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VENDREDI 08 JANVIER 2016 : BAD BOY BUBBY

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le dimanche 3 janvier 2016.


Rolf De Heer

Australie - 1995 - 1h48 - vostf

Séquestré depuis sa naissance par sa mère, Bubby ignore tout du monde extérieur qu’il croit empoisonné. L’arrivée de son père, dont il était tenu éloigné, va bouleverser sa vie. Le jour de ses 35 ans, Bubby va enfin sortir. Il découvre un monde à la fois étrange, terrible et merveilleux où il y a des gens, de la pizza, de la musique et des arbres…

Article de Josiane Scoleri :

Bad Boy Bubby est film qui garde son statut d’OVNI tout au long de ses 112 minutes, une espèce de conte entre macabre et burlesque où rien n’est réaliste et pourtant tout est plausible si l’on veut bien accepter de regarder le monde à travers le kaléidoscope chaotique que constitue le regard de Bubby. Dans la première demie-heure du film, nous sommes dans l’enfermement le plus glauque où rien ne nous est épargné des détails les plus sordides. Les murs sont d’un gris lavasse indéfinissable, la saleté le dispute au dénuement : nous sommes plongés dans l’enfer autistique de Bubby. Le tête-à-tête avec sa mère est un véritable cauchemar concentrationnaire, filmé en plan resserré où l’on voit souvent le plafond en même temps que les murs et le plancher, la lumière y est nécessairement blafarde. Et Bubby rejoue avec son chat les seuls rapports qu’il connaisse, La scène où il prend l’apparence et la voix de sa mère pour faire subir au chat ce qu’il subit lui-même est à la fois terrible et plutôt drôle. Elle est en cela emblématique de la mise en scène de Rolf de Heer qui, dans toute cette horreur, réussit l’exploit de filmer son personnage avec une tendresse dont il ne se départira à aucun moment. Lorsque nous sommes déjà au bord de l’asphyxie, l’irruption du père, inconnu de Bubby, change fondamentalement la donne, même s’il nous faudra tenir encore une dizaine de minutes avant que Bubby franchisse pour de bon le seuil de sa caverne/prison. Là où Rolf de Heer est très fort c’est que tout ce que Bubby aura vu, dit ou entendu pendant cette première partie va lui resservir une fois dehors et ce dans les situations les plus diverses.

Bad Boy Bubby est en ce sens un formidable film sur le langage. Bubby n’a qu’un vocabulaire réduit et une syntaxe approximative, mais il apprend par imitation et répétition (comme n’importe quel enfant) et ça tombe presque toujours juste, même si ça n’a rien à voir. Ce décalage est l’un des ressorts comiques du film, car oui, on rit finalement assez souvent, et même de plus en plus souvent au fur et à mesure que le film avance. Mais surtout, dans le vaste monde, Bubby va découvrir un autre langage qui le ravit et l’enchante : la musique. Le moment où le musique intervient pour la première fois est en lui-même un pied de nez au cinéma hollywoodien : dans un décor de friche industrielle plutôt inquiétant, retentit soudain une musique céleste en complet décalage avec l’image et pendant une fraction de seconde, on pourrait croire qu’il s’agit d’une B.O. lourdingue, soulignant l’émerveillement quasi mystique de Bubby. Mais presque instantanément nous comprenons que la source de musique n’est pas loin et nous découvrons avec Bubby… un groupe de l’Armée du Salut ! Ce sera la première des surprises. La musique est en fait la véritable colonne vertébrale du film, c’est elle Rolf de Heer en 1993 qui scande la découverte du monde et, du rock à la musique religieuse en passant par la musique classique ou folklorique – souvent dans des situations totalement incongrues – tous les styles sont convoqués pour servir de boussole à Bubby, au-delà –ou en deçà – du langage, précisément. Les « premières fois » de Bubby s’enchaînent allègrement, certaines sont très rapides (un arbre, un enfant, un chien, la pâtisserie, etc...), d’autres seront décisives : le groupe de rock qui l’adopte non sans quelque ambiguïté (on se souviendra de la scène très réussie où les musiciens mettent un casque sur la tête de Bubby pour discuter tranquillement de ce qu’ils vont faire de lui) et bien sûr Angel (la bien nommée) qui lui fera découvrir l’amour. De ces multiples rencontres émerge une série de portraits où la fraternité est possible à la marge de la société, chez ceux qui sont eux-mêmes un peu « différents », et qui n’ont pas nécessairement intégré les codes dominants. Ce qui nous vaut par exemple une diatribe furieusement anticléricale ou a contrario le repas avec les parents d’Angel, cul-bénits atrocement sadiques envers leur fille.

Les atmosphères sont particulièrement travaillées à la fois par la bande-son et par la lumière (avec un chef-opérateur différent à chaque changement de décor : 32 au total) pour rendre compte justement du foisonnement de la découverte et de la diversité du monde. La rencontre avec le groupe de handicapés est par exemple très lumineuse, ensoleillée et c’est là que Bubby sera le plus spontanément intégré. La scène où Bubby prend Rachel dans ses bras est à mon sens l’une des plus émouvantes du film. Rachel aime Bubby qui aime Angel ; nous sommes dans la tragédie classique. L’autre fil rouge du film est le rapport à la sexualité. Éternellement hanté par sa mère (merci docteur Freud), Bubby commence toujours par toucher les seins des femmes, bien gros de préférence. Ce qui lui vaudra de se faire rouer de coups et d’atterrir en prison, mais nous aurons droit aussi à une scène très drôle où Bubby tourne le dos à deux groupies qui l’attendaient nues dans son lit au motif qu’elles ont des seins trop petits.

Critique du conformisme social, hymne à la tolérance, Bad Boy Bubby est tout cela à la fois. Bubby sera sauvé par l’amour, bien sûr et par son intégration au groupe de rock, la scène lui permettant de rejouer à l’infini les traumatismes de sa vie d’avant. La répétition de toutes ses lignes de dialogue revues et corrigées en performance contemporaine est une des trouvailles géniales du film. Et elle fonctionne à plein régime. Les apparitions de Bubby sur scène entraînent l’adhésion du public et posent évidemment aussi la question du pourquoi d’un tel succès. Qu’est-ce que le public comprend de la souffrance de l’artiste, de sa nécessité impérieuse de s’exprimer de la sorte ? Et qu’est-ce que l’argent a à voir avec ça ? Vaste chapitre... Le film s’achemine de façon surprenante vers un happy end finalement bienvenu alors que tout le début du film aura été une véritable épreuve. Tour de force du réalisateur et de Nicholas Hope qui tient le film de bout en bout par une interprétation véritablement époustouflante.

Admiré par Nick Cave ou Quentin Tarantino, Bad Boy Bubby reste le film le plus célèbre de Rolf de Heer, activiste du cinéma à petit budget australien depuis plus de trente ans. Du muet (Dr. Plonk) à la science-fiction (Incident at Raven’s Gate) en passant par le réalisme magique (Le vieux qui lisait des romans d’amour) ou le western pavillonnaire (The King is dead !), il sait toujours tirer le meilleur parti des contraintes budgétaires, et Bad Boy Bubby en est un brillant exemple. On lui doit également La Chambre tranquille, Dance Me to My Song, 10 canoës, 150 lances et 3 épouses ou plus récemment encore Charlie’s Country.

Bad Boy Bubby est un récit initiatique vécu au travers le regard d’un héros naïf, d’un homme enfant sans conscience morale et qui n’a eu accès ni au langage ni aux codes sociaux. Rolf de Heer nous fait voir le monde de manière inédite, nous faisant partager le désarroi et l’étonnement de Bubby, ce nouveau né qui appréhende le monde dans un corps d’adulte. Joyeuse satire sociale, Bad Boy Bubby est d’abord un film sur la manière dont chacun envisage le monde. C’est un thème récurrent chez Rolf de Heer et un film comme 10 canoës, 150 lances et 3 épouses, expérience cinématographique qui nous invite à partager la pensée et l’imaginaire des aborigènes, montre combien pour le cinéaste la perception du monde est chose relative, qu’elle est uniquement conditionnée par la culture à laquelle on appartient. Si l’art consiste à porter un autre regard sur notre société et notre existence terrestre, Bubby est le parangon de l’artiste. Vierge de tout vécu mais personne pensante, il nous invite à voir des choses familières avec un œil neuf, nous montrant par l’absurde que notre société ne repose que sur des codes et des préceptes moraux artificiels. Ignorant de toute convention sociale, des lois et des règles morales – on ne parlera même pas de la croyance religieuse, évacuée en deux monologues hallucinants d’intelligence - Bubby, comme le Kaspar Hauser de Werner Herzog, ne peut que voir notre société autrement et le film nous invite à partager ce regard.

Le tournage de Bad Boy Bubby s’est déroulé du 16 novembre 1992 au 30 janvier 1993 à Adélaïde, Outer Harbor et Semaphore, des villes toutes situées au sud de l’Australie. Bad Boy Bubby ayant été tourné sur plus de deux ans, le réalisateur Rolf de Heer a dû employer trente-deux directeurs de la photographie différents ! Cela permettait au cinéaste d’avoir toujours au moins une personne disponible les week-ends. Aussi, l’Australien a trouvé une justification scénaristique à ce choix technique, il explique : "Le scénario était structuré de telle manière que quand il sort de l’endroit où il a été enfermé, cela pourrait ressembler à n’importe quoi car pour lui ce serait la première fois qu’il le voit. Donc chaque lieu a été tourné en compagnie de directeurs de la photo différents." Rolf De Heer a fourni une séquence à chaque directeur de la photographie sans qu’ils soient au courant de ce qu’allaient faire les autres. En revanche, les parties initiale et finale ont été assurées par la même personne. Cette richesse visuelle est devenue un véritable atout du film, dans lequel on passe du rire aux larmes, de l’effroi au délire, du dégoût à l’extase. Il fut d’ailleurs tourné en Scope avec des objectifs anamorphiques. Autre aspect fondamental, qui en fait un exercice de style quasi expérimental, c’est le travail sur le son. En effet, l’enregistrement de l’ambiance sonore lors du tournage de Bad Boy Bubby s’est fait de manière très particulière. Rolf de Heer a placé un microphone binaural de chaque côté de la tête de l’acteur principal Nicholas Hope. Cela donna au long-métrage une bande son unique où l’on pouvait entendre les mêmes bruits que Bubby et ainsi se mettre plus facilement dans la peau du protagoniste central. Cet effet est particulièrement bien rendu en salle de cinéma, notamment avec cette version restaurée à la George Eastman House de Rochester aux USA, le plus ancien musée de la photographie du monde et un des plus vieux en matière d’archives photographiques. Cette restauration a été faite en coproduction avec Vertigo Productions (Australie), Nour Films (France) l’Australian National Film & Sound Archive et la George Eastman House. Le son a été lui même remasterisé et augmenté en 5.1. Bad Boy Bubby est un film musical, plus encore c’est une véritable symphonie. Si les éructations de Bubby sur scène peuvent faire penser aux Birthday Party, le groupe mythique de Nick Cave, même la première partie, où Bubby est enfermé dans l’appartement, est une sorte de pièce sonore abstraite où le silence en serait l’élément majeur.

"En ce qui concerner l’image, l’utilisation du scope transforme, magnifie ce qui ailleurs aurait été perçu comme sale ou laid. Rolf de Heer parvient à retourner l’imagerie glauque des bas fonds pour en faire de la poésie. Plus prégnant encore, sa volonté de nous faire voir autrement des corps que l’on perçoit habituellement comme disgracieux voir difformes. Bubby, libre de toute doxa esthétique, ne voit pas l’obésité de telle jeune fille ou le handicap de telle autre et tout le travail de mise en scène effectué par le cinéaste nous conduit nous aussi à regarder autrement ceux que l’on moque ou ignore. La beauté des laids chanterait Gainsbourg. Si ce n’est qu’il n’est même pas question de beauté ici et seul compte pour Bubby ce qu’il y a à l’intérieur. Sa perception des êtres ne s’arrête pas à leur surface, il plonge en eux et est en contact direct avec leur cœur et leur esprit comme en témoigne sa capacité à comprendre une jeune tétraplégique pourtant privée du langage. Bubby le déphasé, l’associal, le freak est connecté directement à l’autre car il n’est parasité par aucune convention, aucun de ces filtres qui conditionnent habituellement notre regard. En découvrant le monde, Bubby fait la connaissance d’exclus, de laissés pour compte de la société. Un groupe de rock, des handicapés physiques et mentaux, une nymphomane de l’armée du salut, une infirmière douce et esseulée... c’est grâce au contact des autres que Bubby parvient à s’ouvrir au monde et à y trouver sa place. Bubby n’a aucun préjugés et il prend tous ces gens pour ce qu’ils sont. Le laid, le beau ne comptent pas pour lui et il n’a cure des principes moraux édictés en règle dans notre société. Rolf de Heer nous invite par le dispositif de mise en scène qu’il a mis en place à appréhender nous aussi ces gens de façon pure et simple, sans voyeurisme malsain, sans dégoût ou commisération. Ainsi, lorsqu’il fait jouer de véritables handicapés, on ne ressent aucune gêne, le cinéaste parvenant à retrouver le regard dénué de toute compassion ou de voyeurisme qui était celui de Tod Browning dans Freaks. On se sent incroyablement proche d’eux, on a l’impression de les comprendre, de les voir réellement, magie d’un film qui parvient à nous faire passer du malaise à des sommets d’émotion." (dvdclassik.com)

Très peu de temps après avoir été diplômé de son école de cinéma, Rolf de Heer a imaginé les prémices de ce qui donnera plus tard Bad Boy Bubby. Pendant toute la décennie des années 80, le réalisateur australien a posé ses idées sur des petites fiches. Ce ne fut qu’à partir de 1991, après avoir convaincu Nicholas Hope de jouer le rôle principal, que Rolf de Heer commença véritablement à écrire le script définitif de son film culte. Le réalisateur Rolf de Heer a choisi Nicholas Hope pour jouer le rôle de Buby après l’avoir vu incarner le rôle principal d’un court métrage de 1989, Confessor Caressor, où il jouait un homme qui rêve de devenir un tueur en série.

"Conte qui se défie de toute morale, Bad Boy Bubby possédait tous les éléments pour verser dans le glauque et le sordide. Or il n’en est rien et malgré un ton cru et des situations parfois scabreuses, le film se révèle drôle, décapant, original, jubilatoire. Ainsi au départ, Bubby n’ayant aucune conscience, il ne peut que mimer ce qu’il voit sans comprendre la portée de ses mots ou de ses actes, soit autant d’occasions pour Rolf de Heer de nous offrir des scènes mi-burlesques, mi-touchantes et d’accumuler les situations cocasses et absurdes. Le film est porté par l’interprétation exceptionnelle de Nick Hope qui est de toutes les scènes. L’acteur passe d’un registre à l’autre avec une facilité déconcertante et une économie de jeu hallucinante. Un simple regard, un rictus, un changement dans la posture ou la démarche lui suffisent pour raconter le feu de sensations et d’émotions qui couvent dans son personnage. Comme lui, le ton du film ne cesse d’évoluer au fil des rencontres et on est constamment surpris, portés par cette oeuvre véritablement unique qui s’avère être un remède imparable au formatage de la production cinématographique. Bad Boy Bubby vaut mille fois mieux que sa simple réputation de film culte : c’est un film d’équilibriste qui témoigne du regard sincère de son auteur, de son humanisme et de sa croyance totale dans la capacité du cinéma à nous emmener ailleurs." (dvdclassik.com)

"Par ces choix techniques et par son propos, Bad Boy Bubby apparaît presque comme un film manifeste, cinématographique, mais aussi politique. C’est un film viscéralement anticlérical, à la fois poisseux et romantique, sur le désastre de l’enfermement et de la maltraitance, sur l’acceptation de la différence, et aussi sur la transfiguration d’un anti-héros par la musique." (France-culture.com)

Bad Boy Bubby ayant atteint le statut de film culte, de nombreuses personnes se sont fait tatouer des scènes du film en Nouvelle-Zélande. Bad Boy Bubby a été diffusé lors de la Mostra de Venise en 1993 où il a remporté le prix spécial du jury. Le long-métrage a aussi raflé les prix du meilleur réalisateur, du meilleur scénario, du meilleur montage et du meilleur acteur pour Nicholas Hope, lors des Australian Film Institute Awards en 1994. En outre, le film a aussi été exposé lors du Festival international du film de Seattle et à celui de Valenciennes en 1995.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri

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