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Dans les Champs de Bataille

Vendredi 15 avril - 20h45 - Cinéma Mercury
Publié le vendredi 15 avril 2005.


de Danielle Arbid (Drame, Liban, 2003, 1h30)

Avec Marianne Feghali, Rawia Elchab, Laudi Arbid

Interdit au moins de 12 ans

Beyrouth, 1983. La vie secrète de Lina, douze ans, tourne autour de Siham, la bonne de sa tante, de six ans son aînée. La petite cautionne les amours clandestins de la grande et défend ses intérêts. Mais elle passe inaperçue aux yeux de la bonne et d’ailleurs aux yeux de sa famille, notamment du père : destructeur, aventurier et flambeur.

Dans un quotidien incertain, celui de la guerre, des passions et des frustrations, Lina accède au monde des adultes, sans conscience du bien et du mal...

Débat suivant la projection de Dans les champs de bataille de Danielle Arbid

Pour ce deuxiième acte de la série de séances sur l’enfance dans la guerre, CSF avait choisi un premier film d’une jeune réalisatrice libanaise remarquée à Cannes l’an passé. Et ce à quelques jours de l’anniversaire du début de la guerre civile qui ensanglanta le pays pendant quinze ans (1975-1990) et détruisit la majeure partie de Beyrouth. Dans les champs de bataille montre en fait diverses batailles, livrées sur des « champs » qui s’emboîtent : au niveau individuel, familial, et national. Il y a la bataillle d’une jeune fille pré-adolescente de 12 ans, celle que livre son père contre la tentation du jeu, celle qui se joue entre ses parents, les déchirements de sa famille, la bataille de la bonne de la maison qui fut naguère « achetée » par la famille et qui tente de s’enfuir, les bombardements quotidiens, la présence dans l’immeuble de miliciens. Le débat s’est d’abord concentré sur la mise en scène du film, pour interroger ensuite son traitement de l’éveil à la sexualité d’une jeune fille et revenir enfin à la représentation de la guerre du Liban. Une première intervention a souligné le parallélisme entre ce film et un court-métrage antérieur de la D. Arbid, Raddem (Démolition). Le court-métrage suivait les déambulations d’une femme (jouée par la fantastique Hiam Abbas) dans Beyrouth à la recherche de la maison de son enfance et évoluait de la ville vers la psychologie du personnage. Ici, au contraire, la narration progresse de l’univers clos de l’enfant de 13 ans à son immeuble, son quartier, puis la ville elle-même qui apparaît sur plusieurs plans d’une grande beauté à la fin du film. Comme si la vie de cette jeune fille nous ouvrait à la perception de la ville. Le public se réjouit de voir dans ce film la recherche d’une véritable écriture cinématographique, la naissance d’un regard de cinéaste. L’animateur (Philippe Serve) compare la manière dont D. Arbid filme les corps, dans une atmosphère de torpeur, au style d’une autre réalisatrice, l’argentine Lucretia Martel. Les corps sont rarement filmés en totalité, mais par fragments, ou en plan américain. Le film s’approche de ses personnages, successivement, et glisse de l’un à l’autre. Ainsi, la réalistrice montre tout à tour l’éveil à la sexualité chez Lina et l’appétit sexuel de Sihab (la bonne plus âgée). On imagine que la différence de classe sociale et l’absence de la famille Sihad expliquent en partie cet écart dans la manière dont les deux personnages vivent leur sexualité. Ici aussi, l’animateur évoque La Cienaga de Lucretia Martel qui traite des rapports ambigus entre une jeune fille et sa bonne. Le public a apprécié la finesse du regard sur cette adolescente qui perce dans deux moments très juste : la manière dont elle épie son voisin sur son balcon et dont elle examine les pointes sèches de ses cheveux. Il salue aussi unaniment l’incroyable ciné-génie de la comédienne qui joue la tante de Lina et nous apprenons qu’il ne s’agit pas d’une comédienne professionnelle mais de la véritable tante de la réalisatrice ! L’animateur rapporte que lors du casting pour choisir celle qui interpréterait ce rôle elle demandait aux comédiennes de dire « C’est une pute ! ». Aucune ne lui semblant crédibles, elle s’est tournée vers... sa tante. Ces paroles signent une volonté de brider le désir des autres qui n’est pas sans rappeler l’acharnement de Lina à empêcher l’épanouissement de la sexualité de sa mère. Une intervenante se demande si la réalisatrice ne s’est pas ici inspirée de Papa est en voyage d’affaires d’Emir Kusturica. Quant à l’épisode du chien abattu par le père de Lina, il a laissé perplexe certains spectateurs. Pour certains, le caractère excessif et gratuit de l’acte montre que la violence trouve toujours une butée, un autre être humain, et à défaut un mur ou un animal. Il révèle aussi l’extrême nervosité du père, épuisé par les bombardements continus. Nous avions la chance d’avoir dans le public des Libanais qui ont pu nous faire part de leurs réactions. Ainsi, nous apprenons que les hurlements d’un chien portent malheur... Un autre détail qui a son importance : lorsque Sihad s’enfuit en courant, poursuivie par Lina, et arrête une voiture, elle n’est pas prise pour ses beaux yeux, encore moins par des ravisseurs, mais entre simplement dans un taxi collectif (reconnaissable au Liban, car c’est une Mercedes). Un intervenant libanais remarque aussi que le titre original du film signifie littéralement « Affrontements d’amour ». Un film sur la guerre des sentiments, vécue de l’intérieur des personnages et d’une famille. Les spectateurs libanais ont pu nous parler du Liban, de la représentation de la guerre dans ce film, et nous raconter « leur guerre ». Ainsi, nous apprenons que l’action se déroule dans un quartier de Beyrouth situé à la lisière des secteurs chrétien et musulman, l’un des plus touchés par les bombardements, ce qui explique le chaos des immeubles à demi effondrés, et que la descente aux abris soit un rituel quasi quotidien. Aux questions que nous nous posions sur le statut de cette bonne que la famille aurait achetée, il est répondu que c’est une situation commune au Liban. De jeunes syriennes ou arméniennes étaient confiées à des familles des classes moyennes, en échange de travail (aujourd’hui, ce sont surtout des sri-lankaises ou des indiennes). Une jeune fille, qui a reconnu sa propre enfance au Liban dans ce film, raconte avec émotion comment les abris transformés en véritables campements ont été les terrains de jeux de son enfance. Au sujet de la pratique du jeu, très courante et masculine au Moyen-Orient, elle rappelle que les temps de confinement dans les caves étaient très mal vécus par les hommes qui se voyaient contraints de cesser toute activité et perdaient ainsi leur rôle social. Certes, la vie reprenait entre deux bombardements, mais personne n’en sortait indemne. Le débat s’est conclut sur l’intervention émouvante d’une jeune femme d’origine libanaise qui dit avoir retrouvé dans ce film sa propre enfance, marquée aussi par les bombardements et les jeux dans les abris. Elle évoque les événements récents au Liban, et l’importance qu’il y a à voir ce film aujourd’hui, au moment où le Liban tourne une page de son histoire et où s’ouvre un temps de prospérité. Nous nous sommes tous associés aux espoirs qu’elle exprimait...

[Prises de notes : Elise Domenach]


Affiche du film © Memento Films - Cliquer pour agrandir

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