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Vendredi 21 janvier 2011 - CABEZA DE VACA

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le lundi 17 janvier 2011.


Film de Nicolas ECHEVARRIA

Espagne, Mexique, USa, GB - 1991 - 1h52 - Vostf

DECOUVERTE DE L’AMERIQUE ou RENCONTRE DE DEUX MONDES

par Josiane SCOLERI

Le film de Nicolas Echevarría pose directement la question de savoir ce qui s’est passé en 1492 avec l’arrivée de Christophe Colomb sur une île des Caraïbes. Les Européens parlent communément de « la découverte de l’Amérique ». Expression remise en question de longue date par les mouvements « indianistes » d’Amérique. Latine qui y décèlent la vision unilatérale de l’Europe comme si l’Amérique et ses peuples avaient été révélés à eux mêmes par leur contact avec les Espagnols... Le terme de « rencontre entre deux cultures » que certains s’évertuent à utiliser semble bien angélique et gageons que Samuel Huntington y verrait plutôt l’illustration parfaite de sa théorie du « choc de civilisations ».

Le réalisateur choisit d’aborder la question à travers la figure d’Alvar Nuñez Cabeza de Vaca, personnage hors norme dans l’histoire de la Conquista et de la présence espagnole sur le continent américain. S’il est bien parti comme tous les membres des expéditions de l’époque pour « découvrir », voire conquérir l’Amérique et à tout le moins y faire fortune, Cabeza de Vaca verra sa vie et sa vision du monde bouleversées en profondeur par sa rencontre forcée avec les « Indiens ». C’est dans ce bouleversement que tient tout entier le film de Echevarría. Dès les premiers plans nous sommes dans le drame et l’excès. Les acteurs déclament comme au théâtre sur un fond de tempête de fin du monde et d’ailleurs Echevarría fait dire au capitaine : « Aqui se acabó España » que je traduirais volontiers par « Ici, il n’y a plus d’Espagne qui vaille ».

Avec des images fortes, saisissantes, voire violentes, il nous emmène à la suite d’Alvar dans un monde où tout est inconnu et donc par définition effrayant. Les premiers pas des naufragés dans la forêt équatoriale ne sont pas sans nous rappeler les images des soldats américains étreints par la peur dans la jungle du Vietnam. Même trouille au ventre, même sentiment du danger omniprésent face à un ennemi insaisissable. Et lorsque la rencontre se produit enfin, même incompréhension totale. Soyons gré au réalisateur d’avoir tenu à ce que les indigènes parlent leur langue et comme Alvar ne les comprend pas, nous non plus. C’est clair, net et sans appel. Rappelons d’ailleurs au passage que les rapports de maître à esclave se passent souvent de mots à toutes les époques et sous toutes les latitudes.

À partir de là, nous sommes catapultés nous aussi dans un monde régi par la pensée magique et le spiritisme. Cabeza de Vaca monologue en espagnol pour essayer de tenir le coup, nommer les choses et se souvenir qu’il croit en un Dieu créateur de tout l’Univers y compris par conséquent des Indiens qui le tiennent en leur pouvoir. Ses deux maîtres, tandem insolite qui semble sorti tout droit d’un tableau de Jérôme Bosch, le regardent narquois et sûrs d’eux-mêmes dans cet environnement qui y est le leur. Le film déroule tranquillement cette opposition, ce choc entre deux façons d’être au monde, sans donner d’explication ni sur l’une, ni sur l’autre. Ce faisant, le réalisateur nous amène habilement à un point qui serait à peu près équidistant entre les deux, malgré notre évidente proximité culturelle avec la manière de penser de l’Espagnol. La scène de la tentative de fuite qui échoue lamentablement est à ce titre emblématique. Et là, Echevarría réussit ce qui est peut-être son coup de maître dans le film : il évite complètement le film d’initiation. Nous ne sommes pas dans « Little Big Man », et encore moins dans un de ces innombrables films où un Occidental - sous-entendu généralement un civilisé- se retrouve pris en charge par de Bons Sauvages et apprend à les aimer, respecter leur culture, etc..

Nous ne saurons jamais comment Alvar acquière ses dons de guérisseur et les « Sauvages » ne sont d’ailleurs pas tous bons. Les différentes scènes sont tournées sur le mode de l’allégorie mystique. Elles nous montrent - quelques fois avec ostentation, souvent avec maestria - la légende et la manière dont celle-ci est vécue par les différents protagonistes : les Indiens, les quelques comparses espagnols retrouvés en chemin et Cabeza de Vaca lui-même. Si le film et son personnages côtoient de près la folie – la frontière entre folie, mysticisme, hallucination et transe incantatoire est bien mince - ils n’y sombrent pour autant ni l’un ni l’autre et le spectre cinématographique de ce qui aurait pu être un remake forcément pâlichon d’ « Aguirre ou la colère de Dieu » n’ a même pas le temps de prendre corps. Echevarría nous amène ailleurs. Car loin de se perdre somme Aguirre (dans la forêt, dans le délire paranoïaque, dans la solitude sans fin), Alvar Cabeza de Vaca, lui, va se trouver, et trouver des fidèles, par la pérégrination dans l’immensité de ce désert ponctué de pyramides. Les images peuvent d’ailleurs fugacement évoquer nos représentations de l’Égypte ancienne et nous verrons plus loin que ce n’est pas innocent de la part du réalisateur.

Quand enfin se produit le moment des retrouvailles avec les Espagnols, celles-ci sont lourdes de sens. Avec un clin d’œil au western où généralement quelques Indiens à cheval entourent en hurlant deux ou trois Blancs isolés, le réalisateur inverse la donne et ce sont les Espagnols qui vocifèrent et galopent toute lance devant autour d’Alvar et de ses deux acolytes qui peinent à se faire reconnaître comme sujets de sa très chrétienne Majesté. Et en effet, 8 ans après, Cabeza de Vaca est devenu un Espagnol bien différent.

Toute la fin du film montre l’éloignement entre Alvar et ses compatriotes, son recul face à l’entreprise même de la Conquête. À ce moment-là, le projet militaro-religieux des Espagnols apparaît dans sa dimension véritablement délirante et la scène finale en témoigne de façon magistrale. Là le parallèle avec l’Egypte et ses travaux pharaoniques prend tout son sens et s’impose à nous. Et nous resterons longtemps, je crois, avec la dernière image : cette croix qui chemine, portée par des milliers d’hommes-fourmis.

J.S.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane SCOLERI.

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