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VENDREDI 11 SEPTEMBRE 2015 : AFERIM !

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le mardi 1er septembre 2015.


Radu Jude

Roumanie - 2015 - 1h48 - vostf

1835. Un policier et son fils parcourent la campagne roumaine à la recherche d’un esclave gitan accusé d’avoir séduit la femme du seigneur local. Tel un shérif d’opérette chevauchant dans les Balkans sauvages, le fonctionnaire zélé ne perd pas une occasion d’apprendre à son rejeton le sens de la vie. A grands coups d’insultes grivoises, proverbes ridicules, morale bigote, humiliations gratuites, menaces et autres noms d’oiseaux, Costandin affiche son mépris des femmes, enfants, vieillards, paysans, juifs, turcs, russes et surtout, surtout, des gitans. Se jouant des clichés du western d’antan, AFERIM ! se moque avec cynisme et mordant de l’intolérance des hommes, d’hier comme d’aujourd’hui ! (Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs)

Article de Josiane Scoleri :

Aferim ! est un film étonnant qui prend le spectateur à contre-pied dès le départ. À commencer par le Noir et Blanc auquel on ne s’attend pas, des personnages incongrus, un faux air historique, voire carrément ethno-documentaire. Faux western, faux road-movie, faux film policier, il aurait très bien pu figurer dans la programmation du festival de CSF en février dernier. Mais ce qui fait véritablement l’audace de ce film, c’est à n ’en pas douter son côté outrageusement politiquement incorrect , assumé à 2oo% jusqu’à en faire son moteur essentiel. À ce titre, c’est aussi l’un des films les plus jouissifs qui nous soient parvenus depuis longtemps. Tous les dialogues - et Dieu sait s’ils sont nombreux - constituent une enfilade de dictons, proverbes, phrases toutes faites et autres joyeusetés de la soi-disant sagesse populaire qui s’avèrent un ramassis de lieux communs, de clichés racistes et machistes, de généralisations éculées qui n’épargnent personne et surtout pas ceux qui les professent. Visiblement Radu Jude s’en donne à cœur joie et ne laisse passer aucune occasion d’ enfoncer le clou sur la force des préjugés et l’insondable bêtise humaine.

En même temps, Aferim ! est un film terrible . Fausse comédie donc aussi, où la satire est d’autant plus féroce que les situations sont tragiques. Et la force de frappe de la mise en scène se voit décuplée par l’écho qui s’installe irrésistiblement dans notre esprit entre ce que nous voyons à l’écran, avec son côté volontiers décalé et la triste réalité contemporaine. Sur ce plan- là aussi, le réalisateur s’avère d’une efficacité redoutable. En nous plongeant dans une lointaine province d’Europe très orientale, nécessairement reculée, arriérée en diable, située de plus dans un dix-neuvième siècle franchement moyenâgeux, nous sommes d’emblée propulsés dans un espace-temps qui nous est a priori complètement étranger. Et il y a fort à parier que l’effet est à peu près le même chez le citoyen roumain d’aujourd’hui. Sachant que l’esclavage des Rroms pendant au moins 500 ans dans cette région d’Europe demeure totalement taboue alors même que le mot "tsigan" en roumain signifie précisément esclave . Mais pour fort éloigné que tout cela nous paraisse de prime abord, impossible évidemment de ne pas penser à la situation actuelle et à l’ostracisme auquel sont confrontées aujourd’hui encore les communautés Rroms un peu partout dans le monde. Le ressort fonctionne à plein régime et ne va pas nous lâcher de sitôt. Radu Jude navigue donc dans son intrigue entre magnifiques paysages dignes de l’Ouest américain et personnages burlesques. Il prend son temps. La traque de l’esclave en fuite s’apparente à la recherche d’une aiguille dans une botte de foin et nous en venons à penser pendant une bonne moitié du film que le dénommé Carfin restera une Arlésienne parfaitement invisible. Manœuvre habile qui accentue le côté comique du film. Les différentes scènes - que ce soit la rencontre avec le pope, véritable morceau d’anthologie à la Desproges, celle avec le noble Turc ou la soirée dans la taverne- sont filmées sur le mode de la dérision et il n’est guère possible de prendre au sérieux les éternelles péroraisons de Constantin, dans son rôle de gendarme, et sans doute encore moins dans ses efforts éducatifs vis-à-vis de son cher fils. Le duo comique formé par les deux personnages est un grand classique : le bavard ridicule et le benêt contemplatif. Laurel et Hardy ne sont pas loin. On le voit, Aferim ! est truffé d’hommages au cinéma et à nombre de ses genres canoniques : western en tête, entrelacé de burlesque et d’une bonne dose picaresque. Certains ne manqueront pas d’ailleurs de voir l’ombre portée de Don Quichotte et de Sancho sur notre brigadier et son acolyte, l’idéalisme en moins s’entend. Mais on retrouve aussi dans les plans rapprochés sur les visages quelque chose de la grande école soviétique, impression encore renforcée par l’utilisation du Noir et Blanc lui-même. Radu Jude n’a que 37 ans, mais ils connaît ses classiques sur le bout des doigts.

Soudain, alors que nous n’y croyions plus, notre valeureux shérif va bien réussir à mettre la main sur le malheureux Carfin. La scène de l’arrestation elle-même est une belle preuve de l’habileté du réalisateur à se faufiler avec fluidité dans un lieu clos et bas de plafond et nous plonger à la fois dans l’obstination du traqueur et le désespoir du traqué … Dans cette dernière partie du film, Radu Jude réussit un numéro d’équilibriste hautement improbable. Sans jamais se départir complètement de son humour, tout noir qu’il soit, la gravité de son propos va aller grandissant au fur et à mesure que la violence de la situation envahit inexorablement l’écran jusqu’à la scène finale où le boyard exécute ce qui lui semble être la justice. Il aura fallu plusieurs étapes pour en arriver là, où Constantin et son fils se révèlent pas si mauvais bougres, essayant même de trouver une issue un tant soit peu humaine une fois qu’ils auront touché du doigt l’humanité de Carfin. Pour que le tableau soit complet, il fallait un personnage féminin, et après les nombreux propos misogynes qui émaillent les dialogues tout au long du film, l’apparition de la châtelaine suffit en quelques plans à nous dire la condition des femmes, là aussi entre ridicule et tragique. Le réalisateur ne s’écarte à aucun moment de la ligne qu’il s’est fixée, s’appuyant sur de nombreux documents d’archives qui relatent à la fois l’esclavage des Rroms, leurs nombreuses révoltes et le langage utilisé à leur encontre au fil des siècles. Le résultat est implacable. Aferim !, Radu Jude, c’est à dire Bravo !

"Aferim !" est une expression turque signifiant littéralement "Bravo !". Radu Jude voulait faire un film sur le passé qui aurait quelque chose à dire sur la vie d’aujourd’hui, notamment sur les jugements moraux que les gens peuvent porter sur la manière dont certaines personnes se sont comportées il y a plusieurs siècles en raison des moeurs de leur temps. Le réalisateur a souhaité aborder des questions épineuses en Roumanie, comme l’esclavage des Roms, et parler du fait qu’il y a toujours un problème quant au fait d’affirmer une vérité absolue sur l’Histoire.

"La singularité d’Aferim ! émane du fait que Radu Jude a élaboré son scénario pour le moins rocambolesque non pas à partir d’une pure imagination du passé mais, à la façon d’un travail d’historien, dans des archives où il est allé puisé ces faits divers des années 1830. Si c’est une manière de signifier que la réalité n’a souvent rien à envier à la fiction, Aferim ! signale aussi que le présent reste lourdement entaché de ce passé marqué par une inique brutalité et une inepte représentation du monde. Il aurait été simpliste que ce dialogue s’établisse par le biais d’un didactisme binaire, Radu Jude a le bon goût de le faire d’une façon diffuse, avec un ton percutant et corrosif. L’ironie suprême est assurément atteinte lorsque Costandin profite de la capture du fugitif pour le questionner sur le monde, que ce dernier a vu (l’Allemagne, Paris...) ; c’est ce que l’on peut caractériser comme un parfait dialogue entre un bas du front et un large d’esprit, dialogue qui ne concerne évidemment pas que la Roumanie ni les seules années 1830".(Critikat.com)

Le film a été tourné en noir et blanc et il ne s’agissait pas forcément d’un choix de départ. En fait, cette considération esthétique est venue petit à petit. Le réalisateur voulait donner l’impression au spectateur qu’il avait sous les yeux un film et rien qu’un film. Aferim ! devait être avant tout une création artistique et non pas un sujet de thèse où une vérité absolue faisant autorité.

Pour construire l’aspect visuel de son film, Radu Jude avait en tête des références tant plastiques que cinématographiques, allant des peintures et dessins du XIXème siècle comme ceux d’Auguste Raffet aux premières photographies, en passant par les westerns de Howard Hawks et John Ford .

Le film a été produit par Ada Solomon, productrice qui a décidément du flair puisqu’avant que Radu Jude ne remporte l’Ours d’Argent du meilleur réalisateur pour Aferim !lors de la dernière édition de la Berlinale, la productrice avait déjà accompagné l’un des succès roumains de ces dernières années, Mère et Fils de Calin Peter Netzer qui avait obtenu l’Ours d’Or à la Berlinale de 2013.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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