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Vendredi 10 décembre 2010 - LE ROI ET LE CLOWN

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le samedi 4 décembre 2010.


Film de LEE Jun-ik

Corée du Sud - 2005 - 2h - vostf

Regard mensuel sur le cinéma coréen

Quand les clowns persiflent, le pouvoir tremble

Par Philippe Serve

Le spectateur cinéphile – essence même du public de Cinéma sans Frontières ! – sait depuis maintenant une bonne douzaine d’années que le cinéma coréen apparait comme l’une des cinématographies nationales les plus passionnantes du moment. Si le talent des cinéastes du pays du matin calme en constitue la première raison, la diversité des thèmes abordés, ainsi que le rejet des inhibitions traditionnellement attachées en Occident au cinéma de genre, en sont d’autres causes toutes aussi importantes.

Parce que le spectateur occidental demeure encore très étranger à l’Histoire et à la Culture coréenne, les films en costumes en émanant sont rares à atteindre nos salles. Lorsqu’ils le font, c’est souvent pour surfer sur une vague d’exotisme toujours prisé par un public en mal d’évasion. Pourtant il n’y a qu’à se souvenir du succès public du somptueux Chant de la fidèle Chunhyang, du vétéran Im Kwon-taek (2000), conte traditionnel mais aussi magistrale représentation de pansori – chant typiquement coréen, en général très déconcertant pour qui l’entend la première fois – pour savoir que ce type de films, fortement référencés, peut trouver son public. Autre point potentiellement handicapant – aux yeux occidentaux, s’entend – le récurrent et épais mélodrame enveloppant le cinéma coréen, tradition partagée avec celui de leur grand voisin chinois. Certes, certains mélos sont prisés de nos cinéphiles même les plus durs, mais encore faut-il qu’ils soient autorisés/auteurisés. Ainsi en va-t-il des œuvres de De Sica, Douglas Sirk et autres R.W. Fassbinder. Alors, déjà qu’un film ayant cartonné aux guichets d’entrée se voit vite soupçonné de n’être qu’un vulgaire blockbuster de plus, formaté pour attirer le chaland et faire couler l’argent à flots, loin des exigences artistiques attendus, que penser d’un tel spectacle qui – circonstance aggravante ? – a su réunir les suffrages d’une bonne majorité des critiques du globe ? Précisons en premier lieu que le succès phénoménal du film dans son pays - ses 12 millions de spectateurs acquis en seulement sept semaines, record national seulement battu quelques mois plus tard par The Host de Bong Joon-ho et présenté le mois dernier par CSF - prit tout le monde par surprise. Car sous son aspect spectaculaire, Le Roi et le Clown est un petit film au budget très modeste et sans aucune vedette locale à l’affiche. Quels sont donc les ingrédients ayant provoqué un bouche-à-oreille aussi instantané que fulgurant ?

Essayons quelques pistes…
Tout d’abord, le contexte historique du récit : les douze années (1494-1506) de règne de Yonsan, dixième souverain de la dernière dynastie royale coréenne, dite Chosun. Un roi moitié Caligula, moitié Richard III. Fou et sanguinaire. Le pire que le pays ait connu. Autant dire un personnage familier des Coréens, dont la courte vie (il est mort à 30 ans) avait déjà inspiré d’autres films pour le grand ou petit écran, notamment l’excellent et multi-primé Chronique du Roi Yonsan d’Im Kwon-taek (encore et toujours lui) en 1987.
Ensuite, une pièce de Kim Tae-woong – Yi – énorme succès de scène au début des années 90 et dont le film n’est autre que l’adaptation. Notons tout de même que Lee Jun-ik se démarque quelque peu de la pièce en modifiant de façon non anodine le caractère et les motivations de Gong-gil, le clown du titre.
Enfin, un thème presque jamais abordé dans le cinéma coréen jusque là – ou alors seulement en périphérie et de façon plutôt négative - l’homosexualité.
Bien entendu, de bons ingrédients ne suffisent pas à la réussite d’un met. Encore faut-il savoir les accommoder et les lier. En d’autres termes, une réalisation de tâcheron n’aurait certainement pas pu provoquer le bouche-à-oreille déjà évoqué. La première surprise vient de l’ampleur visuelle du film. Lee Jun-ik réussit quelques miracles, compte tenu de son budget quasi misérable pour un film en costumes (moins de trois millions d’euros). Le spectateur coréen – plus que l’Occidental, convenons-en, pour des raisons de connaissances historiques – fut également passionné par le regard porté sur un Roi qu’il ne connaissait que sous certains traits et que la fiction ici à l’œuvre montre sous un jour inattendu.

Revenons au spectateur occidental. Ce dernier sera peut-être interloqué devant les manifestations mélodramatiques des personnages, élément traditionnel du cinéma coréen, comme indiqué précédemment. De même en ce qui concerne la musique d’accompagnement – c’est-à-dire non diégétique, cette dernière jouant au contraire un rôle séducteur, partie prenante des spectacles de théâtre offerts par les saltimbanques. Il sera en revanche moins surpris par l’alternance de moments comiques et tragiques. Nous sommes en effet plus proches ici de Shakespeare que des conflagrations comédie-tragédie à l’intérieur d’un même plan, tels que les pratique Bong Joon-ho.

Le film multiplie les ellipses, sans doute pour des raisons de pudeur, voire d’auto-censure. Loin d’être gênantes, elles donnent à l’œuvre une dimension que l’on ne saurait certes qualifier de plus légère ou de plus mystérieuse, mais qui, en évitant le surlignage, n’en protège pas moins d’un surcroît de lourdeur et d’évidences superflues. De la même façon, le réalisateur évite de charger son film de symboles ou de métaphores. Les rares qui demeurent (la corde de funambule, par exemple) jouent leur rôle avec justesse.
Tous les interprètes sont parfaits, même si l’on pourra regretter peut-être qu’ils n’aient pu profiter d’un succédané de profondeur pour leurs personnages respectifs. Les débats sont dominés comme de bien entendu par Jeong Jin-yeaong qui compose un roi étonnant, aussi effrayant que touchant et qui constitue la grande révélation du film, et par Lee Jung-gi, dans le rôle de Gong-gil, le clown aux allures de Ladyboy racé, qui s’impose par une beauté troublante et un jeu qui n’en fait jamais trop (si l’on ne tient pas compte des larmes liés au côté mélodramatique, cf. plus haut...).

Ce qui réunira sans doute aussi spectateur coréen et occidental est la thématique du rapport établi entre l’artiste satirique et le pouvoir qu’il ridiculise et dénonce. L’artiste peut-il tout révéler, au risque de conséquences politiques qu’il ne pourra jamais maîtriser ? A quel instant est-il libre, à quel instant est-il manipulé ? Où se trouve la ligne jaune, celle à ne pas enfreindre, au risque de voir s’abattre le courroux du Prince, du Roi, du Président ?
Interrogations plus que jamais d’actualité à l’heure de la coexistence de médias aux ordres (service public) et de la multiplication de canaux libres et quasi incontrôlables (internet). Or, quel Pouvoir accepte de ne pas contrôler les clowns persifleurs ?

(1) On pourrait y ajouter le tout aussi beau Ivre de femmes et de peinture (2002), du même réalisateur.

P.S.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe SERVE.

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