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SAMEDI 28 MAI 2016 : L’ACADÉMIE DES MUSES

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le vendredi 6 mai 2016.


Séance exceptionnelle en présence du réalisateur

Film de José Luis Guerín

Espagne - 2016 - 1h32 - vostfr

L’amphithéâtre d’une université de Lettres. Un professeur de philologie distille des cours de poésie à une assistance étudiante composée principalement de visages féminins. À ce projet pédagogique qui convoque les muses de l’Antiquité pour dresser une éthique poétique et amoureuse, les étudiantes se prêtent petit à petit, avec vertige et passion, au jeu d’une académie des muses bel et bien incarnée. Projet utopique ? Invraisemblable ? Controversé ? Se succèdent des jeux de miroirs et de pouvoirs, de séduction et de désirs, où chacun joue son rôle, où le faux s’acoquine avec le vrai, où badinage amoureux et satire se conjuguent avec délice, sous les auspices de Dante, Lancelot et Guenièvre, Orphée et Eurydice.

« Voir du cinéma et en faire sont tout de suite devenus réversibles comme lire et écrire. De la même façon que dans l’acte d’écrire palpite la gratitude envers la lecture, pour moi, l’acte de filmer entretien un dialogue avec ceux qui m’ont précédé avec les mêmes instruments. » (José Louis Guerin)

Article de Josiane Scoleri :

L’ Académie des Muses est un film qui accroche d’emblée l’attention du spectateur, avant tout parce que c’est de toute évidence un objet de cinéma inclassable et qui ne manque pas de culot. José-Luis Guerín est un des rares cinéastes contemporains à réaliser autant de documentaires que de films de fiction, et dans les deux cas, ses films sont passablement atypiques. Avec l’Académie des Muses, il prend un plaisir évident à brouiller les pistes pour que nous ne sachions jamais ce qu’il en est vraiment. Déjà, la matière du film est en soi hautement improbable, vu qu’il ne s’agit ni d’un film institutionnel ni d’une commande : Nous voici dans la salle de cours d’un professeur italien enseignant « La Divine Comédie » de Dante à l’Université de Barcelone. Raffaele Pinto, dans son propre rôle, est un prof passionné et passionnant qui tient son public en haleine dans son espagnol rocailleux, mais rapide comme un torrent de montagne. Ses étudiants sont surtout des étudiantes, et elles sont captivées qu’il s’agisse de la musique des sphères, de la poésie et surtout de l’amour. L’amour qui est certes la grande affaire de Dante et de la littérature en général, mais qui est bien évidemment la grande affaire de l’humanité. José-Luis Guerín sait filmer comme personne ces visages attentifs, concentrés et vifs à la fois. Car ces jeunes femmes, pour admiratives qu’elles soient vis à vis de la parole du maître ne sont pas confites en dévotion. Leur esprit critique est aiguisé. Leur vision des relations hommes/femmes est celle de jeunes femmes d’aujourd’hui qui tiennent à secouer le cocotier de la domination masculine et des stéréotypes de genre, Ce qui est passionnant dans la perspective du film, c’est qu’elles comptent bien le faire à partir de la littérature et plus généralement de l’art et de la beauté. Pour mettre en place ce « programme révolutionnaire », Raffaele Pinto, leur propose de revisiter la figure de la muse, à partir de la Beatrice de Dante qui a été comme il dit, la première muse personnelle de l’histoire, créée par Dante pour son usage exclusif. En contre-point de ces conversations passionnées entre prof et étudiantes, José-Luis Guerín filme, presque toujours derrière une vitre, des dialogues entre Raffaele Pinto et sa femme, qui ne se font pas face et qui sont plutôt sur un axe l’un derrière l’autre et face à la caméra. L’effet est saisissant. L’un et l’autre nous prennent en quelque sorte à témoin, sans se confronter pour autant directement à nous, ni entre eux. Rosa, la femme de Pinto, est très certainement la plus féministe de toutes, celle qui n’est pas dupe des roueries de séducteur de son diable de mari et ne le lui envoie pas dire. L’écran de verre va revenir à plusieurs reprises dans le film – souvent le pare-brise d’une voiture, quelques fois sous la pluie pour ajouter du flou à des images déjà indirectes. Une manière peut-être, indirecte elle aussi, de nous signifier que nous ne sommes décidément pas dans le documentaire. D’ailleurs, il arrive qu’on distingue clairement la gélatine qui sert à imiter la pluie sur les vitres au cinéma... L’artifice n’est pas là pour passer inaperçu et faire plus vrai que vrai comme c’est par définition le cas au cinéma. En cela aussi, L’ Académie des muses est un film vraiment audacieux qui nous parle ouvertement de mise en scène du réel. Et finalement, n’est ce pas là une définition possible de toute activité artistique ? Vers le milieu de film, nous quittons Barcelone pour la Sardaigne, à la rencontre des bergers poètes qui ont inventé un langage au plus près des sons de la nature et des bêtes. C’est certainement un des moments les plus intenses du film. La magie, la nécessité première de la création comme aux premiers temps de l’humanité s’incarne dans la présence physique des bergers, leur parole, leur chant, leur être au monde. C’est le choc et la fusion des cultures : les intellectuels se retrouvent sur la même longueur d’onde que les bergers d’Arcadie. La jeune fille en est durablement troublée. Le professeur se hâte de reprendre la main, n’ayant pas la moindre intention de céder la place dans la fascination qu’il exerce. L’autre grande force du film vient de sa capacité à transmettre visuellement la charge érotique de la parole. C’est déjà en soi un pari insensé, qui se réalise pourtant sous nos yeux au fur et à mesure que le récit se fait construction et que la fiction du documentaire chancelle et qui sait va finir par s’écrouler . À noter au passage l’ habileté de José-Luis Guerín à faire surgir le contemporain au cœur de toutes les époques, de l’Antiquité au Moyen-Age et à s’y confronter directement avec le récit des amours épistolaires sur Internet de Mireia. C’est d’ailleurs avec Mireia que le professeur partira visiter la Bouche des Enfers et la grotte de la Sybille près de Naples, sa ville natale, dans un échange tout autre que platonique. L’Académie des Muses est ainsi un film qui fait le grand écart en permanence entre passé et présent, entre rêvé et vécu, entre fantaisie intellectuelle et passage à l’acte. C’est surtout un film qui nous amène à faire nous-mêmes ce grand écart, sans que nous y prenions vraiment garde, dans un plaisir non dissimulé des dialogues et du jeu. C’est un film qui semble longtemps comme en apesanteur dans un marivaudage littéraire et subtil sur les questions essentielles de l’amour et du désir, du sexe et de la jalousie et qui tout d’un coup nous précipite sans fard ni ménagement dans une histoire de coucheries des plus terre à terre. Pour un peu, on serait presque dans le vaudeville. José-Luis Guerín dans une grande maîtrise des outils du cinéma sait ménager le suspense, changer de rythme et de registre, de lieu et de perspective. Il compose son film comme un musicien sa partition. Il tisse ses motifs comme un tisserand sa tapisserie. En cela aussi, nous sommes dans le cinéma, art hybride de la création et de l’industrie, de l’artiste et de l’artisan, du singulier et du collectif.

José Luis Guerín est aussi à l’aise dans la fiction (il a été sélectionné à la Mostra de Venise pour Dans la ville de Sylvia) que dans le documentaire (il a reçu le Goya du Meilleur Documentaire pour En construccion). L’Académie des Muses marque le retour du réalisateur après cinq ans d’absence, et joue avec les deux genres : le film est une fiction qui met en scène des acteurs non-professionnels (professeur, étudiants) dans leur propre rôle. Le réalisateur explique : "Pour moi, L’Académie des Muses est clairement un film de fiction, mais une fiction que je n’aurais jamais faite sans avoir auparavant une expérience de documentariste. Depuis le début de ma carrière, je réalise des fictions et des documentaires. On dit même que mes films impairs sont des films de fiction et les films pairs des documentaires ! Je me suis intéressé au sujet par le biais du documentaire, non pas avec une approche journalistique ou activiste, mais comme un moyen de trouver d’autres « outils » pour raconter des histoires. Après mon premier long-métrage de fiction, Los motivos de Berta, j’ai développé une sorte de fatigue à propos de la dramaturgie propre à la fiction, avec ses stéréotypes narratifs, le jeu des comédiens… J’y voyais un cul-de-sac. Les différentes possibilités d’énonciation dans le documentaire ont fait figure de libération. Je me sers donc des deux. De la fiction, j’utilise la composition de la temporalité, du synopsis. Du documentaire, je récupère des stratégies d’énonciation. Ce qui produit une forme pas évidente à saisir pour le spectateur car il y a une hybridation entre fiction et documentaire. Mais pour moi, c’est important de dire ce qu’il en est car la règle du jeu n’est pas la même entre la création d’un personnage en documentaire et en fiction."

L’Académie des muses est à l’origine l’idée d’une des étudiantes présentes dans le film, Emmanuela Forgetta, qu’elle a présentée à son professeur alors que José Luis Guerín assistait à ce cours après y avoir été invité. "Évidemment cette idée n’aurait pas surgi si je ne m’étais pas trouvé là avec un dispositif léger pour filmer", explique-t-il. "Sans aucune intention prédéterminée autre que celle d’accepter le jeu proposé par cette communauté littéraire, j’ai peu à peu remarqué que la pulsion vers la fiction animait la salle de classe et j’ai invité les étudiants à la mener jusqu’aux ultimes conséquences…Dans le film, on parle de sonnets, de littérature, de la manière de ranger une bibliothèque, on tourne autour du livre, mais le spectateur a tout le temps conscience que des choses importantes se déroulent au-delà de la littérature : ce que l’on voit ce sont des rapports de pouvoir entre les personnes, de séduction, d’amour, de jalousie, d’instrumentalisation, de pédagogie... des choses qui nous concernent tous."

José Luis Guerín a travaillé L’Académie des muses avec un scénario très ouvert, préférant parler de mise en situation des acteurs plutôt que de mise en scène. Il a tourné ce film en solitaire, sans directeur de la photographie, directeur artistique ou assistant réalisateur, mais simplement assisté de sa preneuse de son Amanda Villavieja. Ces choix ont guidé la mise en scène de Guerín, qui pour garder un certain contrôle a resserré ses plans sur les visages de ses personnages. Enfin il a choisi de filmer et de monter L’Académie des muses en même temps, nourrissant ainsi son écriture et ses choix de mise en scène par l’alternance entre ces deux phases habituellement distinctes. "Lors du montage on pèse, on évalue la force d’une phrase ou d’un geste capté par hasard, puis on tourne de nouveau pour tirer un film et lui trouver une signification ou en révéler le sens", explique le réalisateur. "Il est probable que ces nouvelles images contiennent de nouveaux mystères à lever… Ce n’est pas l’« exécution d’un plan prédéterminé » mais une écriture et une reconstruction permanente qui se nourrit du matériel filmé lui-même".

"L’Académie des muses saisit le mouvement de la parole et de la pensée, mais aussi progressivement celui des corps, dans une vertigineuse traversée du miroir, à l’image de ces surfaces réfléchissantes se dressant entre la caméra et les personnages, révélant l’usage de HF pour accéder aux précieux et piquants dialogues. Il est particulièrement revigorant – car si rare dans la fiction mais aussi le documentaire – de sentir à ce point un film envisagé comme un champ de possibles, une matière joueuse et instable, et non un objet ficelé comme un rôti avant même d’avoir été réalisé. D’ailleurs ce film n’existait tout simplement pas avant d’exister...Comme toujours avec Guerín, il y a une autre image présente dans l’image que l’on voit ; l’écran se définit comme un espace dédié à l’imaginaire. Les surimpressions qu’il compose sont en même temps des projections inscrivant les muses dans une vie qui, littéralement, s’anime sur ces surfaces réfléchissantes. Ainsi la matière fictionnelle et la réalité se regardent avec une puissance suggestive et impressionniste : variations lumineuses, ballets de branches, mouvement perpétuel de la circulation, déambulation des passants. Ces reflets invitent aussi, indirectement, un autre motif privilégié du cinéma de Guerín : le visage, et son amour tout particulier de celui des femmes. Le dispositif et les reflets œuvrent véritablement à projeter ailleurs ces faciès à la beauté non canonique, ils les ornementent, les transcendent...La beauté des mots, des paroles, des êtres est ce qui relie toutes les coordonnées de ce film labyrinthique. À cet égard José Luis Guerín constitue un artisan hors pair, guidé par un regard amoureux pour ces figures féminines, libres en ce qu’elles représentent autant de Galatée échappant à leur professeur-Pygmalion, peut-être moins au Pygmalion-cinéaste." (Critikat.com)

L’Académie des Muses a été applaudi par la critique et a reçu le Giraldillo d’Or au festival de Cinéma Européen de Séville, une première pour un film espagnol. Le film a également été récompensé au dernier Festival de Locarno.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

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