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Le Rendez-vous des Quais

Vendredi 21 janvier - 20h45 - Cinéma Mercury
Publié le vendredi 21 janvier 2005.


de Paul CARPITA (France, 1950-53, 1h15)

avec Roger Manunta, André Maufray, Jeanine Moretti

En présence du Réalisateur

Dans le Marseille des années cinquante, sur fond de guerre d’Indochine, l’histoire d’un jeune couple confronté aux difficultés économiques et à la crise sociale qui secoue le port. Sur les quais, on décharge les blessés et les cercueils venant d’Indochine, on embarque des canons et des chars. Les grèves éclatent sur le port, durement réprimées par la police.

Compte-rendu du débat :

Le débat démarre sur cette phrase de Paul Carpita pour qui la scène la plus militante du film reste celle où Jean, le militant syndicaliste, s’occupe de sa petite fille, lui fait faire ses devoirs tout en faisant cuire des pâtes pour le dîner, en attendant que sa femme rentre d’une réunion syndicale. Et Paul Carpita de souligner qu’à l’époque, cela ne plaisait pas à tout le monde y compris parmi les militants de gauche...

Une des premières interventions de la salle qualifie le film de « film de demain » et lui promet encore une longue vie devant lui, étant donné l’actualité profonde de la situation décrite dans le film, espoir des uns, renoncement des autres, nécessité absolue de la solidarité pour faire face, etc...

Une question porte sur la situation sociale et politique en France à l’époque et en quoi il était urgent en 1955 de saisir le film.

Réponse de Paul Carpita : En 1955, c’est le début de la guerre d’Algérie qui ne dit pas encore son nom (le contingent y sera envoyé en 56), et le gouvernement de l’époque a , semble-t-il, établi un parallèle étroit entre le conflit décrit dans le film (fin de la guerre d’Indochine) et « les évènements » en Algérie. Paul Carpita explique que depuis 1950, il tournait ce qu’on appelait à l’époque des « contre-actualités », couvrant notamment la grande grève des dockers de 1950 (refus d’embarquer armes et munitions) et d’autres mouvements sociaux . La masse des documents ainsi recueillis lui a donné l’idée de les utiliser dans un long-métrage (« un grand film » comme dit P.Carpita) qui deviendra, au bout de 5 années de travail « Le Rendez-Vous des Quais ».

Question : Est-ce-qu’il y a eu un mouvement de solidarité à votre égard après la saisie du film et comment s’est-il exprimé ?

Réponse (Paul Carpita, visiblement touché par la question) : Vous retournez le couteau dans la plaie. Alors que j’ai toujours signé des pétitions pour défendre des cinéastes y compris lorsque je n’étais pas d’accord avec eux ou que je n’aimais pas leurs films, je n’ai reçu aucun signe de solidarité. Mis à part l’intervention de Fernand Grenier, député communiste à l’Assemblée Nationale, qui dénonçait l’interdiction du film et proposait d’organiser une projection à l’Assemblée Nationale, il n’y eut aucune réaction ni dans le milieu du cinéma, ni dans le monde politique. Dans la profession, on considérait que ce n’était pas un film (mal ficelé, trop artisanal, etc..). Silence complet des media. Et puis, Marseille est si loin de Paris... Par contre, lorsque le film a été retrouvé, il a été acclamé par tout le monde. La télévision allemande a tourné un très beau documentaire sur l’histoire du film, intitulé « Les Rendez-vous du hasard ».

Commentaire de l’animateur : Le milieu du cinéma essayait sans doute ainsi de réparer sa dette envers vous.

Question de la salle : Parlez-nous un peu des 15 minutes du film qui n’ont jamais été retrouvées.

Réponse : Ces 15 minutes correspondent à une bobine et je crois donc qu’elle a été tout simplement perdue. Certains pensent que je suis naïf de le croire vu que j’avais tourné la scène où Robert retourne effectivement travailler, sous la protection des CRS. Pour certains, un ouvrier syndicaliste ne pouvait pas être briseur de grève. L’autre scène de la bobine racontait l’arrivée de la petite fille à la campagne. La maison où elle va ête accueillie est gardée par un énorme chien, et la fillette est terrorisée et ne veut pas se séparer de ses parents. Donc, vous voyez, a priori, aucune raison de supprimer cette scène...

Question : Comment se passait le tournage ?

Réponse : C’était très difficile, puisque nous travaillions tous. Etant institeur, je ne pouvais tourner que le jeudi et le dimanche. Dockers, cheminots, traminots, etc.. le film s’est fait sur le temps libre des uns et des autres. Il est farci d’erreurs de script et de faux raccords....

Question : Où et comment le film a-t-il été retrouvé ?

Réponse : Il a été retrouvé aux Archives du Film de Bois d’Arcy. Pour vous expliquer comment il a été retrouvé, il faut que je revienne sur le tournage de la dernière scène, la bagarre entre les grévistes et les CRS. Elle n’a pas été tournée « au vif », (trop dangereux, surtout pour la jeune fille qui jouait Marcelle, à peine âgée de 16 ans) mais nous l’avons reconstituée à Port de Bouc (ville portuaire à 40 km de Marseille). 50 dockers étaient prêts à jouer pour nous, mais aucun de voulait faire le rôle des CRS. Finalement, une quinzaine accepte et enfile les uniformes. Mais dès que nous voulons tourner, ils commencent à se déshabiller et refusent de jouer les flics. Après bien des palabres, quinze autres acceptent, mais ça tourne à la rigolade. Là , je me fâche tout rouge : « Vous n’avez pas honte. Nous sommes là pour rendre hommage aux dockers de Marseille qui se sont vraiment fait tabasser. Puisque c’est comme ça, nous partons ». Silence géné, puis tout le monde accepte de jouer vraiment le jeu, et s’en suit une bagarre avec force coups de poing et de pied... De là est née la légende du « grand film de Port de Bouc » sur Port de Bouc, avec les dockers de Port de Bouc, etc... En 1981, alors que Jack Lang est Ministre de la Culture, il se rend à Port de Bouc pour un projet sur le patrimoine urbain, la mémoire de la ville, etc.. Ses interlocuteurs lui parlent forcément du « grand film sur Port de Bouc »... Une commission est créée pour retrouver le film, qui finit par être déniché en 1990. La municipalité de Port de Bouc sera la première informée, (avant moi !!!). Lors de la présentation officielle du film à la Cinémathèque , une délégation fera le voyage à Paris et sera fort déçue de constater qu’on ne voit pas Port de Bouc...

Question : Quelles ont été les raisons officielles invoquées pour interdire le film ?

Réponse : Après avis de la Commission de Censure (avis non contraignant), le Ministère de l’Industrie et du Commerce de l’époque qui avait également la responsabilité du cinéma (sic) déclare que ce film, sous couvert d’action syndicale, dénonce en fait l’action de la France pendant la guerre d’Indochine et est donc de nature à troubler l’ordre public.

L’animateur demande alors à Paul Carpita de raconter l’anecdote de la brandade de morue.

Paul Carpita : Il faut savoir qu’à l’époque, le moindre tournage dans la rue suscitait énormément de curiosité, voire des atroupements. Or, vu le sujet du film, nous avions besoin d’une certaine discrétion. En travaillant à la post-synchronisation d’une scène aux Studios Pagnol, nous apprenons qu’une équipe est en train de tourner un film publicitaire sur la brandade de morue. Nous décidons donc de mémoriser tout un texte autour de la recette, pour pouvoir nous en servir le cas échéant. Ce sera le cas par exemple dans la scène où Jo (l’ouvrier non gréviste) s’emporte contre les syndicalistes. « Vous, vous expliquez tout par la guerre d’Indochine ». De même, la scène où Jean vient haranguer les mécanos sur le pétrolier. Ayant besoin d’une autorisation pour filmer à bord, nous allons la demander au patron du navire en lui racontant que voulons faire un film sur les exercices de sauvetage en mer. Le patron donne immédiatement son accord, mais décide d’assister au tournage de la scène !!! ... Lorsque les ouvriers votent à main levée pour la grève , la question que pose Jean est en fait « Qui est volontaire pour faire les exercices en mer !!! Un tournage semé de mille embûches donc, avec un scénario qui était modifié en permanence, en fonction de ce qui se passait autour de nous.

Une intervention dans la salle souligne l’émotion constante dégagée par le film où ne joue aucun acteur professionnel, ce qui contribue sans aucun doute à la vérité presque palpable du film. En fait, tous les personnages jouent leur propre rôle.

Question : Est-ce-que vous aviez l’impression que le P.C. était isolé dans sa lutte contre la guerre d’Indochine, puis d’Algérie ?

Réponse : Non, autour de moi, tout le monde était contre la guerre d’Algérie. Pour la guerre d’Indochine, c’était un peu différent, puisqu’elle était menée par une armée de métier (pas d’envoi du contingent), et qu’elle suscitait, par conséquent moins de mobilisation dans la population.

Question : Ne pensez-vous pas que la décadence du port de Marseille est liée à la décadence de l’Empire colonial ?

Réponse : Vous savez, ça me dépasse un peu tout ça. Mais la déclin du port s’est produit surtout après, avec la mécanisation et les nouvelles techniques.

Une dernière intervention met en avant « la formidable modernité » du film, et reprend le terme qui avait en quelque sorte ouvert le débat : un film de demain.

Après plus d’une heure et demie d’un débat où Paul Carpita nous a tenus en haleine, nous a émus, nous a fait rire tout autant que dans son film, nous levons la séance avec le sentiment d’avoir vécu une soirée inoubliable grâce à ce grand monsieur si modeste qu’est Paul Carpita.

Présentations et animations des débats :

Philippe Serve (Ecrans pour Nuits Blanches)

Vincent Jourdan (Coopérative du Cinéma)


Photo du film - Cliquez pour agrandir