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Lost Highway

Mercredi 30 avril 2008 - 20h00 - Mercury
Publié le mercredi 30 avril 2008.


de David Lynch

USA, fantast., 2h15, 1997

avec Bill Pullman, Patricia Arquette, Balthazar Getty

Vous l’avez déjà vu et vous n’avez rien compris ? Venez le revoir et au débat tout s’éclairera !

Lost Highway fait partie des films réputés les plus difficiles de la filmographie de David Lynch, avec Eraserhead et Inland Dreams. Donc, forcément, des plus passionnants...


Quand Möbius part en fugue psychogénique sur son ruban...

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Dans les semaines qui suivirent la sortie sur les écrans de Lost Highway en 1997, il n’y eut sans doute pas un seul critique ou journaliste qui ne posa à David Lynch la question fatale : « Que signifie votre film ? ». C’est dire si le nouvel opus du natif du Montana laissait perplexe. Certes, la fascination éprouvée devant cette œuvre déconcertante s’avérait réelle, mais quid du sens ? Sentiment déjà expérimenté, à vrai dire, près de vingt ans auparavant devant le saisissant et anxiogène Eraserhead (1977), premier film de Lynch, ou à la vision de la plus formidable série télévisuelle que l’on n’ait jamais eu à se mettre sous la dent, Twin Peaks (1990-91). Bien entendu, David Lynch refusa toujours de répondre. L’homme s’entretient volontiers avec quiconque s’intéresse à son travail, mais qu’on ne compte pas sur lui pour disséquer ses films. Pour résumer sa pensée : tout est à l’écran, et au spectateur de comprendre (ou pas) ce qu’il voit et entend (ou qu’il ne voit pas et n’entend pas). Point barre, débrouillez-vous avec ça ! Peu de critiques se risquèrent sur le moment à élaborer des hypothèses analytiques - au sens de l’analyse filmique - trop élaborées. On se contenta donc de louer - ou de « descendre » - un film qui « parle de schizophrénie ». Onze ans plus tard, les écrits sur l’œuvre de David Lynch (enrichie de l’atypique Une Histoire vraie, 2000, du sublime Mulholland Drive, 2002, et du très casse-tête Inland Empire 2007) se sont multipliés, notamment sur le Net. Pourtant, analysé au microscope, passé au tamis de multiples grilles de lectures, Lost Highway garde toujours une part de mystère. Des zones d’ombres persistent, refusant de se laisser réduire. Mais après tout, qui s’en plaindra ? Une œuvre qui échappe à la compréhension définitive, absolue, nous tend les bras encore et encore. « Revenez me voir, vous en apprendrez peut-être un peu plus cette fois » semble-t-elle nous susurrer. Et le spectateur lynchien se remet ainsi à l’ouvrage. Il sait devoir gratter, racler les moindres recoins, car dans la scène déjà vue, re-proposée à l’identique et soumise à l’épreuve de sa mémoire quasi-immédiate, un simple grain de poussière manque maintenant au tableau alors qu’il le décorait sans le moindre éclat une heure auparavant. Voir ou ne pas voir le grain (de folie ?), telle est la question que doit se poser ce spectateur.

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Lost Highway s’avère emblématique du paradoxe engendré par le cinéma de David Lynch. Les personnages qui hantent son œuvre sont traversés de toutes sortes de pulsions, obsessions, fantasmes, peurs, rêves et cauchemars, espoirs parfois naïfs, frustrations, etc. Le premier réflexe du spectateur sera d’aborder le film en partant d’une analyse psychologique, pour ne pas dire psychanalytique. Comme le film lui semblera - souvent à juste titre - un brin compliqué, il comptera sur sa propre capacité à raisonner, sur sa logique qui, pense-t-il, lui permettra de démêler l’écheveau cachant le sens profond du film. L’analyse psychoanalytique appliquée au cinéma, par les concepts auxquels elle fait appel (mythes, idéologies, désirs et fantasmes inconscients) semble d’ailleurs tailler sur mesure pour décortiquer l’univers lynchien. Et pourtant, il ne me semble pas que ce soit là la meilleure méthode pour appréhender un film de David Lynch lors de sa vision. Loin de moi l’idée de sous-entendre son abandon pur et simple ! L’analyse psychoanalytique peut aider grandement, voire s’imposer, mais en second rideau si j’ose dire. A la vision directe du film, je crois que le spectateur a tout intérêt à se concentrer uniquement sur les informations, présentes ou (volontairement ou pas) absentes, permanentes, provisoires ou définitives, sur les vides et les pleins de l’histoire, et d’avancer ainsi en (re)construisant au fur et à mesure le récit. C’est par exemple cette analyse cognitive en mouvement qui permet de si facilement comprendre instantanément de quoi il retourne dans Mulholland Drive. Quant aux zones d’ombres qui s’entêteront à ne pas vouloir disparaitre, aux questions restées sans réponses malgré tout, peut-être que même le spectateur lynchien le plus curieux doit apprendre à renoncer et à laisser à l’œuvre sa part de mystère. Mystère, l’un des mots préférés de Lynch. Est-ce un hasard ?

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Lynch lui-même invite celui qui désire comprendre ses films - au sens fort du terme, c’est-à-dire pas sur le seul plan de l’intellect - à mettre en veilleuse notre obsession (si occidentale !) d’une pensée ultra-rationnelle ambitionnant un contrôle absolu de l’œuvre. On peut d’ailleurs se demander si le cinéaste ne se méfie pas du langage dans lequel il verrait comme une sorte de barrière sociale instaurée non pas pour exprimer, mais plutôt pour faire barrage à cette énergie qui court de film en film, propulsée par des vecteurs essentiellement visuels et sonores. L’image, le son (bruits divers, musiques, chansons, très accessoirement la parole) sont au cœur ou plutôt constituent le cœur même de Lost Highway. Un film-sensation générant les sensations les plus diverses, humour excepté. Alors que celui-ci a toujours été bien représenté dans les autres films de Lynch, humour noir, absurde, parodique, délirant, des poulets de Eraserhead au tueur à gages de Mulholland Drive, en passant par le kitsch volontaire de Sailor et Lula ou les innombrables gags émaillant Twin Peaks, cet humour pointe ici aux abonnés absents. Barry Gifford, le co-scénariste du film (et auteur du roman Wild at Heart, c’est-à-dire Sailor et Lula en vo), confesse au sujet de Lost Highway : « Il ne fallait pas d’humour. Il fallait que cette histoire soit prenante et fasse peur. » Mission accomplie.

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La libération de forces psychiques irrationnelles pouvant aller jusqu’à la présence de véritables démons (Twin Peaks) irrigue toute l’œuvre de David Lynch. Lost Highway n’échappe pas à la règle, bien au contraire. Le spectateur se trouve propulsé d’entrée sur une route où le malaise règne, où la communication répond aux abonnés absents et où la menace sourd du quotidien le plus encrassé d’habitudes mal digérées. Ambiance, ambiance... Oui, à ce qui en douterait encore, affirmons que le cinéma de Lynch est d’abord une question d’ambiance. Ses détracteurs (plus nombreux qu’on ne le croit et aussi véhéments que ses admirateurs sont enthousiastes) affirment, eux, qu’il n’est « que » question d’ambiance chez le cinéaste aux éternelles chemises blanches au col boutonné. Mais après tout, le culte entretenu autour du Psycho de maître Alfred, ne doit-il pas tout ou presque à l’ambiance du film, le fameux suspense hitchcockien n’étant qu’un des éléments fondateurs (et fondamentaux) de cette ambiance ?

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Le spectateur de Lost Highway accompagnera Fred Madison dans son voyage nocturne et s’inquiètera plus d’une fois du franchissement de la bande jaune qui coupe aussi sûrement la route en deux que la tête de ceux qui ont quelque chose à se reprocher. D’ailleurs, Lynch coupe tout en deux : son film, ses personnages, ses acteurs... A ceux qui se sentiraient encore perdus au moment de reprendre la route en toute fin de film et craindraient de passer encore une fois de l’autre côté de la chaussée sans savoir pourquoi, ni comment, le réalisateur du suintant Blue Velvet accepte tout de même de confier in fine : « Deborah Wolliger, l’attachée de presse de la production, avait trouvé dans un livre le terme de "fugue psychogénique", que je trouve très beau ; c’est musical et ça désigne un état où une personne adopte une identité et une vie totalement différentes, tout un monde nouveau. Cette personne a toujours les mêmes empreintes digitales et le même visage, bien sûr, mais intérieurement, pour cette personne, tout est nouveau ».

A la lumière de cet indice peut-être plus éclairant que les phares de Fred Madison, le spectateur cessera-t-il enfin de serpenter sur la face unique et pourtant double - ou est-ce le contraire ? - du ruban sans fin car toujours recommencé des mystères de Monsieur Lynch ?

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Philippe Serve

Lost Highway - 1997, 2h20, vostf Réalisation : David Lynch Scénario : David Lynch et Barry Gifford Musique originale : Angelo Badalamenti Images : Peter Deming Montage : Mary Sweeney Interprètes : Bill Pullman (Fred Madison), Patricia Arquette (Renée Madison/Alice Wakefield), Balthazar Getty (Pete Dayton), Robert Loggia (Mr Eddy/Dick Laurent), Michael Massee (Andy), Robert Blake (Mystery Man).

Le film sera précédé d’une présentation et suivi d’un débat avec le public.

Présentation et Animation : Philippe Serve


Lost Highway - Présentation-programme