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After Life - 7ème Festival annuel - Frontières

Vendredi 06 février - 20h 30 - Cinéma Mercury
Publié le vendredi 6 février 2009.


Wandâfuru raifu

Hirokazu KORE-EDA – Japon - 1998 – 1h48

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Hirokazu Kore-Eda est un poète et un grand cinéaste. Peut-être le plus grand aujourd’hui au Japon. On en eut l’intuition dès son premier film, le poignant Maboroshi (1995). On y suivait le parcours d’une jeune femme dont la grand-mère avait soudainement – et littéralement - disparu et dont le mari, écrasé par un train avait laissé derrière lui la lancinante question : suicide ou pas ? Tout le film était centré sur la – très – lente reconstruction de la jeune femme, la façon dont elle pourrait apprendre à (re)vivre et à laisser les morts derrière elle. L’infini délicatesse du traitement, l’œil très sûr pour des compositions tirées au cordeau et une photographie magnifique avaient fortement impressionné. Trois ans plus tard – avec entre-temps un documentaire, Without Memory (96) qui montrait bien où se situait les centres d’intérêt du cinéaste, sous influence de la perte de son grand-père victime de la maladie d’Alzheimer alors que Hirokazu n’avait que six ans – le cinéaste enfonçait le clou avec le brillantissime After Life.

D’une manière générale, les films traitant du passage de la vie à trépas sont ennuyeux comme… la mort ou insupportables de mièvrerie et de kitsch dégoulinant, quand ils ne sont pas carrément prétexte à une multitude d’effets spéciaux tous plus laids ou emphatiques les uns que les autres. Et puis d’abord, que sait-on sur l’au-delà ? Rien. Alors s’attaquer une fois de plus au sujet pouvait paraître suicidaire, pour rester dans le ton. Mais là… miracle ! Hirokazu Kore-eda prend le spectateur complètement à contre-pied. Des effets spéciaux ? On n’en verra pas un seul, même si la lune, toujours semblable et jamais identique, n’est peut-être pas tout à fait ce qu’elle parait. De même, évacuées les problématiques religieuses ou métaphysiques. A aucun moment, le nom de Dieu ne sera prononcé. Ici, la mort est laïque jusqu’au bout des ongles. La seule certitude est celle d’une immortalité et du besoin d’emmener avec soi, comme seul bagage pour ce voyage qui n’en finira plus, un seul et unique souvenir. Loin donc de la chantilly hollywoodienne habituelle, Kore-eda choisit la retenue et un style très proche du documentaire. D’ailleurs, sur les nombreux personnages apparaissant à l’écran, trépassés à la recherche du bon souvenir, un certain nombre sont incarnés par des acteurs ou actrices racontant une tranche de vie leur ayant réellement appartenu.

Les décors, parfaits, sont impossibles à localiser et dégagent une certaine grisaille qui n’a cependant rien de déprimant. Nous sommes dans un ailleurs, no man’s land entre ici et là-bas, où les défunts de tous âges et de toutes conditions doivent impérativement stationner une semaine, le temps de choisir leur meilleur souvenir. Sortant d’un brouillard opaque, ils sont accueillis par des conseillers que le spectateur paresseux et en manque de repères risque de confondre avec des anges. Ils n’en sont pas. Au début du film, Kore-eda porte surtout son attention sur les arrivants. Egalement scénariste – et monteur – de son film, il réussit le tour de force de nous présenter de nombreux personnages que nous ne confondrons pourtant jamais car chacun est instantanément doté d’une personnalité très bien esquissée en quelques mots, un geste, un long silence, une posture. Chacun réagit à sa manière à la demande formulée avec beaucoup de douceur par les conseillers, une douceur naturelle, très nippone et en aucun cas mielleuse. Certains ne savent pas, d’autres croient savoir trop vite, d’autres encore refusent de choisir.

Très vite, on comprend que l’enjeu du film n’est pas ce qui se situe au-delà de l’ultime frontière mais de la qualité – et non de la quantité – de nos souvenirs. Et par là, de la qualité de nos vies. Au fond – mais peut-être n’est-ce pas due tout à fait au hasard que les deux films se fassent écho à 48 heures d’intervalle dans notre festival – After Life pose des questions et apportent des réponses proches de celles des Ailes du Désir. Différence notable : alors que Wim Wenders et Peter Handke célèbrent la jouissance de l’instant, Hirokazu Kore-eda nous plonge à l’étape suivante, lorsque cet instant présent est devenu passé et souvenir. Lequel retenir ? Peu à peu, au contact des souvenirs égrenés devant eux, les conseillers révèlent leur propre passé, leur face cachée. Takachi et Shiori, le jeune conseiller et son amie, sont particulièrement attachants par leur irrésistible douceur. On a envie de les connaître, de rester avec eux, de les aimer.

J’ai écrit un peu plus haut le mot miracle. C’en est bien un que de susciter chez le spectateur un tel bien-être avec un sujet pareil, une image filmée en 16mm et au grain visible, et des couleurs comme passées au léger trait de gomme. La mélancolie est présente bien sûr, comment pourrait-il en être autrement ? Mais Kore-eda – déjà sous influence pour Maboroshi ¬– a retenu les leçons du maître, Yasujiro Ozu. C’est au sentiment si japonais du mono no aware qu’il baigne son film. Sereine mélancolie qui contamine le spectateur et le rend dans un état proche du bonheur à la sortie. Apaisé.

Hirokazu Kore-eda a su confirmer son immense talent par la suite, que ce soit avec Distance, encore un film sur la mémoire mais aussi le pardon (2001) et surtout son oeuvre coup de poing Nobody Knows (2004). Après un film en costumes plus léger, Hana (2006) toujours pas sorti en France, on attend avec impatience sur nos écrans son dernier opus, Still Walking sur un conflit familial inter-générationnel et… la mémoire, encore et toujours.

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Philippe Serve

Scénario, montage et réalisation : Hirokazu Kore-eda Photo : Masayoshi Sukita et Yutaka Yamasaki Musique : Yasuhiro Kasamatsu Décors : Hideo Gunji et Toshihiro Isomi Avec : Arata (Takachi Mochizuki, le jeune conseiller) Eika Oda (Shiori Satonaka, la jeune apprentie conseillère) Susumu Terajima (Satoru Kawashima, conseiller) Takenoshi Naito (Takuro Sugie, conseiller)

Ce film, présenté dans le cadre du 7ème festival de Cinéma sans Frontières, bénéficiera d’une présentation et d’un débat avec le public.

Animation : Philippe Serve