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VENDREDI 04 AVRIL 2014 - LEÇONS D’HARMONIE

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le dimanche 30 mars 2014.


Emir Baigazin

Kazakh - 2013 - 1h44 - vostf

Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement

Aslan, 13 ans, vit avec sa grand-mère dans un village au Kazakhstan. Il fréquente un collège où la corruption et la violence tranchent avec son obsession du perfectionnisme. Le jeune Bolat, chef du gang des mauvais garçons, humilie Aslan devant ses camarades de classe et extorque de l’argent à tous les adolescents. Aslan prépare une vengeance féroce et implacable.

Article de Bruno Precioso :

L’image du Kazakhstan, pays peu médiatisée et qui offrait déjà un visage flou en tant que république soviétique avant l’indépendance de 1991, n’est pas à proprement parler celle d’un grand pays de culture – si ce n’est sous le jour du folklore ; peut-être moins encore d’un grand pays de cinéma. Dans ce contexte, le succès croissant d’un Darezhan Omirbaev, remarqué depuis Kaïrat (1992) et Tueur à gages (1998), et actuellement très en vue avec l’Etudiant, pourrait figurer comme l’apparition d’un cinéma national, confirmé par l’émergence d’une nouvelle génération en la personne de Emir Baigazin. Pourtant, après un premier film-symbole (Les chants d’Abaï, 1945) le cinéma kazakh dans sa période soviétique a connu deux âges d’or ; dans les années 1960 d’abord (comme d’autres républiques d’Asie centrale) dominées par la production de Chaken Aimanov ; à la fin des années 1980 ensuite dans l’autoproclamée Nouvelle vague kazakhe avec L’Aiguille de Nougmanov (1988), Le Balcon de Salykov (1988) ou Terminus de Aprymov (1989). De manière continue, la production filmique atteste d’une sensibilité commune des cinéastes kazakhs à la question de la force – voire de la violence, et met en scène des héros plus nuancés que n’en propose la production soviétique moins périphérique contemporaine. On peut considérer que l’ambigüité est l’une des caractéristiques de ce cinéma y compris celle de la Nouvelle vague. C’est dans l’éclosion de cette génération qu’est né Emir Baigazin en 1984. Pas de désir de cinéma particulier chez le jeune Baigazin, qui accède surtout, dans le Kazakhstan en pleine décomposition de son adolescence, à du cinéma commercial d’action et à des films de série B. Il entreprend pourtant en 2003 des études consacrées à la mise en scène de cinéma à l’Académie nationale kazakhe des Arts. A partir de 2007 il suit l’enseignement de l’Académie du Film Asiatique sous la direction en particulier de l’Iranien Mohsen Makhmalbaf (et du Thaïlandais Pen ek Ratanaruang), où il est mis en contact avec des styles d’une très grande variété qui enrichissent son approche d’abord assez simple du cinéma.

Des cafards en général, et des hommes en particulier

Ce premier film marie donc d’une part la création d’univers et l’évolution d’acteurs où il est possible de retrouver la trace des teen-movies et des thrillers à suspens qui ont nourri Baigazin avant ses études, et d’autre part un travail esthétique remarquable de maîtrise, indépendamment même de l’âge du réalisateur (26 ans au démarrage de son projet). Selon une démarche qui ne surprendra pas après avoir vu le film, Emir Baigazin procède par flashs d’images et intuitions, confiant même que certains aspects de son film lui sont apparus clairement une fois le montage achevé – tant concernant le sens de certaines trajectoires des personnages que les images symboliques qui s’étaient imposées à lui pour certaines scènes fortes. Une grande spontanéité préside donc à la genèse du film, surgi par étincelles au cours des promenades du réalisateur. Rien pourtant n’est laissé au hasard puisque Baigazin s’est chargé du scénario comme du montage, a cadré lui-même et n’a finalement délégué que la photographie – superbe – à Aziz Zhambakiyev, et le son. La qualité de l’image (récompensée à Berlin par un ours d’argent) est mise au service d’un récit très frontal, conduit avec une perspective d’entomologiste et portant un regard glacé et glaçant sur ce Kazakhstan d’adolescents dans lequel toutes les structures oppressives du monde adulte sont déjà en place, de toute éternité semble-t-il ou du moins s’installant naturellement. Le montage, sec et sans complaisance, étend par à-coups le système du film en ménageant l’inattendu de la narration ; chaque scène construit un espace-temps propre, inscrivant le récit dans des réseaux de plus en plus étendus. Ceux des systèmes de racket et de contrôle social par des organisations mafieuses rivales, ceux du rôle de l’autorité publique (de l’école à la police), ceux de l’intégration ou de la désintégration des espaces (dialectique capitale/province, déclassement ville/village, nature…), ceux de la libéralisation et de ses dégâts, ceux des différents régimes de croyance et de superstition, (où la religion, de l’islam à l’animisme tengrique, est perçue dans sa stricte valeur d’idéologie au même titre que l’idéal éducatif, la structure administrative ou modernité incarnée dans les nouvelles technologies au service du Loisir).

« Si quelqu’un t’a offensé, ne cherche pas à te venger. Assieds-toi au bord de l’eau, et bientôt tu verras passer son cadavre dans la rivière. » (proverbe asiatique)

Car Baigazin a grandi dans l’ère de l’appropriation de la richesse collective, sous couvert de libéralisme, par des apparatchiks constitués en mafia. « Dans le fond, Leçons d’harmonie n’est pas réellement un film sur l’école ou sur l’adolescence ; c’est un film sur un système de violence qui est inhérent à la nature humaine. Leçons d’harmonie ne raconte pas une guerre entre des personnes mais raconte la guerre intérieure qui ravage une seule et même personne. » affirme-t-il lui-même. Ce qui pourrait passer pour un pessimisme radical, lorsque Baigazin définit en interview l’harmonie dont il fait son titre comme un principe transcendant les notions de Bien et de Mal, peut être compris comme une réactualisation de l’esprit tragique propre aux Anciens : les postulats manichéens d’origine s’effacent, chacun des personnages apparaît comme libre d’actes qui le dépassent néanmoins, et la caméra adopte une proximité qui ne permet ni le détachement, ni l’abstraction. Dans un pays en proie à une corruption généralisée, à une maffia endémique côtoyant un pouvoir politique brutal pratiquant ouvertement la torture des opposants et la censure de la presse, on ne peut s’attendre à beaucoup de douceur du récit. La réalité socio-économique kazakhe est évidemment la matière même du film, mais l’objet de Baigazin est ailleurs. Là encore, la forme donne la clef ; le travail de cadrage auquel le réalisateur s’est attelé seul renvoie à l’implacable horizontalité de l’image. Rares sont les éléments de verticalité qui se tiennent debout, et au prix de quels efforts… Sans doute faut-il se souvenir que l’isolement est une des autres réalités de cet espace, de 15 millions d’habitants pour un territoire de 5 fois la France. Nécessité de la constitution d’un collectif qui se révèle invariablement oppressif. A cette construction en direct de l’enfermement dans un système répondent une multitude d’autres systèmes, plus larges et plus étroits, à peine entrevus ou évoqués mais dont on voit suffisamment de chose pour comprendre qu’ils se fondent en une seule logique – bien éloignée de la fiction enseignée en classe. Refusant toute idée morale, c’est bien le syllogisme qui commande le monde d’Aslan où tout agit et est agi de manière purement mécanique. A ce titre, le regard du cinéaste Kazakh peut être rapproché de celui d’un Jia Zhang-ke dans son dernier long-métrage (A touch of sin). Tous deux font figure de manifeste postmoderniste pour une humanité vouée à subir un système qu’elle engendre sans fin – et pourtant en toute lucidité désespérée. Impossible réintégration dans un monde qui s’est éloigné. Même image glaçante d’un univers en pleine mutation (ou destruction pour le dire mieux), mêmes relations de brutalité entre des humains à l’âpreté de bêtes, même absence de justice et de valeurs auxquels s’agripper dans l’universel naufrage, même absence d’espoir, au fond. Et pourtant, on continue.

Leçons d’harmonie est le premier long-métrage du cinéaste kazakh Emir Baigazin. Pour ce film, il a été au four et au moulin puisqu’il en est également le scénariste et le chef monteur. Il ne lui manque qu’un rôle dans sa propre fiction.

Loin de faire un film coup de poing ou propagande, le cinéaste Emir Baigazin cherche, avec Leçons d’harmonie, à questionner le darwinisme social. Plus qu’un film sur l’école ou l’éducation, il s’agit d’une mise en avant de la violence de la nature humaine, plus ou moins inconsciente.

L’idée du film est venue au réalisateur lorsqu’il se promenait tout naturellement dans la rue : "C’était inconscient, il n’y avait pas d’intention et certains détails ont évolué étape par étape plus tard. Je connais très bien le contexte du film, mais je tiens quand même à dire qu’il ne s’agit pas d’un film autobiographique. Je voulais mettre en avant un système scolaire qui évoque et reflète le système qui prévaut dans notre société, à différents niveaux. Dans le fond, Leçons d’harmonie n’est pas réellement un film sur l’école ou sur l’adolescence ; c’est un film sur un système de violence qui est inhérent à la nature humaine. Leçons d’harmonie ne raconte pas une guerre entre des personnes mais raconte la guerre intérieure qui ravage une seule et même personne. Pour chacun d’entre nous, le défi est de pardonner ou continuer à se battre.." Comme son personnage principal, le réalisateur aussi a grandi dans un petit village retiré du pays, et connaît dès lors très bien le contexte sur lequel se construit son film.

Contrairement à ce qui lui a été reproché, le film d’Emir Baigazin ne se veut pas violent. S’il s’ouvre sur le meurtre d’un mouton, c’est pour installer le contexte de survie dans lequel vit le village d’Aslan, de même que les tueries qui suivront dans le film. "Cela me semblait plus élégant ainsi. Je n’ai jamais voulu contempler la violence", conclut le cinéaste.

"Quand on me demande la raison de ce titre pour ce film, je réponds toujours que l’harmonie est un terme qui dépasse les principes manichéens de noir et blanc, de bien et de mal". Comme les cours qui sont donnés aux enfants dans le film, l’atteinte de l’harmonie va plus loin qu’un simple principe de dualité. Les faits sont pleins de paradoxes, de zones de gris, et la leçon d’harmonie consiste alors à y trouver le juste équilibre.

Leçons d’harmonie a reçu le Grand Prix du Jury lors du 26ème Festival Premiers Plans d’Angers, en janvier 2014, ainsi que l’Ours d’argent pour la Meilleure image au festival de Berlin 2013, une mention spéciale au festival de Trebica et enfin le prix d’interprétation masculine au festival d’Amiens. Il a par ailleurs été nominé et a reçu des prix à Seattle, Sao Paulo, Philadelphie, Abu Dabi, Varosvie, Gand, Tokyo, Sarajvo, San Sebastian, Busan et Nantes.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso

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Affiche Leçons d’harmonie