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Touki Bouki - 7ème Festival annuel - Frontières

Samedi 07 février - 21h - Cinéma Mercury
Publié le vendredi 6 février 2009.


Le Voyage de la Hyène
Djibril DIOP MAMBETY – Sénégal - 1973 –1h35

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La superposition des frontières

Touki- Bouki, premier long-métrage de Djibril Diop Mambety, est un hymne à la jeunesse. Débordant d’énergie, c’est un film qui mord dans la vie à belles dents comme ses personnages, rebelles et insatisfaits, à la recherche d’un ailleurs forcément synonyme de vérité et de bonheur. Le film lui-même, sorti en 1973, marque un tournant, voire une rupture dans le panorama du cinéma africain de l’époque. Avec Touki- Bouki, D.D. Mambety apporte la preuve que les films africains ne doivent pas nécessairement être des “films de calebasses”.C’est ainsi qu’on appelait à l’époque ces films nostalgiques d’un mythique âge d’or de l’Afrique d’avant la colonisation ...qui n’avait bien sûr probablement jamais existé. Avec Touki- Bouki, Mambety propulse le cinéma africain dans la modernité. Modernité de la mise en scène et du montage. Mambety rompt avec la linéarité traditionnelle du récit pour imprimer à son film un rythme que certains qualifieront de chaotique ou d’irrationnel. Mais nous sommes dans la danse de la vie avec ses contradictions, ses soubresauts et surtout ses rêves. Car nous sommes ici avant tout dans le rêve de l’ailleurs. Et l’ailleurs commence à notre porte.

Mory, le jeune berger, commence par n’être plus berger. Du village à la ville, premier ailleurs, première frontière. Synonyme bien sûr de perte de repères. Son troupeau de buffles disparu, comment va-t-il se définir ? De la lenteur à la vitesse, du calme au bruit, de la flûte à la radio, de la routine à la découverte. C’est l’ivresse de cette liberté du nouveau départ. Mais peut-on vraiment choisir ce que l’on va devenir ? Tout le film tient dans cette tension entre l’ici et l’ailleurs, le connu et l’inconnu, les racines et l’arrachement, le rêve et la réalité. Dans ce nouvel environnement inconnu, faute de rêver, il faut se débrouiller... Se débrouiller implique pour notre héros de passer une autre frontière, celle de la loi et la morale établie. Mais qu’importe, il faut oser. Puisque c’est ce qui permet de continuer de rêver, rêver à un autre ailleurs encore plus lointain, encore plus inaccessible. « J’ai deux amours, mon pays et Paris », la chanson de Joséphine Baker qui revient en boucle dans le film est à elle seule tout un programme au même titre que la Tour Eiffel renversée de l’affiche. Nous sommes dans la fascination. Et Mambety n’hésite pas à utiliser ellipses et ruptures, à la fois dans l’espace et le temps, pour nous faire ressentir cette tension, ce grand écart permanent qui mobilise toute l’énergie des personnages. Car Mory n’est pas seul. Avec la rencontre d’Anta, la jeune étudiante, le rêve va être démultiplié. Ils vont chacun alimenter le rêve de l’autre et c’est aussi ainsi qu’ils se rendront compte qu’ils n’ont pas le même rêve. C’est Anta qui prendra le bateau. Mory restera accroché à sa corne de buffle. Chacun son chemin. Les deux sont difficiles. Le titre du film, Touki- Bouki, signifie « Le voyage de la hyène ». Hyène, symbole teigneux de la marginalité. C’est sur ce terrain-là, à la marge, que Mambety situe ces héros. On sent bien que c’est ce qui l’intéresse. Pour reprendre ses propres termes, « Peut-être un marginal peut-il vous livrer une vision pertinente d’une société car il diverge de ses normes » Mory et Anta ne se contentent pas de ce qui leur est proposé. La construction de l’Afrique post-coloniale ne les fait plus rêver. Ils appartiennent à la génération qui a déjà déchanté. Ils veulent autre chose, sans forcément très bien savoir quoi. .... Vingt ans plus tard, Mambety intitulera son deuxième long métrage Hyènes. L’écho avec son premier titre est à fois évident et puissant. Mais que restera-t-il des rêves de la jeunesse ? Nous y retrouverons une femme qui était partie, un homme qui était resté. Celle qui revient fera exploser tout le tissu social du village révélant à quel point chacun porte sa part de hyène, à quel point chacun peut être la hyène de l’autre. Jusqu’à la mort, avec la teigneuse ténacité de la hyène. Le constant sera terrible et sans appel.

Malheureusement, Djibril Diop Mambety n’aura pas le temps de nous livrer le dernier volet de sa trilogie. Nous ne saurons jamais s’il aurait réintroduit un peu d’espoir dans cette vision si noire de l’humanité. Seule sa « trilogie des petites gens », elle aussi inachevée puisqu’il n’a pu filmer que deux épisodes, Le franc et La petite vendeuse de soleil pointe la capacité des êtres à garder le cap de la dignité. La ténacité s’avère alors une vertu employée à bon escient. La survie peut aussi aller puiser dans le meilleur des hommes.

Noirceur et lumière ou pour revenir au bestiaire de Mambety, hyène et lion, l’homme est tout cela à la fois, son cinéma nous le dit avec force et efficacité. « Pieds sur la terre et tête dans les nuages ». Merci Monsieur Mambety

Josiane Scoleri.

Scénario et Réalisation : Djibril Diop Mambety Photo : Georges Bracher Production : Djibril Diop Mambety et Medoune Faye Avec : Magaye Niang (Mory) Mareme Niang (Anta) Aminata Fall (Tante Oumy) Ousseynou Diop(Charlie)

Ce film, présenté dans le cadre du 7ème festival de Cinéma sans Frontières, bénéficiera d’une présentation et d’un débat avec le public.

Animation : Josiane Scoleri