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Le Ballon Blanc

Samedi 5 mai - 18h - Mercury
Publié le samedi 5 mai 2007.


de Jafar Panahi

Iran, 1995, 85’

avec Aida Mohammadkhani, Mohsen Kafili, Fereshteh Sadr Orfani

Depuis quelques années, le cinéma iranien ne se résume plus à la simple équation : Iran = Abbas Kiarostami et /ou Mohsen Makhmalbaf. Et c’est tant mieux ! Car le nombre et la diversité des nouveaux cinéastes en provenance de ce pays signifient l’éclosion de talents tout neufs. Il faut ainsi citer Samira Makhmalbaf — fille précocement douée de Mohsen — avec La Pomme (1997, elle a alors seulement 17 ans !), Le Tableau noir (99, Grand Prix du Jury à Cannes) et A cinq heures de l’après-midi (03, Prix du Jury et Prix oecuménique cannois), Bahman Ghobadi (38 ans) avec Un temps pour l’ivresse des chevaux (99, Caméra d’Or à Cannes), Chansons du pays de ma mère (02) ou Les Tortues volent aussi (03), le moins connu Hassan Yektapanah (Djomeh, 2000) et, surtout, Jafar Panahi.

Né en juillet 1960, Panahi apprend le métier de réalisateur au Collège de Cinéma et de Télévision de Téhéran, puis se fait la main de manière plus pratique sur des courts et moyens métrages pour la télévision. Il réalise un téléfilm en 92, L’Ami, avant de franchir un nouveau palier en devenant l’assistant-réalisateur de Abbas Kiarostami sur Au travers des oliviers (94). Dès l’année suivante, il tourne son premier long, Le Ballon blanc (Badkonake sefid, dont il assure aussi le montage) et remporte la très convoitée Caméra d’Or au Festival de Cannes. Le film a bien mérité sa récompense, tant il apparaît maîtrisé. Le scénario - signé Kiarostami — tient sur une demi-feuille de papier à cigarette et c’est bien la réalisation de Panahi qui le transcende. Ancré dans une tradition cinématographique où la frontière entre fiction et documentaire se fait plus que ténue, refusant tout effet de caméra ou d’esthétisation du plan, ne boudant pas les plans fixes mais sans leur accorder le caractère systématique que l’on trouve chez Kiarostami, Le Ballon blanc évitait aussi de tomber dans le piège trop récurrent de l’assimilation de films d’enfants — constante du cinéma iranien — avec un obligatoire récit d’apprentissage. Une simple histoire, contée avec beaucoup d’humour et qui coule de la première à la dernière seconde sans le moindre hiatus dans un style documentaire rappelant inévitablement le néo-réalisme italien. Ajoutons-y une magnifique direction d’acteur, notamment envers l’inoubliable petite Aida Mohammad-Khani, l’héroïne du film. Revoir ce film plus de dix ans après sa sortie reste un moment de grande fraîcheur et démontre que Jafar Panahi était bien destiné à devenir l’un des plus grands cinéastes de son pays.

Deux ans plus tard (1997), Panahi remporte le Léopard d’Or, récompense suprême du festival de Locarno, avec Le Miroir (Ayneh). Le film — quelque peu jumeau du précédent et toujours inédit, hélas, en France — part d’une nouvelle histoire de petite fille (jouée par la même actrice que dans Le Ballon Blanc), le bras en écharpe et obligée de faire seule le chemin menant de l’école à la maison car sa mère n’est pas venue la chercher. Mais l’enfant ne connaît pas le chemin et la jeune actrice finit par vouloir vraiment rentrer chez elle en prenant la poudre d’escampette du bus où le réalisateur l’avait installée ! Le documentaire prend alors le pas sur la fiction et alterne entre les instants joués par la jeune actrice et ceux, bien plus fréquents, où elle refuse d’assumer son rôle, plongeant l’équipe technique dans le chaos de ce qui est devenu du cinéma-vérité. Le spectateur doute sans cesse de ce qu’il voit — réalité ou fiction ? — dans une jubilation permanente.

2000 sera vraiment l’année de la consécration : Le Cercle (Dayereh) remporte le Lion d’Or à Venise et est unanimement salué comme un chef d’oeuvre. Panahi nous expose, caméra le plus souvent portée, quelques heures de la journée d’un certain nombre de femmes dont on suit les pérégrinations, à Téhéran, à tour de rôle : trois évadées de prison dont une célibataire et enceinte, une infirmière, une mère célibataire, une prostituée. La forme circulaire du film épouse totalement le propos et s’y fond. Cercle infernal aux parois duquel ces femmes, éprises de liberté et qui n’en forment plus qu’une seule, simplement déclinée, se heurtent littéralement. Panahi signait là une mise en scène tranchant avec celles de certains autres films iraniens grâce à un rythme très soutenu et pourtant comme distanciée et calme, tournant le dos à tout lyrisme et plus encore à l’hystérie qu’un tel sujet aurait pu provoquer. Film magnifique et, aussi déprimant qu’il puisse paraître, non dépourvu d’espérance, loin de là. D’abord par la formidable envie de toutes ces femmes de vivre, de résister, par leur courage affiché mais aussi, très paradoxalement, par sa fin : ne faut-il pas voir dans la réunion de toutes ces victimes dans une même cellule comme une sorte de cercle de solidarité que rien ne saurait briser et porteur, quelque part, de lendemains plus chantants ? Le film fut interdit de sortie en Iran.

Après une telle oeuvre, il apparaissait bien difficile de maintenir la barre aussi haute. Sang et or (Talaye sorkh, 2003 et présenté à CSF le 15 avril 2004), avec un scénario de nouveau écrit par Abbas Kiarostami, fut également interdit de projection en Iran, ce qui ne l’empêcha pas de remporter quelques prix, même si moins prestigieux que les précédents. Film très déprimant, Sang et or met le doigt là où ça fait mal et, bien que décrivant une réalité très iranienne, nous parle aussi d’un monde qui est le nôtre, divisé toujours plus entre "ceux d’en haut", nantis et prospères — même sous un régime islamiste tel que celui des mollahs réduisant leurs libertés individuelles — et "ceux d’en bas", déclassés, désoeuvrés et laissés-pour-compte.

Hors Jeu (2006), son dernier film en date que nous vous avons présenté en exclusivité sur Nice en janvier, a remporté le Prix du Jury au dernier festival de Berlin. Plus léger dans son humeur et par son humour que Sang et or, il n’en parle pas moins une nouvelle fois d’un sujet sérieux : la place de la femme dans la société iranienne d’aujourd’hui. Jafar Panahi a su reste fidèle à ce qui rendait ses films précédents si précieux : une réalisation proche du documentaire, très souple et surtout sans affectation. Une fois de plus, l’idée était de partager avec le spectateur des instants de vie réelle, de montrer à l’écran des personnages dans toute leur humanité, c’est à dire aussi bien dans le positif que le négatif. Panahi est tout sauf manichéen. Pas question pour lui de désigner les bons et les méchants au sein d’un peuple qui, de toute façon, se retrouve victime d’un régime qu’il condamne de façon souvent métaphorique.

Philippe Serve

Réalisation : Jafar Panahi

Scénario : Abbas Kiarostami

Montage et décors : Jafar Panahi

Photo : Farzad Jadat

Son : Saïd Ahmadi et Mojtaba Mortazavi

Avec : Aïda Mohammad-Khani (Razieh), Mohsen Kafili (Ali), Fereshteh Sadre Orafaiy (la mère).

Distribué par : Diaphana.

Le film sera précédé d’une présentation et suivi d’un débat avec le public.

Présentation et Animation : Josiane Scoléri