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Les Ailes du Desir - 7ème Festival annuel - 2009 - Frontières

Mercredi 04 février - 20h 30 - Cinéma Mercury
Publié le mardi 3 février 2009.


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Bruno Ganz et Solveig Dommartin

Une main qui écrit sur une feuille blanche et la voix "off", en allemand, de celui qui écrit : "Als das Kind Kind war...", "Lorsque l’enfant était enfant, il marchait les bras ballants, voulait que le ruisseau soit rivière et la rivière fleuve, que cette flaque soit la mer... Lorsque l’enfant était enfant, il ne savait pas qu’il était enfant, tout pour lui avait une âme et toutes les âmes étaient une... Lorsque l’enfant était enfant, il n’avait d’opinion sur rien, il n’avait pas d’habitudes, il s’asseyait en tailleur, démarrait en courant, avait une mèche rebelle et ne faisait pas de mines quand on le photographiait...". Ainsi s’ouvre, en un plan-séquence pré-générique, Le Ciel au-dessus de Berlin, titre original des Ailes du Désir (Der Himmel über Berlin – Wenders a vite préféré le titre français ou anglais, Wings of Desire). Le plus poétique et le plus beau sans doute (avec Paris, Texas) des films de Wim Wenders.

Berlin d’avant la chute du mur. Il coupe encore la ville, l’Europe, le Monde en deux. Sur les tours des églises, assis sur les bras des statues, aux terrasses des cafés, marchant dans la ville, des Anges veillent et passent tantôt au-dessus, tantôt à travers le mur. Leur quotidien, à eux qui sont tout à la fois hors du Temps et le Temps lui-même ? Observer les femmes et les hommes, écouter leurs pensées avec toujours énormément d’attention, noter même scrupuleusement dans un carnet les petits faits et gestes - "Une vieille dame a fermé son parapluie d’un coup sec et s’est laissée tremper" -, poser parfois une main amicale sur l’épaule de celui ou celle qui, perdu, broie des idées noires et qui, du coup, découvre ou retrouve une certaine force en lui/elle, un espoir venu d’il/elle ne sait d’où.
Les anges sont là depuis la nuit des Temps. Dans l’imagerie traditionnelle, disons religieuse et spirituelle, les anges sont associés à la Lumière et au Paradis lequel, à son tour, renvoie aux notions d’immortalité et d’infinie béatitude. Avec Les Ailes du désir, Wim Wenders prend cette vision-frontière à rebours. Ici, les anges voient la vie en noir et blanc, tandis que la couleur appartient aux pauvres mortels que sont les vivants. Précision : ce noir et blanc angélique ne découle d’aucune approche manichéenne. Les anges de Wenders ne jugent personne. Ni en bien, ni en mal. Certes, un sourire de contentement s’affiche sur le visage de Damiel au constat qu’un homme repart le moral en hausse après sa « visite ». De même, Cassiel ne cache pas son désespoir après avoir échoué dans sa tâche d’ange gardien. Mais ces réactions semblent davantage celles d’employés consciencieux, appliqué, plutôt que relevant d’une pure émotion ancrée dans des certitudes sur le Bien et le Mal.

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Solveig Dommartin

Les Ailes du désir, malgré ses nombreux monologues intérieurs ou sa lenteur, est un film simple. Simple car limpide. Epuré comme une paire d’ailes. D’anges, bien sûr. Un film qui fait autant appel aux sens – titillés par la fusion des images, des sons, de la musique - qu’à l’esprit, nourri par les mots chargés de la poésie du dramaturge allemand Peter Handke. Le premier dialogue entre Damiel et Cassiel où les deux anges et amis se racontent les petits gestes observés du quotidien des vivants vibre de cette poésie simple, que l’on pourrait nommer poésie du réel.
Le message que nous délivre Wim Wenders est ainsi simplissime. La vie est belle pour qui sait voir et apprécier les mille et un petits bonheurs qui la composent : un café et une cigarette – surtout ensemble - se frotter les mains l’une contre l’autre pour les réchauffer, comme l’enseigne le mythique interprète de l’inspecteur Colombo – mais aussi de plusieurs chefs d’œuvre de John Cassavetes - Peter Falk in persona.
Pas de grands bonheurs spectaculaires, que des infimes. Car les humains passent bien plus de temps à résister, à endurer, qu’à triompher. Alors quand un simple plaisir peut être arraché à la grisaille de l’existence, il doit être célébré comme un moment essentiel de notre vie. Pas grand-chose ? Et pourtant c’est bien de cette vie là qu’un ange se met à rêver. Absurde ? Peut-être. Mais il y a l’Amour aussi. Et c’est lui qui change tout. Lui qui fera franchir la frontière.

Peut-on faire plus simple ? Pas certain. Mais là où un vulgaire quidam aurait tout recouvert de sentimentalisme dégoulinant – exactement ce que fit en fait l’obscur réalisateur américain Brad Silberling avec son remake du film (City of Angels, 98, avec Nicolas Cage et Meg Ryan) - Wenders tourne en poète. On reconnaît ici ou là des références et des clins d’oeil à Cocteau, Fellini et, bien sûr, le grand Homère lui-même. Sans oublier les trois cinéastes à qui le film est dédié à travers leurs prénoms : Yasujiro (Ozu), François (Truffaut) et Andrzej (Wajda). Cette poésie s’exprime autant par les mots que par les images, splendides, dues à l’immense talent du directeur de la photo français Henri Alekan qui accomplissait là sa plus belle œuvre depuis son travail sur La Belle et la Bête (Jean Cocteau, 46). Son noir et blanc, travaillé au travers d’un bas ayant appartenu à sa grand-mère et servant de filtre, est somptueux. Comme autrefois pour la féerie de Cocteau, il porte un soin extraordinaire aux éclairages, allant jusqu’à poser et utiliser – toutes en même temps – une quarantaine de minuscules lampes afin de souligner le moindre objet, entre ombre et lumière, dans la scène de la roulotte de Marion.

Les mouvements de caméra font merveille. On vole, on plane avec les anges. Le début du film – post-générique – reste l’une des plus somptueuses de l’histoire du cinéma à se mettre sous les yeux. Loin d’être un film immobile, Les Ailes du Désir est mouvement. Tout bouge, se déplace. Avec lenteur, certes. Avec grâce. Le vol des anges (en caméra subjective), les trains qui filent (hommage à Ozu, à n’en pas douter), les voitures qui circulent, les nuages qui glissent, et Marion la belle artiste qui se balance sur son trapèze. La caméra ne se fige que sur les gros plans de visages, ou sur ces silhouettes de Berlinois ou immigrés, figés dans leur solitude et leurs pensées.
Saisissants aussi sont les inserts d’archives montrant Berlin en ruines à la fin de la deuxième guerre mondiale. Ils soulignent combien la capitale allemande reste marquée dans son identité par les plus tragiques heures de son histoire, combien ici la frontière entre passé et présent n’existe pas. Wenders avait compris lors du tournage de son premier film, Summer in the City (1970, titre emprunté à une chanson des Lovin’ Spoonful) que l’on ne pouvait faire un film à Berlin sans faire un film sur Berlin. Car la ville existe comme une entité séparée du reste du monde, sorte de planète autonome ou de no man’s land perdu au milieu de nulle part. Ville alors partagée en deux, encore stigmatisée par son passé et où les représentations d’anges s’étalent partout, dans la pierre, le bois, le marbre…

Poème cinématographique, Les Ailes du Désir est-il aussi un film politique ? Le fait qu’il ait précédé de deux ans seulement la chute du Mur, ce mur que les anges traversent librement, suffit-il ? La dimension principale du film est bien l’Hymne à la Vie. Mais il est vrai que professer une telle chose dans le Berlin d’alors ne pouvait être, aussi, que politique. Et aujourd’hui ? Plus de vingt ans après sa réalisation, à peine moins après la chute du mur et la fin de la Guerre Froide, le demeure-t-il ? A vous, spectateurs de 2009 et citoyens d’un monde en crise, de répondre.

Philippe Serve

Scénario : Peter Handke, Wim Wenders et Richard Eidinger
Photographie : Henri Alekan.
Montage : Peter Przygodda
Décor : Esther Waltz
Musique : Jürgen Knieper
Costumes : Monika Jacobs
Avec : Bruno Ganz (Damiel)
Solveig Dommartin (Marion)
Otto Sander (Cassiel)
Curt Bois (Homère, le vieux poète)
Peter Falk (lui-même)

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Wim Wenders

Ce film, présenté dans le cadre du 7ème festival de Cinéma sans Frontières, bénéficiera d’une présentation et d’un débat avec le public.

Animation : Philippe Serve