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Matrubhoomi, un monde sans femmes

Dimanche 10 décembre à 10h30 et 14h30
Publié le dimanche 10 décembre 2006.


de Manish Jha

2003, Couleur, Vo-stf, Interdit aux moins de 12 ans, 98 mn

avec Tulip Joshi, Vinamra Joshi, Sudhir Pandley

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10 millions : estimation officieuse du nombre de filles "manquantes" en Inde sur les vingt dernières années (100 millions dans le monde). Autrement dit, de filles supprimées à la naissance. Pratique répandue dans toute l’Asie mais plus particulièrement en Inde et en Chine pour des raisons différentes, le phénomène est loin d’être nouveau. Mais les progrès de la science et de la technologie (échographies et amniocentèses décelant le sexe du fœtus) permettent aujourd’hui d’opérer avant la naissance, via des avortements sélectifs, et non plus après. Ajoutons qu’une sélection se fait aussi dans la toute petite enfance par la manière dont les filles sont trop souvent privées de soins sanitaires réservés en priorité aux garçons. L’infanticide féminin, lui, est devenu aujourd’hui extrêmement rare.

Les raisons à de tels actes apparaissent variés : dans un pays surpeuplé (1 milliard d’habitants, l’Inde dépassera la Chine dans moins de 30 ans) où le gouvernement encourage les familles restreintes depuis 1960, avec encore une moyenne de 2,7 enfants/famille (contre 5 il y a vingt ans), la volonté d’avoir un garçon plutôt qu’une fille répond à plusieurs choses : la nécessité de poursuivre la lignée ("L’hindouisme condamne les parents à l’errance éternelle, car c’est le fils qui, traditionnellement, est chargé des rites funéraires à leur décès" 1), l’héritage de la terre ne revenant qu’aux garçons ; une force physique de travail supérieure ; l’économie d’avoir à payer une dot à la famille du futur gendre et, à l’inverse, la promesse d’en recevoir une ("Vous avez trois filles, vous êtes ruiné ; trois garçons, vous êtes sauvé !" 2). Notons que la tradition de la dot est illégale en Inde depuis 1961 mais continue à être largement pratiquée - les mariages arrangés demeurant la règle - et de facto au centre du problème dont il est traité ici. Sans oublier cette autre tradition qui veut que les parents, privés de toute retraite, soient pris en charge par leur fils aîné, la fille "passant" dans la famille de son époux dès son mariage (élever une fille revient à "arroser le jardin de son voisin" 3).

Autant de raisons différentes qui, on le voit, se ramène à un seul et même critère : l’argent. Autrement dit à un problème économique. Et donc, forcément, politique. Que le pays assure à tous ses citoyens un niveau de vie décent, que la pratique de la dot ne soit pas seulement interdite sur papier mais réellement combattue dans les faits et qu’un système social de retraite soit instauré pour tous. Que Mother India, pays émergent où une minorité brasse de colossales sommes d’argent amassées grâce à la croissance économique rendue possible par les sacrifices et la sueur de ses enfants les plus démunis s’occupe au plus près de ces derniers, et le problème de la suppression des filles à la naissance sera, à n’en pas douter, fortement réduit même si non éradiqué. Reste un fait paradoxal et troublant. C’est aujourd’hui dans les classes sociales moyennes, éduquées et aisées, que ces avortements sélectifs se pratiquent le plus, alors que la révélation aux parents du sexe de leur futur enfant est interdite depuis 1994, autre interdiction non respectée. Il est vrai que ce sont ces familles qui font le plus appel aux nouvelles technologies de détection... De même, on a remarqué que les femmes les plus autonomes ont le plus recours à ces avortements sélectifs. Notons aussi que les couples décidant de se priver d’une fille sont presque toujours ceux en possédant déjà une, voire deux. Lorsqu’un garçon l’a précédé dans le foyer, le nouveau-né de sexe féminin est accepté pratiquement sans réserves.

Ce grave sujet mériterait sans aucun doute un meilleur film que Matrubhoomi. Le jeune réalisateur Manish Jha (28 ans, premier film), plein de bonnes intentions, charge sa fable de trop de démonstrations et décrit un univers impossible car diégétiquement illogique (comment des hommes entre 12 et 30 ans peuvent-ils être nés si toutes les femmes ont été supprimées à la naissance ??). On lui reprochera aussi de confondre en un même mouvement ce problème des naissances avec celui des castes et, enfin, un excès - trop complaisant - d’extrême violence. Reste, au-delà des intentions précitées, un réel talent formel. Mais si on a le droit de ne guère aimer ce film, un festival bâti autour du thème de la représentation de la femme dans le cinéma indien ne pouvait ignorer ce sujet particulier. C’est pourquoi, en dépit de toutes les réserves apportées et en l’absence d’une oeuvre alternative disponible, il nous a semblé nécessaire de programmer ce film. Qu’il permette au spectateur - avec la distance nécessaire que demande ici le traitement de Manish Jha - de prendre conscience d’un vrai et grave problème.

Philippe Serve

1. Isabelle Attané, Le Monde Diplomatique 2. id 3. id.

Toutes les séances auront lieu au Musée, 405 promenade des Anglais - Arénas - 06200 Nice.

Les séances de 14h30 seront présentées par Philippe Serve (Cinéma sans Frontières).

Renseignements : Musée (04 92 29 37 00) / CSF (04 93 52 31 29 - 06 64 88 58 15)