Accueil du site - Séances-débats

Jeudi 25 février : 5 OBSTRUCTIONS (Festival CSF 2010)

Jeudi 25 février 2010 - 20h 30 - Cinéma Mercury - Nice
Publié le jeudi 25 février 2010.


“ L’art nait de contraintes, vit de lutte et meurt de liberté” Alain

Avec Five obstructions, qu’il convient d’ailleurs de rendre en français par « Cinq contraintes », Lars von Trier poursuit son exploration des possibilités d’expression offertes par le médium cinéma lui permettant de s’éloigner, quelques fois de manière très radicale, de ce que l’on entend généralement par « film ». Rappelons–nous à ce propos son avant dernier opus « Le Directeur » (2006) où il a laissé filmer une caméra fixe, avec les cadrages les plus saugrenus à la clef, se limitant à intervenir au montage, avec la maestria qu’on lui connait pour faire coller ces images, a priori arbitraires, avec son propos de réalisateur.
D’ailleurs, dès son premier film, « Element of crime » (1984) bien avant la mise au point de sa théorie du « Dogme », Lars von Trier se fixe des contraintes à la fois sur le plan du scénario et de la technique qui ne reflètent guère les préoccupations habituelles d’un débutant : le choix de la couleur orange de bout en bout du film pour créer une impression d’angoisse : ce n’est pas spontanément ce à quoi on associe le orange et pourtant ça marche à 200%. Le parti pris de faire de l’élément « eau » un synonyme de décadence, pourriture, danger, voire folie et mort : ça marche. Des acteurs en état d’apesanteur qui donnent l’impression d’être sous hypnose et qui contribuent à ce climat de menace qui va crescendo : ça marche. Le tout placé sous l’héritage revendiqué d’ Orson Welles et de Tarkovski. Mégalo, diront certains, mais ça tient la route et le film obtiendra d’ailleurs le Grand Prix de la Technique à Cannes : chapeau bas !!

On l’aura compris, Lars von Trier est vraiment un cinéaste à part dans la cinématographie mondiale et ce depuis les débuts. Après la virtuosité technique des trois premiers films, les 10 règles draconiennes du Dogme (1995) se veulent un manifeste visant à purifier le cinéma de ses toxines médiatico- businesssoïdes : « Un vœu de chasteté du cinéma » selon la définition de Lars von Trier lui-même. Mais très vite, après l’exercice de haute-voltige constitué par « Les Idiots » (1998), le réalisateur change les règles du jeu comme bon lui semble. Le plus important étant de se fixer à chaque fois de nouvelles règles, de créer un nouveau type de contrainte et d’en tirer tout le parti possible. On se souvient pour ne citer qu’un exemple des lignes blanches tracées au sol pour figurer les rues et les maisons de « Dogville » (2002). Ainsi va Lars von Trier, trublion surdoué, insatiable et imprévisible du cinéma mondial.

Avec Five Obstructions (2003), il pousse l’exercice encore plus loin : s’il fixe les règles du jeu, ce ne sera plus pour les appliquer lui-même, mais pour demander à un autre réalisateur de s’y plier. En bon connaisseur - et admirateur - de l’œuvre de son ami Jǿrgen Leth, il va bien sûr imposer les contraintes qui seront le plus difficile à respecter pour lui. Et comble du vice, Jǿrgen Leth devra réaliser non pas un film entièrement nouveau, mais plusieurs nouvelles versions d’un de ses propres courts-métrages. La contrainte pour le créateur est ainsi démultipliée.
Contrainte technique (12 images /secondes), contrainte morale ( l’endroit le plus sordide pour toi), contrainte esthétique ( « De la merde », dixit Lars von Trier), contrainte quant au genre cinématographique (un dessin animé alors que les deux hommes ont horreur de ça) , voire contrainte par l’absence de règles ou l’arbitraire le plus absolu ( tourner à Cuba parce que Jǿrgen Leth fume des Cohibas et qu’il n’y est jamais allé), l’inventivité de Lars von Trier ne risque pas d’être prise en défaut sur ce plan-là, on s’en doute.

Le film alterne donc les rencontres entre les deux compères, où Lars von Trier expose à la fois ses concepts et ses objectifs et Jǿrgen Leth ses questions ou éventuelles objections, puis viennent les scènes de tournage où Jǿrgen Leth ne cache rien de ses difficultés, des ruses ou des stratagèmes employés, de la transgression assumée de tel ou tel impératif et enfin, le visionnage des films une fois terminés avec la réaction de Lars von Trier à la clef.
Des fragments du cout-métrage originel de Jǿrgen Leth, « The Perfect Human » (1967) qui sert de prétexte à ces divers exercices, reviennent ponctuellement éclairer le spectateur sur les intentions et les choix des deux hommes et nous permettent donc d’apprécier en contre-point l’audace intellectuelle et esthétique de l’entreprise.
Enfin, pour couronner le tout, Lars von Trier décide qu’il réalisera lui-même le dernier film de la série (je ne vous révèlerai pas de quelle manière mais encore une fois il fallait s’appeler Lars von Trier pour imaginer une telle solution), mais que c’est le nom de Jǿrgen Leth qui apparaitra au titre de la réalisation.
Résultat, le film est un véritable O.F.N.I. ( Objet Filmique Non Identifié) et difficilement identifiable d’ailleurs, tant sur la forme que sur le fond. Le brouillage des cartes est complet : Qu’est ce que la création, sinon l’espace plus ou moins grand entre les contraintes ? Qu’est-ce que la créativité, sinon la capacité de l’imagination à faire fi des contraintes ? Et plus encore, qui est le créateur ? À tous les sens du terme.

On ne saurait oublier que Lars von Trier, fils de communistes militants s’est converti plus tard au catholicisme dans un pays très majoritairement protestant, qu’il se décrit volontiers comme un véritable démiurge à tendance sadique sur ses tournages, notamment vis à vis de ses actrices et que son rêve est de diriger des acteurs sous hypnose et donc entièrement soumis à sa volonté. Et son dernier film s’appelait tout de même « Anti-christ »...
En même temps, les membres de son équipe technique parlent plutôt d’une ambiance détendue et bon enfant (sauf avis de tempête maximum. et à ce moment-là, c’est le sauve- qui -peut général, tous aux abris !!!). Lars von Trier nous mènerait-il en bateau avec cette légende du réalisateur maniaque, tout- puissant et intolérant ?
Ce qui est sûr est que nous avons à faire à quelqu’un d’exigeant, qui pousse à la fois la réflexion et la réalisation hors des sentiers battus, avec une capacité à se renouveler qui laisse souvent pantois.
D’accord ou pas d’accord, séduit ou horrifié, au moins nul ne peut dire que Lars von Trier réalise toujours le même film. Cette diversité intrigue, déboussole ou exaspère même souvent la critique et les spectateurs. Il n’en reste pas moins que son plus grand mérite est sans doute de ne permettre à personne de chausser ses charentaises. C’est aussi cela bien sûr la fonction de l’artiste. Et artiste, Lars von Trier l’est jusqu’au bout des ongles sans l’ombre d’un doute.

Josiane Scoleri

La séance est précédée d’une présentation et suivie d’un débat avec le public.
Animation : Josiane SCOLERI

Notez que CSF s’astreint cette saison à commencer ses séances à l’heure !
Veillez donc à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h 30 précises...

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats : La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents, chômeurs).
Passe Festival pour 4 films :20 € (non adhérents), 16 € (adhérents)

Adhésion : 20 € pour un an (365 jours) - 15 € pour les étudiants. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club :
http://cinemasansfrontieres.free.fr
Contact mail CSF : cinemasansfrontieres@free.fr
Contact téléphonique CSF : 04 93 52 31 29 / 06 64 88 58 15
Contact téléphonique Mercury : 08 92 68 81 06 / 04 93 55 37 81.