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Vendredi 26 Novembre 2010 - THE HOST

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le jeudi 18 novembre 2010.


(GWOEMUL)

Film de BONG Joon-ho

Corée du Sud - 2006 - 1h59 - vostf

Regard mensuel sur le cinéma coréen

Film de "monstre" ? Il y en a effectivement un et même bien d’autres, ceux-là pourtant bien humains et responsables...

Film politique ? Oui, l’un des plus pertinents et réussis du cinéma coréen des dix dernières années...

Film sociologique ? Oui, via l’étude d’une famille modeste de losers qui resserrent les rangs pour sauver la plus faible (ou la plus forte ?) d’entre eux...

Film dramatique ? Oui, forcément...

Film comique ? Oui, résolument...

Film spectaculaire ? Oui, sans que jamais pour autant la forme n’existe que pour elle-même...

Film d’auteur ? Oui, du cinéaste coréen le plus excitant du moment, à qui l’on doit déjà Barking Dogs Never Bite (2000), Memories For Murder (2004) et Mother (2010).


The Host, d’un monstre aux autres

Par Philippe Serve

Si qualifier The Host de « film de monstre » n’a rien de… monstrueux, vu l’histoire que nous raconte le film, l’enfermer dans ce genre cinématographique, pour s’en réjouir ou pour s’en méfier – notamment dans les salles d’Art et Essai – serait non seulement préjudiciable à l’œuvre mais aussi assez stupide. Car le troisième long-métrage de Bong Joon-ho (après Barking Dogs Never Bite en 2000 puis Memories of Murder en 2004 et avant Mother en 2009) va bien au-delà d’un simple film de genre, même pourvu des meilleures qualités cinématographiques.

Dans son style si personnel et vite reconnaissable, fait de contre-pieds, de faux-semblants, de séquences inattendues où des gags dignes du meilleur slaptick percutent de plein fouet des situations dramatiques, ne faisant que renforcer encore davantage l’absurdité du drame, Bong Joon-ho ne se contente pas plus ici que dans ses deux films précédents ou son suivant, de coller à son propos/prétexte de départ. Les contextes dans lesquels il inscrit ses drôles d’histoires (à tous les sens du terme) interpellent le spectateur, qu’il soit coréen ou pas. Le choix d’une famille tout ce qu’il y a de plus modeste et banale – un grand-père (tout) petit commerçant, ses trois enfants (un jeune diplômé chômeur ex-militant désœuvré et alcoolique, une talentueuse tireuse à l’arc trop lente pour décrocher une médaille d’or, un père solitaire, fainéant et à l’esprit ralenti et la fille de ce dernier, « trésor » de la famille, adolescente vive et admiratrice de sa tante) – nous rend très vite les protagonistes attachants car universels. En une séquence d’exposition familiale brillantissime où le spectateur fait connaissance en moins de trois minutes et avec précision – même sans forcément les voir - de chacun des membres de cette famille, Bong Joon-ho nous plonge et nous attache au cœur battant de cette famille cassée que rien ne semble à première vue pouvoir réunir. Le mépris de scientifiques et militaires américains – l’histoire démarre sur le récit d’un fait réel -, l’apparition du monstre, la situation exceptionnelle engendrée par celle-ci et le complot manipulatoire des autorités politiques vont faire basculer le film dans une autre dimension aux multiples facettes.
Philosophiquement et politiquement passionné par le thème du chaos – terme qu’il associe volontiers au contexte social et culturel de la Corée du Sud – Bong Joon-ho y oppose la solidarité des petites gens et le sens du sacrifice du faible pour le plus faible que soi. La famille du film fait tout pour sauver la petite fille des pattes du monstre mais elle, la jeune Hyun-seo, elle lutte pour qu’un enfant plus jeune encore puisse survivre.

Cette famille et la lutte qu’elle mène avec ses armes dérisoires s’inscrit dans un espace saisissant, décors naturels judicieusement choisis par Bong Joon-ho : le fleuve Han où naît, grandit et d’où surgit le monstre, ses rives, divers ponts aux armatures impressionnantes et, clou du spectacle, les égouts servant de refuge à la créature. Le tournage y fut d’ailleurs particulièrement difficile pour tous et compliqué sur le plan technique. L’utilisation des véritables conditions climatiques au moment du tournage – pluie diluvienne, une habituée des films coréens – ajoute une dimension cataclysmique à l’histoire. Ce souci de réel via le refus de l’artifice des studios se double d’une attention portée comme en filigrane à la personnalité même du monstre. Bong insiste sur le fait que ce dernier est un être perclus de douleurs, instable physiquement et psychiquement, au caractère impulsif et dont les souffrances entraînent de véritables accès d’hystérie. Contrairement à la plupart des films du genre, aucun scientifique ne vient ici nous expliquer tout ça. Il appartient au spectateur de tirer lui-même ses déductions à partir de ce qu’il voit.

Bong Joon-ho maîtrise à la perfection le rythme de son film, alternant temps forts et temps faibles, ces derniers permettant au spectateur de reprendre son souffle et de réfléchir, exactement comme les personnages. Le montage offre une grande palettes d’échelles de plans, passant de vues générales – avec une utilisation très intelligente de la profondeur de champ – aux gros plans qui donnent une impression de force permanente.

La critique sociale et politique – autant des autorités coréennes qu’états-uniennes – s’inscrit au cœur du film et se rend inséparable de la dimension humaine de la famille Park. L’humanité de cette dernière – c’est-à-dire sa grandeur et sa faiblesse – prend toute sa valeur au contact antagoniste de la profonde inhumanité du système. Bong Joon-ho revendique clairement la satire des Etats-Unis et de leur politique, notamment militaire, menée en Corée, considérée comme une sorte de vassale stratégique. L’importation des pseudo-valeurs occidentales au premier rang desquelles l’individualisme entraîne la marginalisation puis la chasse de la famille. « Le monde les blesse davantage que le monstre lui-même », assène le cinéaste. En Corée, parler de l’individu amène forcément à parler de la société et de l’Histoire car les rapports entre celui-ci et celles-là sont toujours très étroits. Les décennies de dictatures – entraînant de gigantesques manifestations suivies de sanglantes répressions au début des années 80 – pèse encore dans les têtes et dans les relations entre l’individu et l’Etat. C’est aussi de cela dont parle Bong Joon-ho. Il crée un lien entre ces souvenirs purement locaux et des problématiques typiquement états-uniennes avec des références très nettes à l’agent orange utilisé au Vietnam (et ici devenu jaune) et la manipulation des esprits sur les soi-disant armes de destruction massive irakiennes, permettant d’entretenir la peur, meilleure condition au contrôle des populations. Notons que les medias, par leur empressement trop souvent servile à relayer les mensonges gouvernementaux, en prennent aussi pour leur grade.

Je signalerai aussi un autre thème courant tout au long du film : celui de la nourriture. Le désir que celle-ci suscite et la manière dont, une fois absorbée, elle transforme les êtres. Lien social unificateur (voir la scène de repas familial, sommet de délicatesse et de poésie onirique), elle est aussi source de catastrophe (l’appétit du monstre après qu’il a « goûté » par accident à la chair humaine.)

Présenté et acclamé à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, The Host, à l’important budget (à l’échelle coréenne) de 12 millions de dollars, est aussi très révélateur de la démarche cinématographique de Bong Joon-ho. Outre de se frotter aux films de genre pour mieux en faire reculer les frontières, il développe en effet avec maestria sa spécialité : la fusion de sentiments contradictoires au sein d’une même séquence, voire d’un même plan. Ou quand le concept du Hee Lo Ae Lak (quatre caractères associés, signifiant littéralement Joie Colère Tristesse Plaisir et sous-tendant une succession si rapide des sentiments qu’ils finissent par se confondre) donne la main à celui du Piksari, sorte de « raté » comique générant en principe un gag visuel qui court-circuite ou au contraire entraîne une situation dramatique. The Host abonde en exemples, pour le plus grand étonnement – et la plus grande joie – du spectateur.

Treize millions de Coréens (plus d’un sur quatre !) firent un triomphe au film avant que celui-ci n’aille recueillir des lauriers mérités ailleurs. L’un des mérites de The Host aura été de montrer qu’un film dit de monstre peut aller bien au-delà de son genre et s’affirmer comme un remarquable film d’auteur.

P.S.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe SERVE.

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