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VENDREDI 25 MARS 2016 : L’IMAGE MANQUANTE

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le lundi 14 mars 2016.


14ème Festival annuel : "Exils",

en partenariat avec Amnesty International

Film de Rithy Panh

Cambodge - 2014 - 1h35 - vostfr

Il y a tant d’images dans le monde, qu’on croit avoir tout vu. Tout pensé. Depuis des années, je cherche une image qui manque. Une photographie prise entre 1975 et 1979 par les Khmers rouges, quand ils dirigeaient le Cambodge. A elle seule, bien sûr, une image ne prouve pas le crime de masse ; mais elle donne à penser ; à méditer. A bâtir l’histoire. Je l’ai cherchée en vain dans les archives, dans les papiers, dans les campagnes de mon pays. Maintenant je sais : cette image doit manquer ; et je ne la cherchais pas - ne serait-elle pas obscène et sans signification ? Alors je la fabrique. Ce que je vous donne aujourd’hui n’est pas une image ou la quête d’une seule image, mais l’image d’une quête : celle que permet le cinéma. Certaines images doivent manquer toujours, toujours être remplacées par d’autres. Dans ce mouvement il y a la vie, le combat, la peine et la beauté, la tristesse des visages perdus, la compréhension de ce qui fut. Parfois la noblesse, et même le courage : mais l’oubli, jamais.

« Quand on devient cinéaste, on n’ambitionne pas d’être le cinéaste du génocide cambodgien, mais ce sujet m’accompagne depuis plus de vingt ans. C’est lourd à porter. J’ai décidé de filmer le génocide en sachant les conséquences sur ma vie. » (Rithy Panh)

Déjà dans Cambodia, entre guerre et paix (1991), Un soir après la guerre (1997) et le documentaire S21, la machine de mort Khmere Rouge (2002), le réalisateur franco-cambodgien mettait en lumière le massacre perpétré par les Khmers rouges au Cambodge de 1975 à 1979. Un fait historique en lien direct avec son histoire personnelle puisque Rithy Panh a lui-même perdu une partie de sa famille lors du génocide auquel il a survécu. Film sur le souvenir, sur la recherche d’une enfance qui s’éloigne, c’est bien la mémoire qui est au cœur de L’Image manquante. Une mémoire qui aida le réalisateur à survivre à la dictature, et à laquelle il consacre son œuvre. Le travail de Rithy Panh, témoin de l’Histoire, doit rester lui aussi dans les mémoires. Contre l’obscurantisme et l’oubli, ses films sont, eux-aussi, des actes de résistance. (Lepasseurcritique.com) L’Image manquante s’ouvre sur des boîtes abîmées de pellicules 16 millimètres, la recherche de films oubliés. Le cinéaste recherche la vérité derrière des films de propagande mais aussi des images qui raconteraient son histoire. Mais celles-ci, même si elles existent, échoueraient à retranscrire ses souvenirs. Pour évoquer les scènes qu’il nous conte, terribles ou gaies, le réalisateur met en scène des saynètes miniatures au charme tout enfantin. Issus de sa mémoire, des décors habités de personnages en terre glaise, à la fois immobiles et étrangement expressifs, et une discrète bande sonore.

Rithy Panh explique le projet de son film : "Je voulais trouver des images et des témoignages qui existent sur le génocide du peuple cambodgien entre 1975 et 1979. Un crime de masse qui n’a pas laissé d’images. J’étais donc à la recherche de « l’image manquante ». Or, elle est surtout dans ma tête. Je n’avais pas envie de retourner sur les lieux. La maison de mon enfance est devenue un bordel. J’ai fait construire des maquettes de mon quartier, de ma maison de Phnom Penh. Mais je ne retrouvais pas l’atmosphère de mon enfance. J’ai demandé à un sculpteur de me fabriquer un petit bonhomme en terre. Et quand j’ai vu surgir ce personnage de la glaise, j’ai su que « l’image manquante » était là. J’ai continué à lui demander d’autres personnages et l’univers terrible de ces années-là m’est apparu. J’étais troublé de voir la vie remonter ainsi de la terre où reposent les morts. J’étais parti pour tourner un documentaire sur les images de propagande et le langage tordu, déformé, de l’idéologie de déshumanisation mais j’ai compris que les khmers n’avaient pas réussi à forger l’image dans nos têtes. J’ai opté pour la radicalité. Concentrer le film sur ces personnages en glaise. Je voulais réussir une proposition cinématographique, originale et différente. Je ne voulais pas me répéter. Ceux qui comme nous ont traversé ces épreuves sont morts une fois. Nous sommes des survivants. Nous revivons mais avec une part de mort. Comment parler de cette mort en nous  ? C’est pour cette raison que j’ai choisi de ne pas animer ces figurines. Ces personnages figés en terre glaise se révèlent plus forts par moments que les archives ou les images filmées de propagande. Les morts, en moi, sont à la fois figés et pas figés. J’ai perdu les noms mais pas les visages. J’ai travaillé avec un seul sculpteur, Sarith Mang, qui a mis du temps et dont le style donne une unité à la diversité des personnages et à leurs expressions. Il est jeune et ne connaissait pas l’histoire des khmers rouges. Travailler avec lui m’obligeait à replonger dans ce passé pour le lui raconter. J’ai trouvé en lui la poésie des grands artistes qui frôle l’innocence de l’enfance. Même réussite dans la gravité de la musique de Marc Marder. La voix de Randal Douc tombe juste, tout le temps."

Rithy Panh filme des scènes de la vie quotidienne figées dans le temps, comme elles le sont dans sa mémoire. Il reconstitue quatre années de son enfance pendant lesquelles sa famille a été déportée dans un camp de travail, quatre années pendant lesquelles il a perdu tous les siens, un à un, broyés par « la machine de mort khmère rouge », comme le cinéaste l’appelait dans son grand film S21 en 2002. Ces tableaux enfantins et terrifiants se conjuguent avec des images d’archives : celles de la propagande destinées à soutenir le régime militaire de Pol Pot, où l’on voit des centaines d’hommes, de femmes, d’enfants travaillant en ligne dans les rizières. Ces images en noir et blanc, le réalisateur les juxtapose avec celles d’avant l’horreur, en couleur souvent, joyeuses, musicales, dansantes même. C’est en construisant son récit autour de ces trois types, de ces trois sources d’images que Rithy Panh raconte à travers son histoire familiale l’entreprise de déshumanisation, de destruction dont les Cambodgiens ont été victimes. Il raconte comment son père, instituteur, finit par se laisser mourir de faim par rébellion, parce qu’il ne voulait plus avaler ce que leurs donnaient les Khmers rouges. « Je ne veux plus voir cette image de faim, de souffrance », dit le cinéaste, « alors je vous la montre ». « Au fond de mon cœur, je savais que la vie était poétique, en couleurs. Mon père m’a transmis cette conviction. »  Dans L’Image manquante, Rithy Panh recrée deux époques de sa vie. L’enfance à Phnom Penh avant la révolution est re-figurée dans des saynètes gaies et colorées. Le quotidien sous la dictature est quant à lui représenté dans des scènes où les personnages sont vêtus de noir. Le régime nie l’individu, les différences, habille tout le monde de la même façon. Seule la figurine représentant le jeune Rithy Panh est munie de vêtements de couleurs. Rithy Panh a un mât auquel s’accrocher dans la tourmente obscurantiste : son éducation. L’enfant tient grâce à ses souvenirs d’enfance, à sa mémoire d’enfant instruit.

Le psychiatre Boris Cyrulnik a vu ce film. Il nous livre ses réflexions sur la démarche du cinéaste : "Aux personnes traumatisées, on dit souvent que faire revenir le passé, c’est entretenir la blessure, comme l’a fait Primo Levi, et avoir finalement plus mal encore. On dit aussi que se taire conduit à se couper en deux parties : l’une acceptable pour son entourage et une autre qui souffre en secret. La seule bonne solution consiste à exprimer ce que l’on a à dire sans pour autant faire revenir le trauma. En le métamorphosant avec de la littérature, comme l’ont fait Paul Ceylan, Jorge Semprun ou Charlotte Delbo, … ou avec des statuettes, comme le fait Rithy Panh...Ces statuettes sont ce qu’on appelle des « représentants narcissiques » et illustrent un précieux facteur de résilience : la transformation de la souffrance en œuvre d’art. Ce que je n’ai pas la force de vous dire — parce que c’est trop dur, que je ne suis pas assez fort pour vous le dire et vous trop faible pour l’entendre —, je le fais dire à des statuettes. C’est le détour par un tiers, qui rend la souffrance partageable à travers sa métamorphose."

Le film de Rithy Pany, L’image manquante, on peut le mettre en lien avec le film Depuis le retour de Giovanni Cioni sur la mémoire des camps nazis, le traumatisme intime de la déportation raconté par un des derniers Sonderkommando.

L’Image manquante a été nommé dans la catégorie Meilleur Film Etranger aux Oscars 2014. Une grande première pour un film d’origine cambodgienne, qui a déjà remporté le prix de la section Un Certain Regard au Festival de Cannes en 2013 : "Je suis très heureux pour moi et pour le Cambodge. C’est un bon moment pour nous tous. Nous avons eu beaucoup de problèmes et de bonnes nouvelles comme celle-ci qui font que les gens peuvent se sentir fiers de leur pays", s’est réjoui le réalisateur franco-cambodgien Rithy Panh.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso

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