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VENDREDI 07 NOVEMBRE 2014 - LEVIATHAN

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le lundi 3 novembre 2014.


Andreï Zviaguintsev

Russie - 2014 - 2h21 - vostf

Kolia habite une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie. Il tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lylia et son fils Roma qu’il a eu d’un précédent mariage. Vadim Cheleviat, le Maire de la ville, souhaite s’approprier le terrain de Kolia, sa maison et son garage. Il a des projets. Il tente d’abord de l’acheter mais Kolia ne peut pas supporter l’idée de perdre tout ce qu’il possède, non seulement le terrain mais aussi la beauté qui l’entoure depuis sa naissance. Alors Vadim Cheleviat devient plus agressif...

Article de Josiane Scoleri :

« Léviathan » le titre en soi est déjà tout un programme, et l’affiche du film est là pour nous mettre face à la monumentalité du monstre. Animal mythique du fond des âges,

 « Sa vue seule suffit à terrasser, Il devient féroce quand on l’éveille Nul ne peut lui résister en face » ( Le livre de Job 42, 1-2)

Zviaguintsev puise dans le Bible et les mythes pour mieux nous embarquer dans une fable contemporaine implacable et glacée. Nous voici donc aux confins des mondes habités, au bord de la mer de Barents dans l’extrême Nord sibérien. Zviaguintsev a l’habileté de filmer ces lieux désolés et grandioses avec sobriété et c’est la musique de Philippe Glass qui donne toute sa respiration à la majesté du paysage. Les premiers plans du film sont d’ailleurs des images de la côte et de la mer où l’être humain fait plutôt figure de pièce rapportée.. Les habitations semblent minuscules et les activités quotidiennes dérisoires. Et pourtant dans ce cadre qui nous parle d’un temps hors du temps -cf là encore le titre du film- va se dérouler un drame profondément humain et tout aussi universel. À travers l’histoire de Kolia qui refuse d’abdiquer ses droits, défilent toutes les institutions inventées par les hommes pour repousser la barbarie, garantir l’équité et protéger les plus faibles. En théorie en tout cas. Car la réalité qui nous est donnée à voir est précisément l’inverse : la loi du plus fort s’impose dans l’injustice la plus flagrante et l’impunité la plus crasse. Dès la première scène au tribunal qui entérine la spoliation de Kolia, le réalisateur règle son compte à la Justice dans une parodie de lecture d’arrêt où l’on se demande comment l’actrice réussit à débiter son texte à une telle vitesse et sur un ton aussi parfaitement monocorde. Viendront le tour de la Police et bien sûr de l’Élu du peuple, le maire de la commune que Kolia appelle tout simplement « le Pouvoir ». Sans oublier, loin s’en faut, la Religion, Russie oblige.

Le film a eu le prix du scénario à Cannes et ce n’est que justice tant Zviaguintsev et son co-scénariste Oleg Neguine ont réussi à ourdir une trame tellement serrée qu’elle ne laisse pas le moindre interstice. Tous les éléments du récit s’imbriquent les uns aux autres dans une logique tentaculaire qui reflète parfaitement la collusion perverse entre les différents représentants de l’État. Le malaise s’instaure très vite jusqu’à devenir oppressant et Zviaguintsev, comme à l’accoutumé, prend son temps. Sa caméra reste calme aux moments les plus paroxistiques et il s’interdit pratiquement les couleurs chaudes (mis à part les vêtements rouges de Lilia et là non plus ce n’est pas par hasard). Le film est baigné de teintes bleutées qui renforcent l’impression de retenue et de distance et pourtant la tension monte à chaque tour d’écrou. Le travail du chef opérateur, Mikhail Krichman, est, à ce titre, impressionnant de justesse.

Mais si le scénario est aussi puissant ce n’est pas seulement à cause de la dénonciation magistrale du fonctionnement mafieux du pouvoir et de l’hypocrisie aiguë de la hiérarchie de l’Église orthodoxe. En effet, le film mêle habilement la veine personnelle à la veine sociale et s’intéresse de près au vécu de tous les personnages. À la déliquescence de l’État répondent les relations de couple qui s’effilochent, les conflits adultes/enfants, les amitiés de façade et ...la vodka, des hectolitres de vodka, des fleuves de vodka qui imbibent tous les moments de la vie, des plus joyeux aux plus tragiques, des plus triviaux aux plus solennels. L’alcool omniprésent, loin d’être un cliché rebattu, raconte l’impérieuse nécessité de mettre à tout moment un filtre entre le monde et soi pour continuer, pour survivre. Les acteurs vibrent de cette difficulté à être au monde et la mise en scène comme la direction d’acteurs vont crescendo dans une progression sans faille. La construction du film s’appuie sur des scènes en miroir qui introduisent un écho à l’intérieur du récit ( un peu comme des rimes croisées dans un sonnet) et qui nous permettent de mesurer la progression du drame. (cf les deux sentences au tribunal, les deux passages au commissariat, les deux dialogues entre l’Église et le Pouvoir, etc...). Si dans la première de chacune de ces scènes, Kolia est encore un homme libre qui poursuit son combat -même s’il a toutes les chances de le perdre-, dans la seconde, ce sera un homme brisé, abandonné de tous, cloué au pilori. Le point de bascule du récit – autre habileté du scénario- n’aura rien à voir avec la face publique du film. Il s’enracine au contraire au plus intime de la vie de Kolia et alors qu’il semble sur le point de surmonter le drame (cf la très belle scène entre le père et le fils sur le pardon), la disparition de Lilia scellera sa descente aux enfers. Or, on le sait, même le drame le plus personnel peut être utilisé sans état d’âme pour servir les desseins diaboliques du Pouvoir. Le piège se referme. Exit Kolia, le monstre a gagné sur toute la ligne et le dernier plan est sans appel. C’est une fable bien amère que nous livre Zviaguintsev. Cette peinture désabusée de la Russie contemporaine laisse peu de place à l’espoir. Elle parle néanmoins de lutte, de résistance, de dignité, de cette part irrépressible de liberté qui subsiste malgré tout chez ceux qui en ont conscience et qui permettent de sauver l’honneur quand tous les autres ont abdiqué. C’est en cela que ce film pourtant si profondément russe, à la fois sur la forme et sur le fond, nous interpelle tous.

Le réalisateur Andreï Zviaguintsev se révèle au grand public dès son premier long-métrage Le Retour, récompensé par le Lion d’or de la Mostra de Venise 2003, qui obtient un grand succès international. Avec Le Bannissement, il accède à la sélection officielle du Festival de Cannes 2007 où son comédien Konstantin Lavronenko, déjà présent dans Le Retour, obtient le Prix d’interprétation masculine. Son drame Elena est récompensé par le Prix spécial du jury de la section Un certaine regard au 64ème Festival de Cannes.

Leviathan a bel et bien été tourné près de la mer de Barents dans une région perdue de Russie, à la limite du cercle polaire. Les principaux plans furent filmés dans l’oblast de Murmansk, libre des glaces même en hiver grâce un courant dérivé de l’Atlantique nord relativement chaud. Le tournage eut également lieu à Kirovsk, Apatity et à Monchegorsk pour les plans urbains. Toutes ses villes jouxtent à la fois lac et montagnes mais aucun d’eux n’est un port donnant sur les bords de la mer de Barents, contrairement au lieu de l’action du film. La musique du film est de Philip Glass, compositeur auquel Andreï Zvia­guintsev avait déjà fait appel dans ­Elena.

Le film d’Andreï Zviaguintsev n’est pas le premier à porter le nom de Leviathan. En effet, en 1962 sort un film français qui se passe bien loin des mers tourmentées de la vieille Russie : Léviathan, de Léonard Keigel, est un drame social prenant place dans un village au centre de la France. Un second film, également appelé Leviathan (1989), réalisé par George P. Cosmatos, se positionne par la suite dans le genre de l’horreur, proche de The Thing. Enfin, sort en 2012 un documentaire, Leviathan, dénonçant les dérives de la pêche intensive. Curieusement, aucun de ces films ne parlent du Leviathan originel.

A l’origine monstre de la mythologie phénicienne, le Leviathan est devenu, par la Bible, une créature marine diabolique souvent assimilée à un serpent de mer à la gueule géante et dont les ondulations seraient à l’origine des vagues. Le monstre fut diversement utilisé au cinéma : de créature hybride, mi-machine mi-animal dans Atlantide, l’empire perdu (2001), des studios Disney, il devient une bête extra-terrestre recouverte d’une armure de métal dans Avengers (2012). Or, dans la mythologie nordique, le Leviathan est souvent assimilé à Jörmungand, serpent de mer fils de Loki, justement adversaire des Avengers dans le film en question. En 2006 est également sorti un nanar américain, Razortooth, dont le titre fut traduit par Leviathan. L’animal aurait pourtant plutôt hérité de l’anguille et de la murène que de la mythique créature.

Le réalisateur Andreï Zviaguintsev n’a pas l’intention de faire un drame social, une peinture réaliste d’une région spécifique de la Russie contemporaine. Leviathan cherche plus, selon lui, à métaphoriser un concept humain, de réaction et de réflexion face à l’adversité : "quand un homme est aux prises avec sa propre angoisse devant le besoin et l’incertitude, quand les images floues de l’avenir le submergent, qu’il a peur pour les siens, peur de la mort qui rôde, que peut-il faire si ce n’est renoncer à sa liberté et à sa volonté après avoir, de son propre chef, transmis ces trésors à une personne de confiance contre de trompeuses garanties de sécurité, de protection sociale, voire d’une illusoire communauté ?" précise-t-il, avant d’ajouter : "le regard que porte Thomas Hobbes sur l’État est celui d’un philosophe sur le contrat conclu par l’homme avec le diable : il le voit comme un monstre engendré par l’homme pour éviter la guerre de « tous contre tous » et par l’envie bien compréhensible d’acquérir la sécurité en échange de la liberté, son seul bien authentique".

En tant que cinéaste, c’est son rapport à la Russie que met avant tout en scène Andreï Zviaguintsev dans son film. Il lie l’Homme à Dieu et à l’Etat, sans pour autant clairement définir les limites de ces derniers : ils semblent faire partie intégrantes de la nature humaine et y fusionner de façon à modeler l’Homme et à en faire un être conscient mais dépendant. "Nous sommes tous, depuis notre naissance, marqués par le péché originel, nous naissons tous dans un « État ». Son pouvoir spirituel sur l’homme ne connaît pas de limites. La laborieuse alliance de l’Homme et de l’État est, depuis longtemps, un thème de la vie en Russie. Mais, si mon film est ancré dans le terreau russe, c’est seulement dû au fait que je ne ressens aucune parenté, aucun lien génétique avec quoi que ce soit d’autre. Je suis, cependant, profondément convaincu que, quelle que soit la société dans laquelle chacun de nous vit, de la plus développée à la plus archaïque, nous serons forcément tous confrontés un jour ou l’autre à l’alternative suivante : vivre en esclave ou vivre en homme libre", explique-t-il. "Et si nous pensons naïvement qu’il doit bien y avoir un type de régime étatique qui nous libère de ce choix, nous nous fourvoyons totalement. Il y a, dans la vie de chaque homme, un moment clé où il se retrouve face au système, au « monde » et où il doit défendre son sens de la justice, son sens de Dieu sur Terre. Or c’est justement parce qu’il est encore possible de poser ces questions au spectateur et de trouver un héros tragique dans nos contrées, un « fils de Dieu », un personnage qui fût de tout temps tragique, que ma patrie n’est pas encore perdue pour moi, ni pour tous ceux qui ont fait ce film" achève-t-il.

Leviathan a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2014 : Oleg Neguine et Andreï Zviaguintsev y remportèrent le Prix du scénario.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

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Affiche Leviathan