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Vendredi 16 SEPTEMBRE 2011 - LE JOURNAL DE DAVID HOLZMAN

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le lundi 12 septembre 2011.


Film de Jim McBride

USA - 1967 - 1h14- vostf

LE MENSONGE (presque) 24 FOIS PAR SECONDE

par Philippe Serve

David Holzman veut comprendre, veut se comprendre, lui et sa vie, il veut comprendre les choses. Et comme il a écouté Godard, il croit que "le cinéma, c’est la vérité 24 fois par seconde". Fixer chaque instant qui vient sur la pellicule, le monde qui l’entoure, son meilleur copain Pepe, sa petite amie Penny et lui, lui et encore lui. Graver cette vérité sur celluloïd à défaut de le faire dans du marbre, avant de visionner encore et encore, en avant, en arrière, dans tous les sens. Comprendre enfin son propre mystère…
Godard - encore lui - affirmait que la caméra était une arme. Celle de David Holzman sera donc une Réflex Eclair, caméra portable qui a changé radicalement la pratique cinématographique au début des années 60. En bandoulière, un magnétophone Nagra, lui aussi instrument de la révolution en cours. Ainsi équipé, comment pourrait-il ne pas saisir cette vérité qui lui a échappé jusque là ? Pourtant, un doute se glisse très vite. David Holzman part filmer son quartier de l’Upper West Side, New York, séquence qu’il nous commande en direct. Mais la séquence est tournée au ralenti, autrement dit en utilisant un procédé technique artificiel, en trichant. Nous ne sommes déjà plus dans cette vérité aux 24 images par seconde. Son ami peintre Pepe ira même plus loin, niant toute possibilité de saisir quoi que ce soit : "Dès que tu filmes quelque chose, ce qui se passe devant la caméra n’est plus la réalité. Ca devient autre chose, ça devient un film (…) Ta vie cesse d’être ta vie, elle devient une œuvre d’art." Et de conclure en substance qu’une demi-vérité est pire qu’un mensonge.

Pourtant, David Holzman ne ménage pas ses efforts dans sa tentative de cinéma-vérité. Ce n’est pas Penny qui dira le contraire. Il la filme sans cesse, se faisant de plus en voyeur, un voyeurisme qui devient même… téléphonique ! Cette quête de ne devoir surtout rien rater tourne à la pure obsession, au détriment d’une simple voyageuse dans le métro ou d’une voisine habitant l’immeuble d’en face, source évidente de fantasmes. Mais plus il filme, moins la vérité semble devoir apparaître. C’est encore Pepe qui lui explique : "Ce que tu ne comprends pas, tu ne le comprendras pas mieux en le fixant sur la pellicule et en le regardant encore et encore."

David Holzman, nouveau chômeur et déclaré le même jour apte à l’armée et donc potentielle chair à canon dans le bourbier vietnamien, semble avoir renoncé à toute vie sociale. Son existence se résume à faire tourner sa caméra, à parler dans son Nagra et à regarder la télévision, cette télé dont il nous propose une soirée entière dans une éblouissante démonstration de moins de deux minutes : 3 115 plans montés à la limite du subliminal dans lequel le spectateur aura à peine le temps de reconnaître ici ou là les séries phares de l’époque (Batman, Star Trek), des infos, les émeutes raciales de Newark, Martin Luther King, le Vietnam, un ou deux films de série "B" et puis bien sûr de la publicité, de la publicité et encore de la publicité.

La vérité est que plus il se filme, moins David Holzman a de choses à dire. Mais moins il parle de lui, plus le monde apparaît en filigrane, plus cette vérité là se glisse, elle aussi presque subliminale. C’est là l’un des aspects les plus remarquables du film - Le Journal de David Holzman - que de provoquer cette confrontation. D’abord par la bande son, celle de la radio, de la télévision qui ne cesse - il faut prêter l’oreille - d’évoquer les émeutes, le Vietnam, la Guerre des Six jours. David Holzman, l’homme, n’en pipera jamais mot, comme en marge, coincé dans une bulle narcissique et existentielle. Ce monde extérieur s’insinue par la bande, celle du son en l’occurrence. Deux exemples, emblématiques, pures séquences de cinéma jouant toutes deux sur le montage parallèle - autrement dit dissocié mais dégageant un sens commun - entre image et son : d’abord un homme en sang aidé par des policiers tandis que la radio annonce le nombre des victimes du jour au Vietnam ; ensuite un somptueux et large travelling en caméra portée sur des personnes âgées assises sur des bancs publics encerclant un parc, passant chaque visage en revue tandis que les ondes - encore elles- égrènent en direct un vote à l’ONU dans lequel toute la Guerre froide pointe son nez, les Yes émanant des pays de l’Est et de leurs alliés, les No venant du camp occidental. Sous le film existentialiste se cache une œuvre politique.

Le Journal de David Holzman est un film qui force le spectateur à s’interroger sur ce qu’il voit et entend, à réfléchir sur ce qu’est / peut être / ne peut pas être, le cinéma. Brouillant les cartes, il se moque des prétentions intellectuelles à la mode en les surpassant par le biais d’une vertigineuse mise en abîme. Sous la façade quelque peu cafardeuse, on devine une jouissance de cinéaste et une liberté que le sujet lui offre sur un plateau. (Prop)oser directement au spectateur l’éloge de la masturbation dans un film américain - même non-hollywoodien puisque new-yorkais et indépendant - en 1967 était costaud. Et que dire de cette incroyable séquence arrivant en milieu de film et dans laquelle une conductrice au volant de sa Thunderbird, prostituée transsexuelle, tient des propos d’une raideur à se faire retourner dans sa tombe fraîchement creusée le Code de censure Hays et tous ses partisans ! Se déclarant "pénirologue" et "spécialiste de l’os" ( !), ce personnage anonyme et tout ce qu’il y a de plus réel est d’une drôlerie sans nom et offre au film un véritable moment d’anthologie.

Pétri de références cinématographiques jamais ostentatoires - sont cités d’une manière ou d’une autre et outre Godard, Hitchcock (Suspicion/Soupçon), Welles (Touch of Evil/La Soif du Mal), Marion Davies, Bogart, Paul Muni, Visconti (Sandra), Truffaut, Debbie Reynolds dans Singin’ in the Rain ou encore Vincente Minelli - Le Journal de David Holzman, hommage direct au Peeping Tom (Le Voyeur, 1960) de Michaël Powell, reste près de quarante-cinq ans plus tard une œuvre tout à la fois témoin d’un moment précis de l’Histoire et totalement intemporelle. Les idées de cinéma y foisonnent l’air de rien et la poésie surgit plus d’une fois quand on ne l’attend pas. La Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis ne s’y est pas trompée en la faisant entrer dans le très sélectif Registre National du Film.

Ah oui, une dernière précision : le réalisateur du film ne s’appelle pas David Holzman mais Jim McBride et David Holzman est en réalité L.M. Kit Carson, co-scénariste du film.

Jolis documenteurs, ces deux là…

P.S.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe SERVE.

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