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Les petites fleurs rouges

Mardi 8 mai - 21h - Mercury
Publié le mardi 8 mai 2007.


de Zhang Yuan

Chine, 2006, 92’

avec Dong Bowen, Ning Yuanyuan, Chen Manyuan

Un pionnier. C’est lui, Zhang Yuan (né en 1963), qui donna le coup d’envoi de la désormais fameuse 6ème génération de cinéastes chinois, ces réalisateurs surgis de l’Institut cinématographique de Pékin au lendemain des tragiques événements de Tian Anmen (1989). Zhang Yuan est le premier qui rompt avec ses glorieux aînés de la 5ème génération : Zhang Yimou, Chen Kaige et autre Tian Zhuangzhuang. Ces cinéastes avaient réussi à exporter leurs films dans le monde entier malgré la censure, les interdictions, les menaces, et avaient ébloui les festivals étrangers, y glanant une moisson impressionnante qui atteindra son apogée entre 1992 et 1994. Autant de films marqués de traits communs : regards portés sur le passé, sur la Chine pré-révolutionnaire ou sur celle de la Révolution Culturelle, toujours traumatisante pour des réalisateurs y ayant bien souvent participé, adolescents, parfois comme gardes rouges. Leurs films, à l’esthétique particulièrement travaillée et léchée, satisfaisaient (même sans le vouloir) les goûts des étrangers pour l’exotisme chinois. Ajoutons-y la révélation de nouvelles stars nationales et même internationales, telles Jiang Wen ou la talentueuse et sublime Gon Li.

Zhang Yuan rompt donc avec cette nouvelle vague et en lance à son tour une autre via son premier film, Maman (Mama, 90) qui va vite le faire qualifier d’enfant terrible du cinéma chinois. Pour la première fois, ce qui est montré à l’écran ne parle plus du passé mais du présent. Le quotidien des Chinois est dépeint sans la moindre concession ni recherche esthétique. Zhang enracine son style directement à la source du documentaire. Ce premier film indépendant de l’ère maoïste — son tout petit budget est assuré par quelques capitaux privés — est tourné sous le manteau et sortira clandestinement du pays pour se rendre aux festivals de Rotterdam (92) et Hongkong (93). Le film mêle documentaire (en couleurs) et fiction (noir et blanc) et se penche sur les rapports mères-fils, ces derniers handicapés mentaux. "Je fais des films parce que je m’intéresse à la réalité sociale. Je ne veux pas être "subjectif" ; c’est dans l’objectivité que je trouve une force" déclare Zhang à l’époque.

Ses films suivants enfoncent le clou du thème urbain qui va devenir celui de toute la 6ème génération, Zhang aimant rappeler que ces cinéastes sont des citadins alors que leurs aînés étaient des intellectuels ayant vécu à la campagne, Révolution Culturelle oblige.

Après Maman, Zhang Yuan tourne des clips pour la star du rock local, le très rebelle (et adulé) Cian Jan avec qui il collabore pour Les Bâtards de Pékin (Beijing Zashong, 93), documentaire brut sur la vie du chanteur et de son groupe. Le film, en prise direct avec le réel, montre une Chine à des années-lumières des oeuvres en costumes de ses prédécesseurs. L’image qui en ressort, à la fois cruelle, désespérée et glauque, est à l’opposé de l’exotisme si cher au coeur des Occidentaux. Cette volonté de tourner vrai se poursuit avec le documentaire La Place (Guangchang, en collaboration avec Duan Jinchuan, 94), consacré au lieu incontournable, historique et désormais tâché de sang qu’est l’immense Tian Anmen.

En 1996, Fils (Erzi) confirme le style unique et novateur du jeune cinéma chinois. Zhang Yuan filme, à leur demande, les membres d’une famille cassée, oscillant sans cesse entre documentaire et fiction (le montage seul révélant celle-ci). Violence, alcool, chômage, oisiveté, ravages de la nouvelle société, ombre encore pesante d’un passé qui ne veut pas mourir, le film s’avère étonnant. La même année, Zhang tourne Côté cour, côté jardin (Dong gong, xi gong) autour du thème tabou en Chine de l’homosexualité. Tourné — à l’inverse des précédents — en studio et produit avec des capitaux français, le film est en fait une métaphore des rapports entre individus et pouvoir, comme le note Bérénice Reynaud (Nouvelles Chines, nouveaux cinémas, éd. Les Cahiers du Cinéma, 99, à qui je suis grandement redevable). Différent des précédents, le film de Zhang Yuan indique une volonté de poétiser son univers via celui du théâtre et de l’opéra classique chinois. Le cinéaste revient au documentaire avec Crazy English (Fengkuang yingyu, 99) où il se montre fasciné par la démarche de l’inventeur d’une méthode originale d’apprentissage de l’Anglais, parfaitement représentatif de la nouvelle Chine capitaliste où le credo "Enrichissez-vous !" prend pour de bon le pas sur l’idéologie communiste traditionnelle.

Mais le meilleur film de Zhang Yuan sera le suivant. Avec Seventeen Years (99), il revient à la fiction tout en empruntant encore au style documentaire. Parvenu à parfaite maturité et s’inspirant de divers faits réels, il bâtit son film en deux temps (passé puis présent) et propose tout à la fois un terrible portrait familial, une subtile étude sur la relation entre deux jeunes femmes et un aperçu très réaliste de l’évolution de la société chinoise, notamment du cadre urbain et de ses permanentes démolitions et reconstructions. Avec ce film dramatique totalement maîtrisé, Zhang (s’)ouvre une nouvelle porte : Seventeen Years, co-produit avec l’Italie, est tourné avec toutes les autorisations et diffusé dans son propre pays. Le cinéaste semble alors renoncer à la voie illégale et underground. Ses deux films suivants le confirment, l’intéressant et intimiste I Love You où son style évolue encore et Green Tea, comédie sentimentale "gentillette" (tous deux tournés en 2003). Désormais, l’important pour Zhang est que ses compatriotes puissent voir ses films.

Avec Les petites fleurs rouges, Zhang Yuan réalise son meilleur film depuis Seventeen Years, tout en en étant très éloigné. Ironie du sort, lui le pionnier de la 6ème génération, semble se rapprocher ici de ceux de la 5ème. Avec ce film ancré dans le passé (tout début des années 50) et à l’esthétisme particulièrement léchée — cadrages, gros plans, prises de vue en plongée, photographie impeccable, partition musicale très réussie), Zhang Yuan traite d’un thème que ne renieraient pas Zhang Yimou, Chen Kaige ou Tian Zhuangzhuang : les rapports conflictuels entre individu et collectivité ; la rébellion ; l’enfant aux prises avec le système éducatif, métaphore du pouvoir. Il y ajoute un grand sens de la poésie (voir l’instant ou le petit héros, Qiangqiang, demande à son ombre "Arrête de me suivre") et d’un onirisme à la frontière du fantastique. Le film se révèle très drôle (je mets au défi quiconque de ne pas éclater de rire à plusieurs reprises), émouvant, tendre, surprenant, profond par les réflexions qu’il suscite immanquablement, et surtout jamais mièvre ou sentimentaliste. Il bénéficie en outre d’une interprétation collective remarquable, à commencer par ses plus jeunes acteurs dont l’inénarrable Dong Bowen dans le rôle principal ou la petite Ning Yuanyuan, la propre fille du réalisateur.

Philippe Serve

Scénario : Ning Dai et Zhang Yuan d’après l’oeuvre de Wang Shuo

Photo : Yang Tao

Montage : Jacopo Quadri

Décors : Huo Tinxiao

Musique originale : Carlo Crivelli

Avec : Dong Bowen (Fang Qiangqiang), Ning Yuanyuan (Yang Nanyan), Chen Manyuan (Yang Beiyan), Zhao Rui (Mme Li), Li Xiaofeng (Melle Tannga)

Producteurs : Marco Muller et Zhang Yuan

Distributeur : CTV International

Le film sera précédé d’une présentation et suivi d’un débat avec le public.

Présentation et Animation : Philippe Serve


© CTV International - Affiche du film