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Vendredi 28 janvier 2011 - OLD BOY

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le samedi 22 janvier 2011.


Film de PARK Chan-wook

Corée du Sud - 2003 - 1h59 - vostf

Regard mensuel sur le cinéma coréen

Oh, boy !

Par Philippe Serve

Comment encaisser les coups assénés par Old Boy ? Voilà la question que se pose le spectateur sortant, sonné, de la salle-ring où il vient de découvrir le film punchy de Park Chan-wook.
K.O., ce spectateur l’est, soûlé de coups physiques mais surtout mentaux. Old Boy est une épreuve, unique, et un grand moment de cinéma. On pourrait presque parler de miracle après le moyen Sympathy for Mr Vengeance et avant le détestable Lady Vengeance, les deux autres volets de la Trilogie (dite avec logique de la Vengeance…) qui encadrent Old Boy.
Avant que ne débute cette trilogie et après deux films totalement passés inaperçus, Park Chan-wook avait décroché la timballe avec J.S.A. (Joint Security Area, 2000), blockbuster à la coréenne et thriller humano-politique racontant l’amitié aux conséquences tragiques entre soldats nord et sud coréens. Résultat : un record alors historique de fréquentation (près de 6 millions de spectateurs). Film solide et maîtrisé dans le cadre commercial qui était le sien. Un savoir-faire évident, une bonne dose de violence, d’excellents acteurs mais aussi une histoire souvent prévisible, le succès de J.S.A. permit à son auteur d’avoir carte blanche pour son projet suivant. Ce fut donc Sympathy for Mr Vengeance (2002). On y retrouvait la même maîtrise impressionnant le spectateur pendant une heure. Hélas, le scénario écrit en moins de 24 heures ( !), trop simpliste, dégageait une grande faiblesse et des personnages ne déclenchant pas le moindre intérêt, avant qu’un excès de violence et de sadisme ne vienne gâcher le tout. Le film fut un échec public et divisa profondément critiques et spectateurs.

Old Boy redressa la barre avec magnificence. Sorti en Corée en 2003, il y fit quasiment l’unanimité et pointa à la cinquième place des films locaux les plus vus cette année là (plus de 3 millions de spectateurs). Au mois de mai suivant, il se trouvait sur la Croisette en compétition officielle.
Ratant de peu la convoitée Palme d’Or et devant se "contenter" du Grand Prix du Jury - un jury présidé par Quentin Tarentino de qui Park est souvent rapproché - Old Boy s’avère d’entrée un film d’une virtuosité étonnante où horreur et humour ne cessent de se percuter. Il s’agit d’une de ces œuvres qui marquent avec profondeur et durabilité l’esprit des spectateurs, d’une grande violence, souvent même à la limite extrême du supportable. Mais là où Old Boy se différencie des deux autres volets "vengeurs" est que cette violence n’est jamais gratuite ou racoleuse. Même les plus gros effets de "mise en scène" - on pourra déceler dans le film beaucoup de théâtralité - n’apparaissent pas comme de simples artifices, poudre aux yeux visant juste à démontrer la virtuosité du cinéaste. Chaque audace visuelle ou sonore est au service de l’histoire et des personnages, à commencer par Oh Dae-soo, incarné par un exceptionnel Choi Min-sik déjà célébré dans des films comme Failan (Song Hae-sung, 2001) ou Ivre de femmes et de peinture (Im Kwon-teak, 2002). Nous découvrons par ses yeux la situation infernale - au sens fort du terme- dans laquelle il se retrouve puis dont il est "libéré"… pour le pire à venir.

Elément supplémentaire tranchant avec les deux autres films de la trilogie, l’intelligence du scénario. Alors que les récits de Sympathy for Mr Vengeance et Lady Vengeance ne valent guère tripette (une seule idée-clichée étirée jusqu’à plus soif), Old Boy se distingue par ses rebondissements et sa complexité. Nous sommes toujours surpris par ce qui arrive, empruntant à plusieurs reprises et sur les talons de Dae-soo les fausses pistes tracées par son bourreau manipulateur Lee Woo-jin. L’histoire trouve sa source dans un manga - œuvre japonaise donc - à plusieurs épisodes, écrit par Garon Tsuchiya et illustré par Nobuaki Minegishi entre 1996 et 1998. Park Chan-wook et ses scénaristes en firent une adaptation assez libre mais restèrent fidèles à la trame de départ, la séquestration pendant quinze ans du personnage principal - rebaptisé de Shinichi Gotō en Dae-soo – sans qu’il sache pourquoi et par qui, et une fois libéré, son désir de vengeance.

Le personnage de Dae-soo n’a rien d’un héros, ni même d’un caractère sympathique. Pourtant, nous finissons par nous identifier à lui, piégés par son humanité. Et c’est bien là l’un des principaux paradoxes du film. Voilà un homme dont le nom signifie "faire bon ménage avec toute le monde" et qui va passer son temps à dégommer à coups de marteau tous ceux qui se mettent en travers de son chemin - de vrais vilains, il est vrai -, et qui ne lâche jamais le moindre sourire si ce n’est un tout petit, fugace et sadique. Mais qui pourrait le lui reprocher, vu l’expérience subie en début d’histoire, terreau à son terrible désir de vengeance ? Plus il avance dans (son) l’histoire, plus il s’approche d’une vérité indicible, plus il se vautre dans la violence, plus il nous touche. Il faut sans doute voir là le point central du malaise que le film provoque chez beaucoup de spectateurs. Oh Dae-soo est devenu un monstre et si nous nous attachons de plus en plus à lui c’est, peut-être, en raison même de cette monstruosité que nous savons potentiellement présente en chacun de nous. Quelque part, Dae-soo fonctionne comme un miroir. Le nôtre. Mais qui peut supporter un tel reflet de soi-même ?
Old Boy est un film monstrueux, posé quelque part entre la tragédie grecque et le drame shakespearien - beaucoup le rapprochent non sans raison de Titus Andronicus, la pièce la plus sanglante du barde - immense cri de souffrance car, in fine, après la haine et la vengeance, la douleur remonte et nous terrasse.

Park Chan-wook filme son anti-héros au plus près, chevelure hirsute, traits ravagés, yeux cernés, tête légèrement baissée, étrange et inquiétante créature. Face à lui, Woo-jin (Yu Ji-tae, que l’on verra l’année suivante dans La Femme est l’avenir de l’Homme de Hong Sang-soo) incarne son parfait contraire. Grand, mince, beauté lisse de jeune premier, sourire permanent aux lèvres, toujours d’une élégance suprême même en tenue "décontractée", il est un méchant qui fait froid dans le dos. Pourtant, lui ne lève jamais la main pour frapper ou imposer des sévices directement, il a des hommes pour ça et surtout son incroyable machiavélisme. Cette opposition de style entre bien sûr pour beaucoup dans la tension ressentie par le spectateur. Le réalisateur associe chacun de ses deux protagonistes principaux à un environnement visuel et formel correspondant à leurs univers mentaux réciproques : ambiance miteuse, anti-bazar encombré de vides, de creux, de questions sans réponses pour Dae-soo, penthouse de luxe, immense et ouvert, à la (non)décoration improbable, tout en froideur et aussi propre que ses impeccables chemises blanches pour Woo-jin. D’un côté un homme blessé, sorte de buffle auquel l’objectif colle, comme aimanté par une odeur bestiale, de l’autre un dandy cruel et cynique qui semble tenir la caméra fixe en respect, toujours à une certaine distance.
Et puis il y a la charmante Mido (Kang Hye-jeong, découverte deux ans auparavant dans l’intéresant Nabi, resté inédit en France), toute jeune chef spécialisée en cuisine japonaise et débarquée dans la vie de Dae-soo alors que celui-ci lui réclame de manger "quelque chose de vivant". Le poulpe qu’elle lui sert se débattra et elle, elle fondera pour cet homme sans grâce. Avec ses grands yeux ébahis, son corps mince et son rire enfantin, Mido semble promettre une respiration, une touche de légèreté et d’espoir dans ce monde de haine et de violence. Dae-soo y croit, en doute, y croit à nouveau. Mais peut-on faire confiance aux intuitions d’un homme dont on a effacé consciencieusement les moindres repères ?

Formellement, Park Chan-wook ne se refuse rien : à la beauté profonde de la photo, se greffent mouvements d’appareils - profusion de plans filmés à la grue, panoramiques sur 360°, vertigineuses plongées, angles de prise de vue biscornus, travellings de toutes sortes dont le plus mémorable restera celui de l’incroyable combat de Dae-soo contre une vingtaine d’hommes dans un long couloir - ou audaces de montage (jump-cuts, discontinuité, télescopage temporel comme lors de la scène du lycée), sans oublier l’utilisation du hors-champ ou de l’ellipse. Cette profusion de techniques sait aussi intégrer bon nombre d’effets spéciaux - le traitement de l’image en est un à lui seul - et les cascades les plus spectaculaires. Mais comme déjà noté, ce formalisme ne ressemble jamais à un feu d’artifice m’as-tu-vu, contrairement à l’exhibitionnisme de Lady Vengeance qui suivra. Autre opposition marquante au volet de la trilogie qui l’a précédé et à celui qui lui succèdera et marquera donc un sérieux recul pour le cinéaste, l’humour est ici très présent, y compris dans les pires moments. Il achève de faire de Old Boy un produit typiquement coréen. Bien sûr, le rire est très noir - on rit donc jaune par la magie des correspondances - mais aussi profondément libérateur. Sans ces échappées, aussi fulgurantes que les coups physiques portés à l’un ou à l’autre, le film serait totalement irrespirable et peut-être même son caractère malsain - qu’il serait absurde de nier - le plomberait-il au lieu d’en constituer le parfum vénéneux.

Notez que le spectateur de CSF pourra découvrir à l’occasion de notre Festival annuel une autre œuvre de Park Chan-wook restée inédite à Nice, Je suis un Cyborg (2006), présentée le lundi 7 févier, comédie déjantée et récréative d’un cinéaste inégal mais qui, avec Old Boy, aura d’ores et déjà marqué l’histoire du Cinéma.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe SERVE.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h 30 précises...

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