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Vendredi 19 mars : LA VIACCIA (Le Mauvais Chemin)

20h 30 - Cinéma Mercury - Nice
Publié le lundi 15 mars 2010.


Film italien de Mauro BOLOGNINI - 1961 - 1h54 - vostf
Avec Claudia Cardinale, Jean-Paul Belmondo, Pietro Germi.

Le jeune Amerigo quitte sa campagne natale pour la ville, où il travaille chez son oncle. Tombé follement amoureux de la prostituée Bianca, il fait tout pour subvenir à ses besoins, allant même jusqu’à voler son oncle. Renvoyé par celui-ci, il devient videur dans la maison close dont Bianca est l’une des pensionnaires.

MAURO BOLOGNINI, LE MAL-AIME

par Philippe Serve

Lorsqu’on jette un regard en arrière sur les trente glorieuses du cinéma italien (1945-1975), on s’aperçoit que parmi la bonne vingtaine de cinéastes qui auront durablement marqué la période, le nom de Mauro Bolognini (1922-2002), s’il en fait certes partie, ne brille pas au firmament dans la mémoire du public ou de la critique. Pourtant, ses œuvres sont loin d’être passées inaperçues. Il suffit d’évoquer certains titres : Les Garçons (La Notte brava, 59), Le Bel Antonio (Il Bel’Antonio, 60), Le Mauvais Chemin (La Viaccia, 61), Metello (70) auxquels je rajouterai les moins connus – peut-être – Les Amoureux (Gli innamorati, 55), Marisa la civetta (57), Quand la chair succombe (Senilità, 62), Mademoiselle de Maupin (66), Bubu (71), La Grande Bourgeoise (74), Libera mon amour (75), Vertiges (75)… Pas mal pour un mal-aimé !
A quoi tient donc ce durable malentendu envers l’un les plus élégants cinéastes transalpins ? Sans doute au fait que, rétif à tout courant ou mode, il ait échappé aux trois grands sillons du cinéma italien de la période : la comédie à l’italienne, le nouveau cinéma italien empreint de modernisme, le film politique.

La comédie ? Malgré un talent évident pour le genre, illustré dans nombre de courtes histoires perdues dans tous ces films collectifs « à sketches » qui polluèrent et faillirent perdre le cinéma italien dans les années 60, Bolognini n’avait aucun goût pour celle-ci et n’en tourna que pour des raisons dites « alimentaires ». Risi, Scola, de Sica et autres Comencini pouvaient dormir tranquilles sur leurs deux oreilles, la concurrence ne viendraient pas de lui…
Le nouveau cinéma italien, celui du début des années 60, signé Fellini, Antonioni, Pasolini puis Bertolucci ou Bellocchio ? Bolognini n’en fut jamais partie prenante en dépit de son amitié et de son étroite collaboration avec Pasolini sur plusieurs de ses films. A l’exception de ces derniers, il aimait s’appuyer sur des scénarios d’adaptation et préférait souvent évoquer le présent via le passé, situé de préférence au tournant des 19ème et 20ème siècles. Et s’il attachait une très grande importance à l’aspect visuel – La Viaccia en est un des plus parfaits exemples – il ne cherchait pas à établir de nouvelles formes cinématographiques, à l’inverse d’un Fellini ou d’un Antonioni. Les admirateurs de ces derniers l’affublèrent ainsi souvent de l’anathème cinéaste académique qui, comme chacun le devine, signifiait en fait passéiste, ringard. Rappelons qu’à la même époque, en France, Marcel Carné était affublé de la même tare par les tenants de la Nouvelle Vague tandis qu’au Japon, Ozu se retrouvait voué au placard pour les mêmes raisons par les nouveaux réalisateurs nippons. Bien sûr, le balancier de l’Histoire a depuis fait son œuvre et remis les hommes et leurs œuvres à leurs vraies places. Il est plus que temps qu’il en soit de même avec Mauro Bolognini et ses films.
Quant au cinéma politique dominant dans la botte des années 70, lui aussi sembla ignoré par le réalisateur du Bel Antonio. Je dis « sembla » car, à y regarder de plus près, les choses sont moins évidentes. Comme dit précédemment, Bolognini préférait aborder les problèmes du présent sous le couvert du passé plutôt que frontalement. Les nombreux scénarios d’adaptation qu’il porta à l’écran se trouvaient solidement enracinés dans des problématiques sociales. Et du social au politique, il n’y a qu’un pas. La profusion de portraits de petites gens constitue ainsi un trait significatif de ses films : prolétaires, paysans, ouvriers, intellectuels, petit-bourgeois, anarchistes, policiers, bureaucrates, prostituées et souteneurs, aliénés mentaux. Ce qui est vrai est qu’il n’a jamais cédé au militantisme. Ce manque apparent d’engagement lui fut reproché, comme il le fut d’ailleurs à Fellini pendant quelques années. Bolognini lui-même ne plaida pas sa propre cause en niant systématiquement avoir jamais voulu faire des films politiques. Peut-être. Mais on n’est pas obligé de le croire. On le critiqua pour avoir ignoré la métaphore assimilant l’impuissance sexuelle du Bel Antonio au fascisme, tel que figurant dans le roman de Vitaliano Brancati. Mais lorsque Bolognini met cette impuissance en résonance avec toute la société italienne, ancrée dans le machisme et l’obligation de comportement que celui-ci exige, ne va-t-il pas plus loin dans la réflexion et la dénonciation, le fascisme n’étant – aussi- qu’un des avatars de ce machisme ?

Son côté littéraire, allant de pair avec le soin méticuleux apporté à la reconstitution historique (costumes, décors) lui fut aussi reproché, notamment en France. La Viaccia constitua ainsi un tournant après ses films de début, marqués encore par les dernières influences du néo-réalisme et ses collaborations avec Pasolini. Bolognini expliqua par la suite comment – contrairement à ce que beaucoup pensent – la forme (et tous ses attributs) n’a jamais constitué pour lui un but en soi : « Je cherche à trouver la vie dans les choses » précisait-il. La vie, l’atmosphère, la vérité, voilà ce qui intéressait le cinéaste. Il préparait certes soigneusement ses films mais les tournait ensuite très vite, presque à l’instinct, s’appuyant sur un œil très sûr pour la composition et l’équilibre des plans. N’oublions pas qu’il avait reçu une formation d’architecte. La forme devait découler de la vie trouvée au cœur du scénario et des personnages. Pour le tournage de La Viaccia, Bolognini et son costumier Piero Tosi eurent ainsi l’obsession d’échapper aux habits de cinéma, tels qu’attendus dans une reconstitution historique. Ils allèrent fouiller dans les malles non des studios mais des habitants de Florence – ville des études du cinéaste et lieu de l’action – pour retrouver les habits d’époque, qu’ils soient ceux des paysans ou des prostituées. Le résultat est époustouflant. Loin d’un clinquant surchargé et finalement artificiel, le visuel du film – rehaussé par une photographie sublime, jouant sur toutes les nuances du gris – force l’admiration, non seulement par sa beauté mais aussi par le profond sentiment de vérité qu’il dégage.

Bolognini était un vrai auteur, contrôlant ses films d’un bout de la chaîne à l’autre, tirant toujours les romans adaptés vers lui, vers ses thèmes de prédilection, thèmes récurrents de film en film et qui, arrivés en fin de parcours, font sens et donne à sa carrière et à l’ensemble de son œuvre cinématographique une profonde unité. Le cinéaste aimait peindre des personnages en marge, des rebelles, des rejetés, hors de la bonne société, du carcan familial, de l’autorité paternelle toute puissante. Le paysan Amerigo (interprété par un Jean-Paul Belmondo tout en retenue et presque mutique) et la jeune prostituée Bianca (admirable Claudia Cardinale que Bolognini dirigea quatre fois) appartiennent à cette galerie de personnages aspirant à échapper à leur milieu naturel. La peinture sociétale du film est sans pitié entre un monde paysan arc-bouté sur sa religion de la terre, violent, archaïque et prêt à toutes les bassesses et humiliations, et celui de la ville, tout aussi âpre au gain, égoïste et lui aussi agressif. Les sympathies du cinéaste vont clairement – comme en plusieurs de ses autres films – vers les anarchistes sans dieu ni maître, et vers ces personnages assoiffés d’amour et au destin forcément, tragique.

En guise d’écrin, Bolognini leur offre, comme déjà signalé, un visuel superbe et directement emprunté aux Macchiaioli (peintres essentiellement florentins tachistes, véristes de la seconde moitié du 19ème siècle). Les intérieurs sont aussi soignés que les extérieurs, tous mis en valeur par des compositions de plans parfaitement maîtrisées, qu’ils relèvent d’un espace exigüe ou, au contraire, d’un champ ouvert et profond. On retrouve à chaque fois ce souci de retranscrire la vraie vie et non pas de sacrifier à un esthétisme de pacotille. Cette obsession vaut également pour l’interprétation. Au-delà du talent bien connu des acteurs concernés – Belmondo, Claudia et Pietro Germi (par ailleurs grand cinéaste) – on ne pourra manquer de noter la direction que Bolognini a su leur indiquer, les tirant vers un naturel et une économie d’effets tout particulièrement efficace.
Alors, prêts à la grande réhabilitation de Mauro Bolognini ?

Philippe Serve

Un classique présenté en copie neuve.

Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe SERVE.

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