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VENDREDI 15 AVRIL 2016 : THE ASSASSIN

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le vendredi 8 avril 2016.


Film de Hou Hsiao Hsien

Taïwan - 2015 - 1h45 - vostfr

Chine, IX siècle. Nie Yinniang revient dans sa famille après de longues années d’exil. Son éducation a été confiée à une nonne qui l’a initiée dans le plus grand secret aux arts martiaux. Véritable justicière, sa mission est d’éliminer les tyrans. A son retour, sa mère lui remet un morceau de jade, symbole du maintien de la paix entre la cour impériale et la province de Weibo, mais aussi de son mariage avorté avec son cousin Tian Ji’an. Fragilisé par les rebellions, l’Empereur a tenté de reprendre le contrôle en s’organisant en régions militaires, mais les gouverneurs essayent désormais de les soustraire à son autorité. Devenu gouverneur de la province de Weibo, Tian Ji’an décide de le défier ouvertement. Alors que Nie Yinniang a pour mission de tuer son cousin, elle lui révèle son identité en lui abandonnant le morceau jade. Elle va devoir choisir : sacrifier l’homme qu’elle aime ou rompre pour toujours avec "l’ordre des Assassins".

Article de Josiane Scoleri :

The Assassin est un film qui nous transporte instantanément dans le temps et dans l’espace. En cela, il remplit d’emblée son office de film d’époque, en costumes et décors qui - en soi, sont déjà un ailleurs - et s’inscrivent dans des paysages de temps géologiques où la marque des hommes est à peine perceptible. Le film porte en lui cette dimension du rêve/ récit, sûrement notre caractéristique la plus humaine, où se reflète notre irrépressible besoin de fiction, porté ici par le fantastique du wu sia pien( film de sabre chinois). Le genre une fois posé, Hou Hsiao Hsien va évidemment en transfigurer les codes dans une épure empreinte de mystère, à rebours de qui constitue en principe la colonne vertébrale des ilms de cape et d’épée, à savoir les scènes de combat orchestrées dans des chorégraphies où le magique le dispute au spectaculaire. Il est d’ailleurs touchant de voir à quel point les grands réalisateurs de culture chinoise sont tous, à un moment ou à un autre, aimantés par le wu sia pien, de Chen Kaige à Zhang Yimou, de Ang Lee à Wong Kar Wai .... Cela nous donne la mesure de la vivacité de cette culture populaire qui irrigue depuis des siècles l’imaginaire de tout un pays, d’abord par la littérature, puis par le cinéma depuis qu’il existe.

Hou Hsiao Hsien joue le jeu et se situe au plus près de cette tradition. Le personnage principal, Ynniang, joué par sa fidèle interprète Shu Qi, est d’ailleurs tiré d’une célèbre nouvelle (wu sia chuanqi) du IXsiècle. Tant par l’intrigue comme par la reconstitution historique, le film se veut une juste mise en image de ces récits où se croisent les intrigues du pouvoir et la morale, l’ambition et la rigueur , l’amour et le rapport maître - élève. À ceci près que c’est ici une mise en image véritablement somptueuse. Le travail sur la couleur et la lumière est exceptionnel ( un coup de chapeau tout particulier au chef-opérateur Pin Bing Lee). Chaque plan est composé avec la minutie d’un tableau et tout le film peut se lire comme un hommage aux maîtres, souvent anonymes, de la peinture classique chinoise où l’art du paysage a atteint des sommets inégalés d’expressivité et de délicatesse. Les panoramiques eux- mêmes ne sont pas sans rappeler les rouleaux de peinture qui dévoilent peu à peu leur contenu. Les effets de brume ou de reflets sur l’eau, la multiplicité des plans à l’intérieur du cadre qui accentuent la profondeur de champ, le soin accordé au détail, tout concorde pour faire des moyens du cinéma un magnifique pinceau . Le traitement accordé aux intérieurs est tout aussi remarquable. Il est difficile de choisir, mais s’il ne fallait citer qu’une scène, celle qui se passe chez la jeune concubine Hu-Ji est un exemple sidérant d’invention visuelle et esthétique. À commencer par tous les plans rapprochés sur ces ronds de lumière qui dansent et permettent de sculpter l’ombre en jouant en permanence entre ce qui nous révélé et ce qui nous est caché. Autre magnifique idée de mise en scène : le jeu sur les voilages qui délimitent les différents espaces intérieurs et permettent de subtils va et vient selon que nous nous trouvons avec la caméra devant ou derrière ce filtre impalpable. Le même plan vu par Ynniang derrière les voiles prend une toute autre signification que lorsque nous observions directement les amants tout à leur intimité. Nous passons ainsi à plusieurs reprises d’une chaude lumière dorée à un univers où les contours sont légèrement estompés et les couleurs presque éteintes. Et si les soies vaporeuses permettent à Ynniang d’observer sans être vue, elles suffisent également à rendre le bonheur inaccessible...

La couleur mérite elle aussi une mention spéciale. Les costumes jouent de presque toutes les couleurs franches, et les scènes de groupe deviennent instantanément des symphonies éclatantes où le rouge, le blanc et le noir ont la part belle. Que ce soit les scènes du Conseil des Ministres autour du gouverneur ou les scènes de danse, le rythme est dans la couleur qui anime et définit l’espace. Les apparitions de Ynniang, entièrement vêtue de noir sont le contre-point visible de ces explosions de couleur. Elles ponctuent le film et constituent la colonne vertébrale de la trame narrative.

Et puisque nous sommes dans un wu sia pien, il nous faut bien sûr parler des combats. Dès le premier épisode pendant le prologue en Noir et Blanc qui ouvre le film ( dans un autre format pendant la projection à Cannes), Hou Hsiao Hsien nous expose sa méthode : l’action est suggérée à la rapidité de l’éclair et déjà nous en voyons le résultat sans que nous ayons eu le temps de nous demander ce qui s’est réellement passé. Le combat avec la femme masquée en est un bon exemple : deux brefs échanges et presque tout de suite un plan sur le masque à terre coupé en deux signifiant la fin du combat et bien sûr la victoire de Ynniang. Encore plus significative, la dernière rencontre avec la nonne où une petite entaille dans son costume immaculé suffit à démontrer que l’élève a définitivement dépassé le maître. La rupture est consommée. Ynniang s’éloigne. Une nouvelle vie peut commencer pour elle.

Dans le rythme du film, l’approche, toujours parfaitement indétectable de Ynniang est en en elle - même synonyme de suspens car si elle annonce l’action, nous ne savons jamais quelle forme elle va prendre. Ynniang, impassible, est la plupart du temps sans arme. Il est rare qu’elle se serve d ’autre chose que de son petit poignard. Tout est dans la concentration et la maîtrise du geste , nous sommes au cœur même de la pratique des arts martiaux conçue comme une forme de méditation. D’ailleurs le maître d’armes de Ynniang est une nonne qui vit dans un monastère perdu dans la montagne.

Le combat est une ascèse à visée morale. Le choix esthétique du réalisateur va dans ce sens. Il choisit l’ellipse aux antipodes de l’esbroufe virevoltante habituellement associée au genre. De fait, Hou Hsiao Hsien n’a pu compter que sur lui-même pour la mise en scène de ces combats tant son approche diffère de celle habituellement requise dans les studios. Il nous offre ainsi un film tout de subtilité, dans une recherche esthétique intense, servie par un art de la mise en scène incroyablement inventif qui permet de rendre pleinement hommage au genre historique du wu sia pien tout en le réinventant à chaque pas.

Dans la même veine, on pourrait aussi citer la musique, de la cithare classique autour de la légende de l’oiseau bleu, en décalage par rapport à la voix off, aux roulements de tambour qui, dans les scènes de nuit, suffisent à rendre palpable la menace qui précède et accompagne les patrouilles aux flambeaux. Sans oublier la musique de fin où se mêlent tout d’un coup instruments bretons et percussions africaines sur fond de campagne chinoise . Hou Hsiao Hsien lui-même est incapable d’expliquer son choix. Et, par je ne sais quel miracle dont seul le cinéma est capable, ça marche. Mais ce n’est pas pour autant un caprice de réalisateur en mal d’exotisme. Ça marche sans doute aussi parce que nous sommes transportés d’un coup dans l’inconnu, cet inconnu que Ynniang aura finalement réussi à choisir pour elle-même.

Attendu depuis des années, avec un tournage étalé sur cinq ans, The Assassin marque le retour de Hou Hsiao-Hsien après 8 ans d’absence. L’action de The Assasin se déroule en Chine durant le 9ème siècle sous le règne de la dynastie des empereurs Tang (618-907). Le film est inspiré d’un chuanqi, une courte nouvelle intitulé Nie Yinniang. Ce format était très répandu à l’époque à travers l’art romanesque. Hou Hsiao-Hsien explique que "sous la dynastie Tang a été produite une littérature très intéressante, faite de brefs récits, moins de 2 000 caractères, qui transmettent beaucoup d’informations sur l’époque. Sous les dynasties précédentes, comme les Sui, les récits s’aventuraient beaucoup plus loin dans l’extraordinaire, ils mettaient en scène des esprits, des divinités, des situations étranges. Ce fut également le cas sous les Tang, et même dans le court récit de l’histoire de Yinniang - mais il y a quand même davantage de détails qui nous lient à l’époque. Ce sont des récits que j’ai lus à l’université, et cette histoire m’a plu. Certes, Yinniang peut s’y transformer en insecte pour se dissimuler dans les entrailles de quelqu’un, mais je n’ai pas utilisé ce genre de détails, je me suis concentré sur le postulat : une jeune femme qui a un père général, et une nonne dans son entourage proche, laquelle décide, une nuit, de l’enlever pour l’entraîner aux arts martiaux. Et j’ai aimé le nom de ce personnage : Nie, le nom de famille, est un caractère chinois composé de trois fois le radical de l’oreille, et son prénom, Yinniang, veut dire la femme cachée, dissimulée".

Le réalisateur Hou Hsiao-Hsien s’est beaucoup documenté sur l’époque en lisant notamment de nombreuses annales et chroniques historiques. Le cinéaste tenait à ce que le moindre détail paraisse réaliste et authentique, des costumes à la manière dont les gens mangeaient. Un conte célèbre en Chine se retrouve dans The Assasin, il s’agit de L’oiseau bleu et du miroir. Ce récit est tellement ancré dans la culture populaire du pays que les mots chinois miroir et oiseau sont devenus synonymes. Bien que The Assasin soit un film d’action comprenant plusieurs scènes de combat, Hou Hsiao-Hsien préfère qu’on ne le compare pas à un simple film de kung fu. En effet, le cinéaste revendique plutôt l’influence des films japonais de samouraï comme ceux d’Akira Kurosawa que celle des films de sabre chinois avec des guerriers qui volent dans les airs tels que Le secret des poignards volants de Zhang Yimou, Tigre et Dragon d’Ang Lee, de The GrandMaster de Wong Kar Wai ou Detective Dee de Tsui Hark. "Les wu xia pian formaient un arrière-plan culturel très présent alors que je grandissais. J’en ai vu beaucoup, des films de la Shaw Brothers de Hongkong, mais aussi de Taïwan et du continent. Mais ceux que j’apprécie particulièrement sont les films de samouraïs japonais. Pourquoi ceux-là ? Parce que ce sont les plus réalistes. Je pense que cela vient du fait qu’il y a, encore aujourd’hui au Japon, des salles d’entraînement au sabre, et que cette tradition reste très vivace là-bas. C’est cette continuité dans la vie des Japonais qui fait que leurs films d’arts martiaux à eux demeurent réalistes. Et il émane d’eux une énergie très puissante, autre critère qui m’importe... Les guerriers qui volent dans les airs, qui font des pirouettes au plafond, ce n’est pas tout à fait mon style, je ne suis pas fait pour ça et j’en serais incapable. Mon style, c’est de rester sur terre. Les scènes de voltige dans The Assassin sont comme des citations de ces films de genre mais certainement pas le fond de l’intrigue...The Assassin ne contient pas beaucoup de scènes de combat, mais elles ont été gourmandes en temps de tournage. Je souhaitais retrouver le rythme et la justesse de l’énergie qui se dégagent de la littérature et des films de sabre japonais. Il a donc été difficile pour les acteurs, qui ne sont pas des professionnels du film de sabre, de maîtriser les figures. Pour être crédible dans son rôle d’assassin, Shu Qi devait à la fois conserver la retenue de son personnage et jouer des scènes de combat.", explique le metteur en scène.

Le réalisateur Hou Hsiao-Hsien n’a inclus aucun gros plan dans The Assasin, privilégiant les cadres plus larges et les plans-séquences : "J’affectionne les longs plans-séquences qui englobent l’arrière-plan des personnages, le contexte des objets qui les entourent, voire les paysages. Un long plan-séquence permet d’aller plus loin, toujours plus loin. Capter l’ensemble des choses en une seule fois. Je n’aime pas les effets de montage qui théâtralisent l’action, qui, physiquement, hachent le mouvement", affirme le cinéaste. Les extérieurs de The Assasin ont été tournés en décors réels en Mongolie intérieure et dans la province de Hubei, en Chine. Hou Hsiao-Hsien a été fasciné par ces paysages magnifiques de forêts et de lacs. Les paysans vivants dans ces contrées et présents dans le film sont d’ailleurs de vrais paysans qui ne changeaient rien à leur manière de vivre lorsque le cinéaste filmait ses scènes. Ils ont même été une source d’inspiration pour le metteur en scène.

Sur le plateau, Hou Hsiao-Hsien préfère laisser les acteurs s’approprier eux-mêmes les scènes, c’est pour cette raison qu’il n’est pas un metteur en scène qui dirige de manière trop stricte ses comédiens : "je ne suis pas un cinéaste qui dirige ses acteurs de trop près, en les touchant ou en leur chuchotant des trucs à l’oreille. Bien sûr, ils ont lu le scénario mais après, concrètement, sur le tournage, je les laisse faire, je les laisse filer. C’est peut-être une question d’éducation, de politesse, de tact. Je ne m’approche pas trop près de leurs corps, de leurs visages. Pour ne pas les perturber dans ce qu’ils apportent d’eux mêmes aux personnages. Mon travail consiste à recevoir ce qui arrive dans une scène et de capter, si possible, le meilleur", analyse le réalisateur. De nombreux personnages féminins sont présents dans The Assasin : "je suis toujours du côté des femmes. Leur monde, leur psychée, me paraissent nettement plus intéressantes que ceux des hommes. Les femmes ont une sensibilité et une complexité mentale, un rapport au réel qui me semble plus intrigant. Disons que les femmes ont des sentiments sophistiqués et très excitants alors que les hommes ont des idées raisonnables plutôt ennuyeuses", explique Hou Hsiao-Hsien. C’est la troisième fois qu’Hou Hsiao-Hsien dirige la comédienne Shu Qi après Millennium Mambo en 2001 et Three Times en 2005. Chang Chen travaille quant à lui pour la seconde fois avec le cinéaste après Three Times, film dans lequel il donnait déjà la réplique à Shu Qi. Interrogé sur sa collaboration avec Shu Qi, le réalisateur raconte : "Dès que j’ai fait sa connaissance, j’ai été épaté par sa capacité de concentration et par son implication dans son travail. C’est une actrice formidable et rare. Une fois qu’on a décidé de travailler ensemble, on est devenu très bons amis. Elle vit à Hong Kong, mais dès qu’elle a l’occasion de rentrer à Taïwan on fait en sorte de se voir. Je dois dire que si je ne la connaissais pas, je n’aurais probablement pas su qui choisir pour incarner le personnage de « The Assassin ». Il est souvent très difficile de trouver une actrice qui corresponde au rôle, et je suis heureux qu’elle ait accepté de l’endosser". Shu Qi, s’est tellement investie dans son rôle qu’elle n’a pas hésité à payer de sa personne. En effet, compte tenu des nombreuses scènes de combat présentes dans le film, la comédienne repartait couvertes de bleus à la fin de chaque jour de tournage de ce genre de scènes.

The Assassin est présenté en Compétition Officielle au Festival de Cannes 2015. Le film repart avec le Prix de la mise en scène.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

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