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VENDREDI 24 AVRIL 2015 : RÉVOLUTION ZENDJ

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le dimanche 19 avril 2015.


Tariq Teguia

Algérie - 2015 - 2h13 - vostf

En collaboration avec l’ADN.

Ibn Battutâ est journaliste dans un quotidien algérien. Un banal reportage sur des affrontements communautaires dans le Sud algérien le conduit sur les traces de révoltes oubliées du 8e au 9e siècle sous le Califat Abbaside en Irak. Pour les besoins de son investigation, il se rend à Beyrouth, ville qui incarna durant plusieurs décennies toutes les luttes et les espoirs du Monde arabe. Ailleurs sur la carte, Nahla, une jeune palestinienne revient à Beyrouth sur les traces de son père, un militant nationaliste. En Irak sous occupation américaine, Monsieur Prince, entrepreneur multicartes voit grand et compte vite l’argent. Pour préserver ses revenus exponentiels, il se rend à Beyrouth. Tous se rencontreront. Mais du temps s’écoulera avant ces collisions, il y aura des ratages et des impasses, des éclipses et des fictions parce que les fantômes sont partout, parce que Beyrouth, la Babylone des révolutionnaires, n’est plus là que dans ses interstices. Bientôt, il faudra déserter Beyrouth en fuyards, se choisir un autre exil. Une ligne de fuite vers le Nord Ouest pour Nahla, vers l’Est et Bagdad, la Ville des villes pour Ibn Battutâ, reporter indécis maintenant au bord de lui-même, sidéré devant l’ampleur du Tigre, dérivant l’arme à la main sur un mashood dans les eaux du Chott el Arab, le Golfe arabo-persique à portée de main. L’Eden atteint ?

Article de Bruno Precioso : Il est des visages qui semblent familiers même à celui qui les aperçoit pour la première fois ; celui d’Ibn Battûta sans doute est de ceux-là. Car pour celui qui connaît mal la culture arabo-musulmane, mal l’histoire du Moyen-Age, mal l’autre rive en somme, Ibn Battûta n’est que l’un des innombrables noms de ce visage dans lequel nous reconnaissons l’Ulysse d’Homère, Hérodote le père de l’histoire, Marco Polo… pour évoquer des identités plus proches de l’oeil occidental. Et d’autres plus méconnus encore, dans des confins qui sont autant d’autres centres du monde, comme le chinois Zheng He. De manière étonnante – mais est-ce étonnant ? – ces noms semblent se passer le témoin d’un être unique sans cesse et partout réincarné : le voyageur italien s’éteint en 1324 à 70 ans, précisément l’année du 1er voyage d’Ibn Battûta qui a tout juste 20 ans ; à la mort du voyageur berbère, en 1377, le chinois déjà est né qui prolongera le voyage en sens contraire. S’agit-il de voyages, d’ailleurs ? Il serait aussi vain de chercher une catégorie unique et claire pour définir l’activité de l’éternel Ulysse, que de tenter de faire « scientifiquement » la part du mythe et de l’histoire autour de ses figures successives. L’indétermination professionnelle du héros de Tariq Teguia le dit assez, et le prétexte de son métier de journaliste tombe tôt dans le récit : son identité le place d’emblée au dehors et en-dedans du monde tout à la fois. Soldat du mythe, historien de la Grèce classique, marchand de l’Europe en plein essor, géographe et explorateur arabe, diplomate. Voyageur et témoin.

Voyage, déracinement, ré-enracinement ?

Ce 3ème long-métrage de Tariq Teguia, après Rome plutôt que vous (2006) et Inland (2008) laisse peut-être mieux que les précédents apparaître la mosaïque que constitue son réalisateur. Tariq Teguia en effet a conduit des études de philosophie et d’arts plastiques avant de travailler – et d’enseigner à l’école des Beaux-Arts d’Alger – comme photographe. Ce n’est qu’à trente ans, en 1996, qu’il entame une carrière au cinéma qui débutera comme il se doit par des courts (4 entre 1996 et 2002). Dès lors chacun de ses films (tous primés depuis 2003) interroge la mémoire et l’histoire, part en quête des troubles et des tensions sociales qui sont autant de révélateurs d’un passé qui ne passe pas, manifeste l’entêtement à survivre d’identités et de communautés minoritaires ou minorisées, enracinées et déracinées dans une Algérie matricielle. Avec Révolution Zendj, le propos prend de l’ampleur, tant historique que géographique puisque la découverte par Ibn Battûta d’une sorte de révolte initiale devient l’occasion de faire voler en éclat les cadres rigides – mais partout au bord de la rupture – des frontières du temps et de l’espace. A commencer par celui de la définition de la dynamique révolutionnaire elle-même, avant tout temporelle et pour ainsi dire intrinsèquement posée à posteriori. Car l’échec du mouvement de révolte lui interdit le titre de ‘‘révolution’’, mais la continuation d’une révolte passée – au point d’avoir été oubliée – la revitalise aussi surement que le cinéma peut terminer des guerres inachevées, voire gagner celles qui furent perdues. En cela, la création cinématographique agit comme la construction mythologique et peut déployer la même puissance de réorganisation du réel, la même capacité à faire advenir un réel autre. Tout autant que l’Odyssée qui procède régulièrement par bonds en arrière au fil d’un récit qui avance tout de même, Révolution Zendj est un film éminemment construit, c’est-à-dire déconstruit. Tariq Teguia y joue avec le rapport au temps dans l’irruption des mémoires incarnées par chaque personnage ; avec le rapport à l’espace tant cette carte toujours en extension des conflits qui cernent le monde méditerranéen crée dans l’errance un espace cohérent où il est possible de vivre – puisqu’on sait au moins depuis les Châtiments de Victor Hugo que Ceux qui vivent ce sont qui luttent. On parle de jeu, et peut-être est-ce trop peu dire. Si Révolution Zendj nous parvient en mars 2015, Tariq Teguia a écrit son film fin 2009 et commencé à le tourner en novembre 2010 – un mois avant que n’éclate en Tunisie la Révolution dite du jasmin (17 décembre 2010). Notre perspective de spectateur qui sait est donc faussée : loin de courir après les révoltes, Ibn Battûta semble bien les avoir engendrées et c’est ensuite le film entier qui se trouve débordé par son sujet. L’intuition à grande échelle du cinéaste était juste, nourrie par des tensions entre le pouvoir central et les communautés berbères dans les confins algériens qui sont une sorte de basse continue, survivant à toutes les crises ouvertes sans obtenir jamais de règlement. Ainsi sort-on d’une révolte d’apparence perpétuelle pour chercher la révolte originelle, et trace-t-on par là une nouvelle ligne de fuite qui rejoint tous les epsaces en lutte Mais cette ligne ne conduit pas vers une vérité propre à rendre le monde aisément habitable pour autant : ni pacifique, ni accueillant, pas même intelligible pour les personnages livrés à la mémoire de conflits passés pour régler les leurs propres. Définir une ligne, puis la prolonger jusqu’à trouver ce qui réunit, tel semble le projet du journaliste-voyageur qui va du pas ferme de celui qui doute, avance en aveugle éclairé par les feux d’une révolution avortée mille ans plus tôt.

« Nous manquons tous déplorablement d’imagination devant les trouvailles de demain. » (M. Rodinson)

C’est que la lutte, même perdue d’avance, n’est jamais inutile. D’abord parce que de Cyrano à George Orwell et Genet, « on ne se bat pas dans l’espoir d’un succès » ; surtout parce que la lutte se transmet, à travers la légende des siècles ou plus simplement les générations. Le personnage de Nahla témoigne de cet héritage de combat, à la recherche d’un père, Grecque et Palestinienne gardienne des révoltes, mais aussi des cinémas puisqu’elle porte le nom de l’unique film de Farouk Beloufa et rend à 35 ans de distance sa voix à la chanteuse qui fascinait le journaliste algérien dont Beloufa avait fait son héros. Rien pourtant n’est pure citation ici, tout tend à tisser le film dans toute son épaisseur, du cinéma des grands anciens aux choix poétiques ou simplement esthétiques ; la musique elle-même nous parvient d’une insurrection oubliée – celle des MC5 – et lorsque la voix de Godard ou le théâtre de Butor résonnent, c’est avant tout par souci de faire entendre, de nouer les fils. Le film de Teguia se présente donc comme un collage de matériau hétérogène convoqué par tous les sens pour construire cette déambulation à travers les espaces les plus contrastés – de New York à l’Irak, du sud algérien à Athènes... dans tous les lieux où se lèvent les espoirs aussitôt fauchés. Quête paradoxale d’un non-lieu – d’un lieu effacé – d’une utopie au nom de paradis et au goût de défaite. Le cheminement est chaotique, ardu, codé le plus souvent. Mais c’est qu’il appelle par son opacité même à un travail de déchiffrement dont mille clefs sont tout de même livrées. Rarement journaliste se sera montré si peu empressé à imposer un sens prêt-à consommer et laissé vivre tant de questions en liberté. L’errance d’Ibn Battûta, pour labyrinthique qu’elle soit, offre surtout l’occasion d’un étonnant travail de cadre et de plan, tantôt rigoureusement documenté tantôt frappé de la lucidité hallucinée du Voyant. Une histoire longue comme une légende, connue et reconnue comme un mythe, tenant du voyage d’initiation mais remontant aux sources les plus anciennes, aux sources au sens le plus propre qui soit. Il se murmure que le film devait s’intituler Ibn Battûta. Occasion de revenir à Homère pour se souvenir que l’Odyssée laissée sans titre s’est contentée du nom de son personnage principal, Ulysse, Odysseus, pour se faire un nom propre – qui finira par être un nom commun. On oublie trop souvent qu’à la fin de l’Odyssée, Ulysse ne reprend Pénélope dans ses bras que pour une seule nuit – que les dieux complices prolongent comme aucune. Il lui faut ensuite repartir pour obtenir le pardon de Poséidon, et lui consacrer un sacrifice dans une terre où l’on ne connait pas la mer au point qu’on ignore la rame… Partir aussi loin de chez soi qu’il est possible pour pouvoir retrouver sa terre, son identité et les siens. Homère ne fit pas le récit de cette quête d’après la quête, et s’en tint au temps suspendu...

Zendj est le nom d’une rébellion oubliée, celle des esclaves noirs condamnés à assécher les marais de Bassorah dans le Bas Euphrate, contre le Califat abbasside du VIIIe au IXe siècle de l’’ère chrétienne, et écrasée en 879.De cette fureur libératrice, il ne reste pas grand-chose, hormis quelques noms - dont celui d’Ali ibn Muhammad, Maître des Zendj et révolutionnaire avéré - consignés par des chroniqueurs officiels soucieux d’en ternir la vérité, et de rares vestiges archéologiques exhumés de la splendeur aujourd’hui flétrie des marais mésopotamiens que l’imaginaire musulman, à l’aune de la Bible, identifie au jardin d’Eden, le lieu où la fin des oppressions sera rendue possible et le bonheur atteint. C’est de la recherche de cet indiscernable que le périple d’Ibn Battutâ sera fait, au motif d’un reportage au Proche-Orient qui s’avérera aussi évanescent que son objectif réel. Mais le voyage d’Ibn Battutâ n’a-t-il pas pour vocation de mettre en lumière ce qui justement a disparu ? Le journaliste, en se faisant le généalogiste des luttes perdues et oubliées, ne rappelle-t-il pas, à la suite des jeunes émeutiers algériens de Berriane, la nécessité de les reconduire et de les reformuler à l’aune des oppressions actuelles ? À ce stade, une question se pose : est-il envisageable d’entreprendre un film avec le désir de filmer la matière des spectres ?

Interrogé par Bertrand Loutte/Arte.tv sur la rétrospective intégrale qui est consacrée à son oeuvre au Centre Pompidou à Paris, Tariq Teguia confie que ...ce qu’organise le Centre Pompidou reste la manifestation la plus fournie, puisque y est présenté pour la première fois mon tout premier-court-métrage, Kech’Mouvement, qui n’avait pas tellement vocation à être vu, qui était plus pour nous, en 1993, la possibilité de faire l’expérience de la réalisation d’un film...Maintenant, Révolution Zendj n’est pas si ancien, sort en salles cette semaine, et il est intimement connecté aux deux précédents longs métrages. Et dans les courts, on peut trouver des éléments qui seront repris dans les longs, comme la question de l’espace, de la ruine récente, de l’enfermement. Les questions posées dans Ferrailles d’attente et La Clôture, on les retrouvera fatalement dans les premiers espaces arpentés dans Rome plutôt que vous. Même chose pour les acteurs : je n’avais pas revu Kech’ Mouvement depuis 20 ans, et je me suis rendu compte que certains des comédiens seront 12 ans plus tard dans Rome plutôt que vous. Ça m’a rappelé qu’il y avait une continuité sur tous ces points, que jamais je ne suis pas passé de but en blanc à quelque chose de différent. Et les longs métrages, ce sont assurément les trois panneaux d’un triptyque : Rome plutôt que vous c’est Alger et sa banlieue pendant la guerre civile, « la décennie noire » comme on l’appelle en Algérie, Inland ce sont les profondeurs du pays après « la guerre lente » ainsi qu’un mélange de très grande lenteur, de très grande vitesse et de très grandes profondeurs dans l’espace, et enfin Révolution Zendj c’est l’élargissement de la carte, où après avoir remis l’Algérie en Afrique je la connecte avec des espaces qui sont les siens, c’est-à-dire le monde méditerranéen et le monde arabe. Donc, sans vouloir sciemment me retourner sur ces films, je suis obligé de constater qu’ils sont intimement liés. Pendant les discussions et débats, on peut assez facilement passer de l’un à l’autre de ces films, ne pas les appréhender individuellement. Je n’ai jamais traité d’un sujet, tout cela c’est de la matière, et toute cette matière est inter-connectée. Ce sont des variations, des modulations...Dans Révolution Zendj, le journaliste voyage, traverse des espaces, regarde autour de lui, il se demande où en sont les sociétés arabes. Donc, après trois années de travail sur ce dernier film, ce n’était pas simple de relancer à nouveau la machine. Ça l’était d’autant moins que dans la question, il y avait « Tariq Teguia », et c’était bien ça qui posait problème. Comment faire un autoportrait où je n’apparaîtrais pas ? C’est à ça que j’ai travaillé : faire un autoportrait fuyant, à moitié là, comme le personnage du topographe dans Inland. Voilà, j’ai fait un autoportrait en creux, j’ai fait un autoportrait à la quatrième personne du singulier. Avec les souvenirs de la photographie américaine, Lee Friedlander en particulier. Il y a un sous-titre à ce film, c’est « Entre les mailles ». C’est-à-dire un sujet peu sûr de ses contours. J’ai refusé l’assignation, j’ai refusé l’état civil en quelque sorte. Certes on y entend ma voix, mais autant alors être un personnage de fiction. Comme dans les trois longs métrages, où les personnages principaux sont une projection, une démultiplication, un autoportrait multi-facettes, en fragments, de ce que je suis supposé être...

Le tournage de Révolution Zendj s’est déroulé dans différentes parties du monde : à Alger, Athènes, Thessalonique en Grèce, Beyrouth, en Irak et pour finir, à New York. Le réalisateur explique que "La création de ce film est aussi un paradoxe, car c’est un film qui parle de la persistance d’une possibilité de révolte, de la révolution, d’un refus de l’oppression. On l’a démarré avant même que commencent les premières émeutes qui ont donné lieu à la révolution tunisienne, avant les mouvements de renversement des régimes en Tunisie, en Egypte et au Yémen. Là est le paradoxe : nous avons commencé quelque chose, et avons continué alors que ça prenait forme devant nos yeux à Beyrouth. Le film qui explorait la possibilité du refus de l’oppression- c’était ça un peu une des thématiques du film - était surplombé par ce qu’il se passait en arrière-plan - puisqu’on écoutait la radio et regardait la TV pendant qu’on tournait le film à Beyrouth."

Le réalisateur Tariq Teguia a pris l’habitude de travailler avec des petits budgets. Sur son premier film Rome plutôt que vous, la production avait réuni une somme de 150 000 euros, ce qui est extrêmement réduit. Pour son second long-métrage Inland et le troisième Révolution Zendj, il double le montant, puisque environ 300 000 euros lui ont été accordés.

Révolution Zendj voit le jour en 2013, alors que la réalisation a débuté en 2010. Il aura fallu presque 3 ans pour que le long-métrage puisse atterrir dans les salles de cinéma en raison des difficultés de financement.

Révolution Zendj a obtenu le Grand Prix du Festival Entrevues de Belfort en 2013. La même année, il obtient le Grand Prix Janine Bazin. En 2014, il obtient le Prix Anno Uno au Festival International de Cinéma et d’Art de Trieste.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.

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