon de déclarer l’égalité des races ?), c’est son interprète, Woody Strode, compagnon de route du cinéaste, qui lui donne une dimension supplémentaire. Son imposante stature et son apparente inexpressivité rendent d’autant plus émouvantes et justes des répliques qui, dans une autre bouche, auraient pu paraître ridicules ("Dans cette guerre de Blancs, nous nous battons pour en être fiers", déclare-t-il ainsi aux soldats noirs de son régiment). Rutledge est pris dans un dilemme irrésoluble : se rendre, tout en sachant qu’être mêlé à une femme blanche est déjà pour un noir, le début de la fin ; ou fuir, et perdre tout l’honneur durement acquis après une enfance d’esclave. "On n’est pas libres encore. Peut-être un jour", affirme le sergent noir, dont le combat rejoint ainsi, cent ans plus tard, celui des Malcolm X et des Martin Luther King, pour qu’on reconnaisse enfin aux Noirs Américains le droit à la dignité d’homme.

Ophélie Wiel

Le Sergent noir n’a qu’un héros et il développe un autre thème tout aussi important et finalement plus significatif que celui du racisme. Il s’agit de la vieille idée, chère au cœur de Ford, de la dignité et du dévouement, qui s’identifie, comme si souvent dans le passé, à la tradition de la cavalerie américaine. Les deux héros du film explicitent cette thématique et pour la première fois dans l’œuvre de Ford, l’un de ces deux hommes est un noir. Rutledge, en la personne du colossal Woody Strode, est moins une représentation psychologique que poétique ou même mythique du personnage. Sa silhouette, filmée en contre-plongée, se détache, monumentale, contre le ciel nocturne d’une colline du désert ; les images et les chansons l’identifient au capitaine Buffallo, incarnation de tout ce qu’il y a de plus fort et de plus beau dans la tradition du soldat noir. D’ordinaire joué sur le rythme d’une marche, le chant traditionnel du capitaine Buffalo est ici joué de façon lente, élégiaque.

Jusqu’à Le Soleil brille pour tout le monde, Ford, qui ne fut jamais un "raciste", était resté fidèle aux stéréotypes chers aux jeune cinéma américain. Les noirs étaient affectueux et innocents, toujours généreux, toujours dignes et pathétiques, mais toujours marginalisés. Le Sergent noir donna à Ford une chance de mette au centre de son histoire un héros noir digne du plus grand respect. Il n’y a rien de très moderne ou d’audacieux dans ce film : Ford répondait à une vieille inspiration, il n’en découvrait pas une nouvelle. (...) Rutledge est un homme déchiré, non un homme révolté, qui trouve sa personnalité dans l’armée.

Lindsay Anderson ("John Ford", Bibliothèque du cinéma, 1985) [Lindsay Anderson, metteur en scène de théâtre et cinéaste anglais, est entre autre le réalisateur de "If...", Palme d’Or 1969 à Cannes]

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Le film sera précédé d’une présentation et suivi d’un débat avec le public.

Présentation et Animation : Vincent Jourdan (Regard Indépendant)


Affiche du film - © Warner Bros.