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VENDREDI 10 AVRIL 2015 - VERS MADRID - THE BURNING BRIGHT

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le lundi 6 avril 2015.


Sylvain George

France - 2014 - 1h46

En présence du réalisateur et en collaboration avec l’ADN et Regard Indépendant !

Vers Madrid-The burning bright est un newsreel expérimental qui atteste des expérimentations politiques et poétiques, mises en oeuvre par des milliers d’individus à Madrid en 2011, 2012… Le 15 M est le premier « mouvement » d’envergure du XXIème siècle que connaissent les sociétés occidentales, et qui donnera lieu aux différents « Occupy » à travers le monde. Un processus transhistorique et transfrontière qui vient de loin, réactive et travaille des concepts et notions clés de la philosophie politique occidentale, trop longtemps oubliés : demos, logos, révolution… Place Puerta de Sol, passé et futur se rencontrent dans le présent où ils se réinventent constamment. Vers Madrid, Place Puerta del Sol, les pays d’Europe et du monde se sont tournés comme les fleurs vers le soleil.

Article de Josiane Scoleri :

Et si le joli mai brillait toute l’année d’une clarté brûlante ?

Le dernier film de Sylvain George est un documentaire-poème. Il est scandé comme la poésie lue à haute voix et le rythme du film est à mon sens aussi prenant, aussi chargé de sens que les images elles-mêmes. Ce mouvement du 15 mai 2011, « el 15 M » en espagnol, aurait très certainement était qualifié de « spontané » dans les années 60 : hors parti, hors organisation, hors institution, hors tout, mais pas hors sol. Ce qui frappe dans le flot de paroles, de slogans, d’initiatives et de rêves qui s’exprime tout au long du film, c’est justement son ancrage dans le réel. Et ce n’est pas pour rien qu’il a pris la forme tangible de ces tentes plantées contre vents et marées dans les dalles de la Puerta del Sol. En cela, il est parfaitement en phase avec le cinéma de Sylvain George, dans cet alliage « du prosaïque et du poétique » si nécessaire au cœur des hommes. D’ailleurs, le film s’articule en trois parties, intitulée chacune « Romancero », del sol d’abord, (du soleil, de la place si bien nommée, de la clarté brûlante du titre), de los pueblos ensuite (des peuples, brassés sans ménagement par la mondialisation, mais capables de relever la tête) et enfin del fuego (du feu, synonyme de chaleur, mais aussi d’incendie, à nouveau la clarté brûlante...). Un romancero est un ensemble de poèmes anonymes à mi-chemin entre la chanson de geste et la ballade qui remontent pour les plus anciens au XIVème siècle. Leur transmission par voie orale jusqu’à aujourd’hui constituent une mémoire vive de l’histoire et de la culture du pays.

Sylvain George s’inscrit d’emblée dans cette veine populaire et savante et la longue liste de pensées qui émerge du groupe de réflexion aurait tout à fait sa place dans un romancero contemporain. Elle illustre parfaitement le mode de création hybride, erratique et pourtant plein de sens qui est celui du film. Mais au-delà de la division en 3 romanceros, le film est avant tout rythmé par l’alternance entre les moments qui se passent sur la place, véritable agora où liberté de la parole rime avec parole de la liberté et les images sans paroles, quelques fois même sans musique qui sont autant de respirations dans le récit et qui nous emmènent ailleurs. C’est la deuxième voix d’un chant en canon ou le contre-point d’une ligne mélodique pour rester dans la métaphore musicale. Cette deuxième voie nous entraîne en dehors de la place. Une des premières images est celle de tournesols, bien sûr, et Sylvain George par ces moments de calme choisit très soigneusement ce qu’il nous montre, dans un art consommé du montage. Des SDF installés dans la rue pour la nuit aux immeubles vides laissés par la spéculation immobilière aux environs de Madrid, du Valle de los Caidos, mausolée indéboulonnable du franquisme aux barbelés de Gilbraltar, enclave britannique dans la péninsule ibérique, Sylvain continue à faire œuvre de documentariste, sans commentaire, sans voix off, sans récit, sans aucun des outils traditionnels de son métier. Et pourtant, chaque plan raconte une facette de l’Espagne d’aujourd’hui et d’hier, un peu à la manière de Godard dans « Allemagne 9.0 » par exemple...

Les critiques ont beaucoup parlé de « newsreel expérimental » à la sortie du film, mais comment oublier la voix nasillarde, la diction théâtrale et le commentaire sans appel qui caractérisaient les « Actualités » projetées en première partie au cinéma jusqu’à l’avènement de la télévision. Mis à part le Noir et Blanc et la volonté de dire l’événement au moment où il se produit, le film de Sylvain George joue pour moi sur un tout autre registre doté d’une dimension réflexive et esthétique à la fois plus ambitieuse et plus radicale. Mais surtout gardons nous bien de réduire le film à une construction binaire, comme dans un simple champ/contre-champ, Il existe en fait, en pointillé, un troisième fil rouge qui surgit après une demie-heure de film avec le jeune immigré d’Afrique du Nord qui raconte en français comment il a réussi à franchir le détroit de Gibraltar caché sous un camion. Comme un pont en musique, ce personnage se différencie des thèmes principaux, mais il a toute sa place et sans lui, l’ensemble perdrait sa cohérence. Avec ce jeune homme et son parcours, c’est la mondialisation qui fait irruption dans le film, l’autre rive de la Méditerranée et plus globalement l’au-delà de l’Europe. Les Africains qui vendent des CD et autres babioles de contrefaçon à la sauvette et jouent tous les jours au chat et à la souris avec la police ne nous disent pas autre chose. Sylvain George renoue ici avec ses films précédents sur les flux migratoires, attentif aux détails, le T-shirt qui dit The Burning tyres, les canettes de bière, les objets dans la chambre. Tout a son importance, tout est significatif, sans être démonstratif. C’est très certainement l’une des grandes forces du film Et puis, comment ne pas regarder de l’autre côté de la Méditerranée, en mai 2011, quelques mois seulement après que Ben Ali ait « dégagé » !

Le film joue savamment de ces allées-venues entre ici et ailleurs dans un flux tendu qui dit l’évolution dans le temps, l’espoir et la répression, l’histoire qui bafouille et se répète. Sylvain George et sa caméra au cœur du mouvement réussit à rendre plastique ce qui souvent ne trouve pas son reflet dans l’image, ce kaléidoscope d’émotions, d’énergie et de contradictions qui font l’histoire, vaille que vaille.


Après l’extraordinaire Qu’ils reposent en révolte (2010) et le magnifique Les Eclats (prix du meilleur documentaire au Festival du film de Turin en 2011), le cinéaste Sylvain George va à Madrid filmer de l’intérieur le "mouvement des Indignés" qui a été appelé ainsi par la presse en référence au livre de Stéphane Hessel Indignez-vous.

Habitué à une grande organisation dans ses tournages, Sylvain George a été confronté à la rapidité et l’effervescence du tournage de son documentaire. Parti à Madrid sans l’intention de faire un film, le réalisateur s’est vite rendu compte qu’il tenait là un vrai sujet et a filmé au jour le jour, le temps des manifestations.

Sylvain George s’explique sur sa manière de filmer : “Je filme les mouvements sociaux et politiques depuis mes débuts cinématographiques en 2005/2006, date à laquelle j’ai commencé mon travail sur les politiques dites « migratoires » - travail que je suis toujours en train de mener. J’en ai des centaines d’heures. Quelques images sont visibles dans des films, courts ou longs, d’autres seront utilisées ultérieurement. Il n’y a pas une très grande différence, en réalité, entre le fait de filmer un paysage, un individu seul, ou une foule de manifestants. Il s’agit toujours je crois, d’être extrêmement attentif, et de ressentir la façon dont le « sujet » se déploie dans le temps et dans l’espace, de saisir son rythme. A l’inverse de la pensée totalitaire qui envisage une manifestation ou un rassemblement comme la fusion, la dissémination des individualités dans une « masse » uniforme, je considère qu’une manifestation est constituée de milliers d’individus qui ont chacun leur façon d’agir, ou de réagir à un événement. C’est pourquoi, il est extrêmement important de prendre le temps de s’arrêter sur des détails, des gestes, des attitudes, des expressions, des lieux où se déroule l’action ; de s’arrêter un instant sur ce qui peut apparaître comme étant inutile, insignifiant, non essentiel (un vêtement qui traîne, une personne qui fronce un sourcil etc.). Ce qui est important ne se trouve pas uniquement sur la scène, dans la salle, dans les coulisses, mais aussi dans les ruelles adjacentes, les interstices, les « à côté de »… Nier les singularités, comme le « quelconque », sont le fait des partitions majoritaires. Elles créent du spectaculaire. Les images alors construites relèvent de ce qu’on pourrait appeler « l’esthétisation du politique pur. » Tandis que la mise en relation d’éléments apparemment éloignés les uns des autres, y compris dans le temps et l’espace, permet de briser les hiérarchies, et d’attester au plus juste de la singularité du moment, c’est-à-dire du temps et de l’espace en train de se définir, du travail de l’immanence."

Il ajoute : "J’essaie, sur un mode poétique, de créer des correspondances entre des éléments, des motifs, des réalités qui sont parfois éloignés les uns des autres, ou qui paraissent éloignés de prime abord et qui pourtant sont bel et bien connectés. Je fais appel à des « documents » qui viennent enrichir ma lecture et compréhension de l’Espagne, et du monde aujourd’hui. Il y a donc des sortes de stases : la séquence de la ville fantôme Sesena qui permet d’évoquer à la fois, les politiques ultralibérales, la spéculation immobilière, la crise du logement, les expulsions auxquelles procèdent des banques pourtant renflouées par l’Etat Espagnol, et le sentiment d’abandon qui traverse la société espagnole ; le tombeau de Franco, la statue de Lorca, permettent de souligner la question du post-franquisme en Espagne ; la séquence du jeune migrant rencontré Place Puerta del Sol alors qu’il venait de sortir d’un centre de rétention de Malaga, est une façon de s’intéresser à une personne sans papiers en Espagne, vivant dans des conditions extrêmement dures, et par extension de montrer que le processus du 15 M rassemble des gens de générations, d’origines ou de classes sociales très différentes allant du sous-prolétariat à la petite bourgeoisie… Je me suis aussi amusé à jouer avec certains symboles : les images récurrentes de la lune symbole de mort, sont une référence à la poésie de Lorca ; tout comme celle du soleil, symbole de révolution dans les textes de Lorca, Mandelstam, Celan, Benjamin, Anders… Les titres des trois parties du film, qui commencent tous par Romancero, renvoient au texte Romancero Gitano de Lorca bien sûr, mais aussi au texte Romancero de Heine, sa volonté de réaliser des poèmes actuels… Les fleuves, les arbres la nuit, les plates-bandes de fleurs sur les routes, une enseigne lumineuse etc., toutes ces images mises en relation, tentent de saisir l’esprit, le génie, du lieu ou du non-lieu ; de faire apparaître à la fois les réalités majoritaires, comme de faire voir la doublures des choses, de faire émerger d’autres niveaux de réalités, minoritaires, passés ou présents, de jouer avec les trames de l’espace et du temps. Cela fait partie des puissances du cinéma, et de l’art, que de pouvoir créer de nouvelles combinaisons... J’ai donc essayé, dans ce film, non pas de représenter (je ne suis pas un porte-parole, un porte-image), mais de présenter, sans aucune forme de romantisme, politique ou révolutionnaire, et du point de vue du petit, du sous-exposé, du minuscule ainsi que j’en parlais précédemment, certains moments de ce processus, certaines de ses puissances, certaines de ses intensités ; et ce, à travers une forme cinématographique qui soit en adéquation avec le processus de travail.

Interrogé sur la circulation de la parole dans son film, Sylvain George précise : "A Madrid, comme à Vancouver, Wall Street, Taksim (et plus généralement tous les « Occupy » puisque Madrid signe le début de ce processus), la problématique commune me semble être celle-ci : comment, dans un système « démocratique » qui accorde plus de crédit à la parole des financiers qu’à celle des citoyens, dans le quel les personnes ne s’estiment pas être écoutées par les partis politiques et les syndicats traditionnels, une parole peut-elle émerger et se déployer ? En Espagne, ce sont des générations d’individus qui ont été maintenus dans le silence durant des décennies. Certaines durant le franquisme, d’autres durant le post-franquisme et le libéralisme. On a tendance à oublier que les victimes et disparus du franquisme dépassent en nombre les victimes des génocides perpétrés au Cambodge par les Khmers rouges, et que le travail de mémoire est très loin d’avoir été accompli ; pour la période récente, le chômage des jeunes diplômés atteint près de 45 %, et celui des générations plus âgées ne cesse de croître. La majorité des gens vivent dans une grande précarité, survivent grâce à la solidarité familiale, l’entraide entre voisins. La parole, l’acte de nommer les choses, constituent peutêtre le premier geste politique en ce qu’il permet de prendre ou reprendre prise sur des réalités qui nous échappent, de renverser l’ordre des priorités, d’ouvrir à d’autres voies possibles, à la création d’espaces inédits. La place Puerta Del Sol était un véritable îlot hétérotopique où, pour un temps, se sont trouvées à être expérimentées des formes de viesnouvelles. En ce sens, un processus comme celui des indignés est exemplaire, en ce qu’il réactive des notions et concepts qui participent de la philosophie politique occidentale : logos, demos etc. La première partie montre donc, de manière non exhaustive, en s’attachant à des détails, les différents registres de ces paroles politiques : prises de paroles spontanées, témoignages personnels, commissions, assemblées générales, interventions philosophiques ; mais aussi une certaine idée de la jeunesse, entendue comme un éveil permanent à la créativité ; ainsi que l’énergie, le désir, la joie qui irradiaient dans tout le camp. La deuxième partie (anniversaire du 15M en mai 2012), puis la troisième partie (Septembre 2012), montrent à travers des manifestations, happenings etc., comment le 15M n’est pas une indignation passagère (le terme d’ « indignés » est réducteur, ne rend pas compte des enjeux du 15M), ni même un mouvement organisé, mais un processus, absolument horizontal, qui traverse le temps présent comme le temps passé. Un processus qui renvoie à une histoire non écrite, toujours à écrire, de l’émancipation des individus, et qui s’avère donc très dangereux pour les pouvoirs en place. Un processus qu’il importe donc de contenir et de réprimer violemment, par un nouvel arsenal législatif et les interventions policières".

Le documentaire Vers Madrid-The burning bright a été présenté dans de nombreux festivals. Il a gagné le prix du public “Wild Dreamer” au Subversive Film Festival (en 2013) et a reçu une mention du jury au MedFilmFestival la même année.

Afin de faire découvrir la réalité des événements du mouvement au public, Sylvain George a accepté de projeter son film dans différents festivals, avant même que celui-ci soit achevé. Comme le dit le réalisateur, le film "a trouvé sa forme définitive en juin 2014", soit bien après les premières présentations aux festivals (2012).


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri, Théresa Maffeis, Vincent Jourdan et Sylvain George

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
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