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Cinéastes iraniens : poursuite de la mobilisation du Comité de soutien 06

Publié le mercredi 14 décembre 2011.


Moins de deux mois après l’annonce des jugements en appel concernant les condamnations de Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof, le Comité de Soutien 06 a poursuivi ses activités lundi 12 décembre à Cannes.

Rappelons tout d’abord que si Rasoulof a vu sa peine initiale de 6 ans d’emprisonnement réduite à 1 an (quid des 20 ans d’interdiction de tourner ou de quitter le territoire ?), il n’en a pas été de même pour Panahi qui a vu la sentence confirmée, donc 6 ans de prison et 20 ans d’interdiction professionnelle, de sortie du territoire et de contact avec la presse.

C’est à l’initiative de la section cannoise de AMNESTY INTERNATIONAL – organisation membre à part entière du Comité de soutien depuis la première heure – que le film de Mohammad Rasoulof, AU REVOIR, a été projeté aux cinéma Les Arcades de Cannes pour une séance unique le lundi 12 décembre.

Une cinquantaine de spectateurs ont vu le film, environ les deux-tiers sont restés au débat.
La présentation de la séance a été assurée successivement par Michel Barré, Président d’Amnesty International Cannes (topo et rappel sur Amnesty), Philippe Serve, Président de Cinéma sans Frontières et porte-parole du Comité (rappel des faits ayant entraîné l’arrestation puis la condamnation des cinéastes et la création du Comité de soutien), puis Vincent Jourdan, président de Regard Indépendant (topo sur Rasoulof et sa filmographie).

Inutile de dire que les gens présents ont été impressionnés par le superbe film de Rasoulof, présenté en une splendide version numérique.
Contexte oblige (soirée Amnesty), le débat animé conjointement par Philippe et Vincent, a davantage porté sur l’Iran, sa politique, ses atteintes aux libertés et le sort des artistes dans cette société que sur l’aspect purement cinématographique du film, même si celui-ci n’a pas pour autant été évacué.

Bref, une très bonne séance, la quinzième "parrainée" par le Comité de soutien 06 aux cinéastes iraniens privés de libertés (1), ou où celui-ci aura été associé.
Espérons qu’il y en ait d’autres... et puis surtout qu’il n’y en ait plus besoin, car cela voudra dire que tous les cinéastes iraniens auront retrouvé leur pleine et entière liberté.
Les contextes électoraux à venir en Iran (législatives en mars 2012, puis présidentielles en 2013) ne rendent pas forcément optimistes.... Encore qu’il soit bien de difficile de prévoir quoi que ce soit, vu l’illogisme des décisions judiciaires survenant dans ce pays depuis quelques temps (lire à ce sujet l’article qui suit).

(1) Le Comité 06 comprend à l’heure actuelle les associations suivantes : Cinéma sans Frontières, Regard Indépendant, ADN, Amnesty International, Héliotrope, Culture et Cinéma, Polychromes, Espace de communication lusophone, Les Ouvreurs, Les Méduses, Ciné-Action, Lumières des Toiles, Les Visiteurs du Soir, Cannes-Cinéma.


Confirmation de l’analyse faite il y a un an au début de notre mobilisation : il y a bien lutte et division au sein du pouvoir à Téhéran entre le Guide Suprême, Ali Khamenei (le « vrai » pouvoir, religieux et hyper conservateur) et le Président, Mahmoud Ahmadinejad (politique, plus "réformateur" socialement qu’on ne le dit ici en Occident, même si ça reste relatif et limité). C’est ce que montre clairement l’article du Monde reproduit ci-dessous.

Le président Ahmadinejad et son gouvernement avait fermement condamné les arrestations puis condamnations de Panahi et Rasoulof, en réclamant leur libération. Mais il y a en Iran, une - grande - séparation entre le pouvoir politique exécutif (présidence) et le pouvoir judiciaire qui relève entièrement du religieux et du Guide Suprême, constituant une sorte d’état dans l’état avec sa propre force de police.

L’article qui suit (Le Monde du 29/11) montre que la lutte entre Khamenei et Ahmadinejad est clairement passé de la théorie à la pratique et que les Bassidj - sous l’autorité de Khamenei - ont clairement choisi leur camp. Contre Ahmadinejad (lui, ancien Pasdaran ou Gardien de la Révolution, c’est à dire plus "militaire" que "religieux"). Si ce dernier ne représente pas une vision totalement laïcisé de l’état – l’homme est très religieux - , son approche de l’Islam diverge sur bien des points de celle de Khamenei et de ses alliés.

Le président actuel arrivant au bout de ses deux mandats maximums (élection présidentielle en 2013), Khamenei n’a plus à le soutenir – contrairement à 2009 - contre le candidat d’opposition "Vert" Mir Hossein Moussavi, lequel était soutenu par le rival premier de Khamenei, l’ayatollah Rafsandjani, lui-même ancien président. Moussavi est actuellement assigné en résidence surveillée.

Il me semble clair que, d’une part, Khamenei n’a plus besoin de Ahmadinejad et qu’il doit déjà chercher (et a peut-être déjà trouvé...) son successeur (un qui sera mieux aligné et moins indépendant) et que, d’autre part, toutes les initiatives "progressistes" (j’emploie ce terme de manière relative par rapport à l’hyper-conservatisme religieux) de Ahmadinejad – notamment envers les femmes - ont depuis longtemps disqualifié celui-ci aux yeux du Guide... Je ne serais guère surpris de voir l’actuel président se faire arrêter dès les élections de 2013 passées et une fois le nouveau candidat-maison de Khamenei élu... s’il l’est. Ces élections seront précédées de législatives en mars 2012.

On comprend aussi toujours mieux pourquoi et comment les cinéastes, producteurs/trices ou acteur/trices, que nous avons choisi ensemble de soutenir, ne sont que des pions-symboles sur l’échiquier intérieur iranien, non pas entre "pouvoir" et "opposition (plus ou moins) démocratique" (1), mais à l’intérieur même du pouvoir.

(1) Le souvenir des huit années passées au poste de Premier Ministre (1981-89) par Mir Hossein Moussavi, directement responsable des 33 000 exécutions de prisonniers politiques et d’une très féroce répression dans les dortoirs d’étudiants lors de sa dernière année de mandat, oblige à rester prudent avant de décerner de grands brevets de démocratie…

Philippe Serve
Président de CSF et porte-parole du Comité de soutien 06 aux cinéastes iraniens privés de libertés.

L’article du Monde :

Les proches d’Ahmadinejad persécutés par la justice iranienne

Les querelles au sommet du pouvoir iranien, entre le camp du guide suprême Ali Khamenei et celui du président Mahmoud Ahmadinejad, prennent une ampleur inédite. Le 21 novembre, les locaux de l’agence officielle IRNA ont été le théâtre d’affrontements musclés entre ses employés et journalistes d’une part et, de l’autre, les agents du parquet de Téhéran, venus arrêter Ali-Akbar Javanfekr, directeur de l’agence et conseiller de presse d’Ahmadinejad.

Javanfekr a été condamné à un an de prison et trois années d’interdiction d’exercer toute activité journalistique, suite à la publication dans Khatoon, supplément du quotidien Iran (ce titre dépend de l’agence IRNA) d’un article critiquant le tchador. En fait, cette condamnation est intervenue au lendemain d’une interview de Javanfekr au quotidien réformiste Etemaad, dans laquelle il osait critiquer Gholam-Hossein Mohseni Ejei, procureur général, et Manouchehr Mottaki, ancien ministre des affaires étrangères, deux personnalités proches de Khamenei.

"Il vaut mieux qu’ils gardent le silence. C’est ainsi que leur honneur restera intact. Si les rideaux tombent, le peuple apprendra beaucoup de choses", avait déclaré Javanfekr. Il a également mis en garde le système judiciaire, qui accuse certains proches d’Ahmadinejad de corruption : "Quelle corruption ? Pourquoi n’ont-ils toujours pas apporté de preuves à l’appui de leurs accusations ?", a-t-il martelé.

39 JOURNALISTES ET EMPLOYÉS ARRÊTÉS

Ali-Akbar Javanfekr venait de terminer une conférence de presse, dans les locaux de l’agence, contre sa condamnation, lorsque les forces de l’ordre ont débarqué. Les heurts ont éclaté entre les membres de la rédaction, qui tentaient de protéger leur directeur, et les agents du parquet. "Ils ont jeté des ordinateurs par terre, insulté et frappé tout le monde à coup de matraque. Les forces de l’ordre ont même tiré du gaz lacrymogène dans la rédaction, a confié un journaliste du quotidien Iran au site International Campaign For Human Rights in Iran. Les collègues ont brûlé des journaux pour neutraliser les effets du gaz lacrymogène… Je n’avais jamais vu cela."

Mohammad-Hassan Roozitalab, ancien journaliste à IRNA, compare cette attaque à celle commise par les miliciens bassij de la République islamique contre les dortoirs des étudiants en 1999 : "Occuper un organe de presse à coups de matraque, y tirer des gaz lacrymogènes, insulter les femmes qui travaillent dans la rédaction, traîner les journalistes par terre les pieds nus, briser des fenêtres et des écrans… Tout cela me rappelle la tragédie qui a eu lieu dans les dortoirs des étudiants." Impossible, non plus, de ne pas penser à la répression du mouvement vert à la suite de la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, en juin 2009.

Mais cette fois-ci, ce sont ses partisans qui sont la cible des miliciens… Lors de cet assaut, 39 journalistes et employés de l’agence ont été arrêtés, menottés et transférés vers un centre de détention. "Ils sont tous des membres du bassij et ont été actifs lors des affrontements en 2009, se désole un journaliste de la rédaction dans son blog. Ces journalistes ont ensuite fait l’objet des pires insultes, qui parfois ont même visé le président [Ahmadinejad]." Les enquêteurs se sont également promis de bientôt arrêter Ahmadinejad, qu’ils amèneraient "les yeux bandés" dans la même prison, rapporte le même journaliste.

Selon le quotidien Entekhab, Mahmoud Ahmadinejad aurait quitté une réunion dès qu’il a appris la nouvelle de l’arrestation de son protégé. Il aurait également menacé de se rendre sur place si Ali-Akbar Javanfekr n’était pas tout de suite libéré. Javanfekr, menotté et entouré des forces de l’ordre pendant une heure dans son bureau, a été libéré "suite à des échanges entre les membres du gouvernement et les autorités judiciaires", relate l’agence de presse Mehr.

Assal Reza

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/11/29/les-proches-d-ahmadinejad-persecutes-par-la-justice-iranienne_1610434_3218.html