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Nous, les Vivants

Vendredi 14 décembre 2007 - 20h30 - Mercury
Publié le vendredi 14 décembre 2007.


Suède/Allemagne/France/Norvège/Danemark - 2006 - 1h34 - vostf Réalisation et Scénario : Roy Andersson Photo : Johann Carlsson Décor et Montage : Anna MärtaWaern Son : Jan Alvermark et Robert Sörling Avec : Jessica Lundberg, Elisabet Helander, Björn Englund, Leif Larsson, Gunnar Ivarsson, Kemal Sener, Ollie Olson

188e film présenté par CSF.

Les bien étranges chansons d’un dénommé Roy Andersson

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Nous, les vivants (2007)

Un homme citant comme influences majeures Samuel Beckett (pour son sens de l’Absurde et son humanité), Federico Fellini (Amarcord et La nave va), Luis Buñuel (tendance Le charme discret de la bourgeoisie), Le Voleur de Bicyclette de Vittorio de Sica, le Stanley Kubrick de Barry Lyndon, les films noirs français ou bien encore les trois poètes du 7ème art que furent et demeurent Charlie Chaplin, Buster Keaton et Jacques Tati, cet homme ne peut qu’être « a priori » intéressant. Intéressant, le réalisateur suédois Roy Andersson l’est assurément. Ce Suédois de 64 ans apparait d’abord comme un drôle de type. Aussi déprimant que drôle, aussi désespéré qu’optimiste. Peintre de la communauté humaine et de la société que celle-ci engendre, la plupart du temps pour son propre malheur, Andersson tisse patiemment sa toile depuis 1970, date de sa première réalisation. En 37 ans, seulement quatre longs métrages, deux courts et une ribambelle de pubs pour des tas de grandes marques. On ne peut pas dire que le monsieur soit prolifique !

Si le public français - et une bonne partie du monde - ne le découvrit qu’en 2000 avec l’étrange et fascinant Chansons du deuxième étage (Prix du Jury au Festival de Cannes), qualifié de chef d’œuvre par un certain Ingmar Bergman, c’est trente ans plus tôt qu’il avait séduit ses compatriotes. Une Histoire d’Amour suédoise fit en effet un véritable tabac en Suède et dans les pays scandinaves Magnifique portrait de l’adolescence, œuvre déjà maitrisée, le film est formellement très éloignée de ce qui est devenu depuis le style Andersson. La caméra bouge, des gros plans alternent avec des changements d’angles de prises de vue, le réalisme du traitement donne même au film un aspect proche du documentaire, pas si éloigné des premiers Mike Leigh ou Ken Loach. Pourtant, dans la deuxième partie du film, le ton change petit à petit. Ce qui servait de toile de fond à la charmante bluette - le monde des adultes vu par les yeux de deux jeunes tourtereaux - prend le dessus. Le film se teinte alors d’amertume recouvert d’une bonne couche d’absurde. La critique politique apparait, sans jamais pourtant s’afficher comme telle. Le succès public et critique (de nombreux prix, y compris à Berlin) est immédiat et durable.

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Une histoire d’amour suédoise (1970)

Pourtant, Roy Andersson met cinq ans avant de pouvoir réaliser son deuxième film. Tout le monde espère Une histoire d’amour suédoise 2 alors que le cinéaste a choisi de changer de cap, en privilégiant l’insignifiant. Résultat : à sa sortie, Giliat (1975) s’avère un cuisant échec. Il est vrai que le film n’est guère palpitant malgré quelques belles idées, traine beaucoup en longueur et que Andersson ne réussit jamais à intéresser le spectateur au vide de ses personnages. Visiblement, le cinéaste suédois cherche sa voie. S’ensuit alors pour lui une très longue traversée du désert. Rejeté par les producteurs, il se tourne vers la publicité où il peaufine son style cinématographique, tournant plus de 300 spots en vingt ans. L’argent que lui rapporte cette activité purement commerciale - mais aussi 8 récompenses suprêmes dans le genre à Cannes - lui permet de monter sa propre société de production, Studio 24, en 1981.

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Giliat (1975)

Commissionné en 1986 par les services de santé suédois pour réaliser un court-métrage sur le Sida, il voit son film arrêté de force par la production alors que seuls les 2/3 sont achevés. C’est que Quelque chose est arrivé ne correspond pas du tout à la vérité officielle de l’époque à laquelle le cinéaste ne croit pas et qu’il remet ouvertement en question dans son film. Le court métrage, remarquable, ne sortira qu’en 1993, récoltant un très grand succès.

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Quelque chose est arrivé (1987)

Entre-temps, Roy Andersson a réalisé un deuxième court-métrage d’une noirceur tétanisante, Un monde de gloire (1991). Cette fois, la patte Andersson - déjà bien rodée dans le court précédent - est en place, telle qu’on la connait aujourd’hui : longs plans-séquences en tableaux très composés et au cadre hyper travaillé, personnages et décors se déclinant dans les mêmes teintes grises, verdâtres et marrons, sentiment de claustrophobie, absurdité des situations et des comportements, thème de la culpabilité individuelle et collective (il n’est pas suédois pour rien !), sadisme et humiliation, présence d’un personnage au premier plan et de quelques autres disséminés dans toute la profondeur de champ, fusion du tragique et du grotesque en un même instant entrainant chez le spectateur un sentiment de fort malaise, critique politique acerbe mais jamais démonstrative et, enfin, cet humour qui l’apparente souvent au Finlandais Aki Kaurismäki.

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Un monde de gloire (1991)

Après quatre ans de tournage, Chansons du deuxième étage est présenté à Cannes en compétition officielle en 2000 et y fait sensation. Malgré son prix (cf. plus haut), la critique officielle se retrouve partagée tandis que le public, qui découvre un cinéma particulièrement original, l’acclame. Si l’humour (très noir) de Andersson atteint des sommets dans la distanciation absurde, le fond de l’air souffle plus désespéré que jamais. Le spectateur se retrouve en présence d’un monde en état apocalyptique où toutes les valeurs et les situations établies s’effondrent. La continuité narrative a presque totalement disparue au profit d’un enchainement de tableaux dont certains restent inoubliables Le terme « tableaux » n’est pas ici choisi au hasard tant l’œuvre s’avère picturale. Une fois de plus, la société - mais aussi la religion et le commerce qui y est associé - en prend pour son grade, confirmant Roy Andersson comme un grand cinéaste politique.

Gageons que son nouvel opus (attendu seulement 7 ans !) et annoncé nettement plus optimiste ne décevra pas le public de Cinéma sans Frontières...

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Chansons du deuxième étage (2000)

Philippe Serve

p.s. : si l’on en croit le passionnant débat qui a suivi notre séance, le public a effectivement beaucoup apprécié cet excellent film. Espérons que le bouche à oreille lui permette de trouver sa place.

Le film sera précédé d’une présentation et suivi d’un débat avec le public.

Présentation et Animation : Philippe Serve


Affiche CSF - Cliquer pour agrandir