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VENDREDI 04 NOVEMBRE 2016 : AQUARIUS et SAMEDI 05 NOVEMBRE 2016 : LES BRUITS DE RECIFE

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le dimanche 30 octobre 2016.


Aquarius (Brésil, 2016, 2h25)

Les Bruits de Recife (Brésil, 2014, 2h11)

Films de Kleber Mendoça Filho

Clara, la soixantaine, ancienne critique musicale, est née dans un milieu bourgeois de Recife, au Brésil. Elle vit dans un immeuble singulier, l’Aquarius construit dans les années 40, sur la très huppée Avenida Boa Viagem qui longe l’océan. Un important promoteur a racheté tous les appartements mais elle, se refuse à vendre le sien. Elle va rentrer en guerre froide avec la société immobilière qui la harcèle. Très perturbée par cette tension, elle repense à sa vie, son passé, ceux qu’elle aime.

Article de Josiane Scoleri :

Aquarius, le deuxième film du jeune réalisateur brésilien, Kleber Mendoça Filho, est un film extrêmement ambitieux. Il se propose de nous brosser un tableau de l’ensemble de la société brésilienne contemporaine à travers un portrait de femme. Une femme d’une soixantaine d’années qui a l’habitude de se battre : elle a vaincu le cancer et surmonté les préjugés de race et de classe qui pèsent sur la société brésilienne ( cf la scène d’ouverture avec la réunion familiale emblématique ) et elle se retrouve seule dans son immeuble déserté, mais droite. La posture de Sonia Braga à travers tout le film, est celle d’une figure de proue qui fend les flots à l’avant du navire. Elle constitue à elle toute seule une déclaration d’indépendance. Sa vie, elle la doit à une discipline qui la tient debout ( son bain quotidien sur la plage en toute saison) et une volonté qui la porte en toutes circonstances. Toute la construction du film repose sur une alternance entre les scènes où nous sommes pratiquement en tête à tête avec Clara et celles où elle est confronté à d’autres personnes de son entourage plus ou moins proche. ( famille, amis, connaissances, relations de voisinage, rencontres ponctuelles, etc...).

C’est ainsi que l’architecture du film prend forme peu à peu avec toujours en tête ce double objectif : retracer le chemin de vie personnel de Clara au plus près de son vécu, de ses sentiments et de ses convictions et d’un même souffle composer le puzzle le plus large possible du Brésil d’aujourd’hui, en plein chambardement politique, économique, social, et culturel. La réussite du film tient en grande partie aux correspondances, plus ou moins évidentes, plus ou moins souterraines qui l’on peut tisser entre tous les événements de la vie de Clara et l’histoire du Brésil ( y compris l’Histoire avec un grand H). Pour revenir par exemple sur la scène d’ouverture, qui se passe certainement dans les années 80, on peut très facilement y voir les espoirs en la démocratie ( la musique dans la voiture, les relations entre les ados qui représentent l’avenir) après les années de dictature ( le cancer contre lequel se bat Clara) et les tentatives de résistance qu’elle soit politique ( le marie de Clara) ou personnelle ( cf le récit féministe de la tante Lucie). C’est une lecture possible et très certainement voulue par le réalisateur, mais ce qui fait la véritable puissance du film, c’est que les événements personnels, grands ou petits de la vie des personnages, ne peuvent se réduire à une simple illustration de ce qui serait un plus noble propos. Ils ont leur cohérence et leur force propre, et surtout une charge émotionnelle qui ne se faiblit jamais. Tous les personnages secondaires existent vraiment et chaque scène qui leur est consacrée leur donne une épaisseur et ajoute du sens à l’entreprise. Pour n’en citer qu’un, on peut évoquer le personnage de Ladjane, la fidèle servante qui est là comme dans un roman du XIXième siècle, effacée, mais toujours présente. Les liens entre elle et Clara sont forts, mais restent fatalement des rapports de classe et en même temps, nous sommes transportés à un moment donné dans son monde, celui des pauvres, avec la mort tragique de son fils. Ladjane change de stature et cette profondeur reste avec nous pendant tout le reste du film. Mais on pourrait tout aussi bien citer le maître-nageur, les amies de Clara avec qui elle sort « entre filles », tous ses enfants et petits-enfants. Chacun apporte sa pierre à l’édifice.

Mais bien sûr, la grande affaire d’ Aquarius (du nom de l’immeuble qui est un personnage à part entière du film), c’est la résistance. La résistance, c’est une vraie question qui traverse les sociétés humaines, et pas seulement dans les moments qui font partie des livres d’Histoire de par leur dimension dramatique, voire tragique. Sous nos yeux vont se dérouler de multiples épisodes des mille façons de s’opposer en mobilisant toutes les ressources en son pouvoir où en général chacun peut se rendre compte qu’il n’est pas si petit, si impuissant qu’il paraissait de prime abord, et surtout qu’il n’est pas si seul. Kleber Mendoça Filho se révèle dans cette affaire un maître du suspens où nous ne demandons sans cesse jusqu’où l’une et l’autre partie vont pouvoir aller. Clara commence par ignorer superbement son adversaire ( elle déchire les courriers, fait repeindre la façade), elle s’installe ensuite dans son refus par une résistance passive.. Mais il apparaît très vite que les affreux en face d’elle ne sont pas du genre à s’encombrer de scrupules et que Clara va devoir se chercher des alliés.

L’histoire d’ Aquarius c’est à la fois David contre Goliath et « l’union fait la force ». Les alliés les plus efficaces n’étant pas nécessairement ceux que l’on attendait. Cette conjonction des forces autour de Clara permet au réalisateur d’élargir sa peinture sociale bien au-delà du cercle de départ, avec notamment l’intervention brève mais déterminante des ouvriers qui jusqu’ici n’avaient fait que de brèves apparitions ici ou là. Mendoça Filho applique la même méthode au clan d’en face, ce qui lui permet au passage de jeter une lumière crue sur ceux qui ont parfaitement assimilé les nouvelles règles du jeu néo-libéral mondialisé, toutes générations confondues. Apparaissent ainsi en toile de fond non seulement la spéculation effrénée, mais aussi la corruption, la drogue, les magouilles en tous genres. Et même si ces questions graves sont à peine effleurées, elles sont posées frontalement et Mendoça Kleber fait preuve de beaucoup d’habileté pour intégrer tous ces éléments au scénario sans qu’ils soient plaqués sur l’histoire, mais contribuent à faire monter la tension. La scène finale est un modèle du genre en la matière. Même si nous avons toutes les cartes en main, impossible de savoir quel est le plan concocté par Sonia pour porter l’estocade finale. L’effet de surprise est à la hauteur de la violence de la situation. Pari gagné sur toute la ligne pour le réalisateur.

A l’origine, Kleber Mendonça Filho voulait faire un film sur le goût de conserver des objets ainsi que sur la divergence entre les documents et les souvenirs. "Il m’a semblé intéressant d’avoir comme protagonistes une personne et un immeuble ayant tous les deux à peu près le même âge et se trouvant d’une certaine manière menacés", confie-t-il, en expliquant également qu’Aquarius est né d’une série d’événements, dont un assez banal, à savoir un flot d’appels publicitaires reçus chez lui : "Cartes de crédit, mutuelles, abonnements télé ou presse. Je l’ai ressenti comme une attaque du marché, pour forcer les gens à acheter ce qu’ils ne désirent pas."

Dans son film précédent, Les Bruits de récife, Kleber Mendonça Filho s’attachait déjà à la construction d’un microcosme complexe, avec les différentes relations d’affect et de pouvoir qui l’habitent. Le réalisateur note : "Je pense qu’on ne peut pas représenter la vie et les actions quotidiennes sans mettre en lumière leurs contradictions, qui peuvent être intéressantes, drolatiques ou sinistres. En fait, dans l’écriture de mes films, il m’est difficile d’ignorer ces aspects de la société, et notamment de la société brésilienne. Aussi, ai-je toujours été frappé par les contradictions idéologiques des Brésiliens issus des classes sociales aisées : ils peuvent avoir une posture aristocratique et en même temps soutenir l’abolitionnisme et des valeurs de gauche… En somme, mon défi est de chercher à représenter cette société dans sa complexité."

Aquarius possède quelques éléments du cinéma fantastique, notamment via des scènes qui suggèrent un fort sentiment de peur (une peur mystérieuse). Kleber Mendonça Filho voit son film comme appartenant au « siege movie » (films autour d’un état de siège). Le cinéaste développe cette idée : "Le bâtiment est constamment violé et l’appartement, la partie plus intime de cet univers, subit des menaces. Les fenêtres ouvertes dégagent aussi ce sentiment-là, car il s’agit d’un élément classique à mes yeux, celui de l’extérieur/intérieur. Et il y aussi le fait malheureux qu’au Brésil les fenêtres ouvertes nous rappellent cette pratique sociale établie qui consiste à mettre des clôtures sur toutes les fenêtres, à n’importe quel étage, pour éviter toutes sortes d’effractions. Je pense donc que tous les éléments du film sont ordinaires, courants, mais il y a sans doute quelque chose dans le cadrage et dans le découpage qui renforce ce ton fantastique apparent."

Le titre du film est le nom de l’immeuble, renforçant ainsi l’idée que le lieu de l’action est le point d’ancrage du récit. Kleber Mendonça Filho  voit l’immeuble comme un personnage et son défi était de le présenter subtilement, comme ayant une certaine dignité : un immeuble un peu plus ancien, mais déjà condamné. Le cinéaste poursuit : "Il était important qu’il n’ait pas l’air décadent ou précaire, c’est-à-dire qu’il soit un accusé innocent, et que ce soit clair dans le film que ses problèmes venaient du dehors et non pas de l’intérieur, de sa structure. Aussi, dans une sorte de jeu avec le spectateur, fallait-il montrer l’appartement de Clara d’une façon suffisamment précise pour qu’en voyant le film on soit capable de dessiner le plan de l’appartement sur un bout de papier, l’utilisation d’un vrai appartement pour le tournage m’a beaucoup fait réfléchir à l’espace lui-même et à ses contraintes. Car les besoins d’un film, comme les angles de prise de vue et l’emploi des fenêtres et des portes, ouvrent une série de difficultés concrètes qui nous révèle des idées nouvelles sur l’espace réel et sur l’espace cinématographique."

Sonia Braga campe Clara. Durant l’écriture, Kleber Mendonça Filho n’avait pas l’actrice en tête mais envisageait de découvrir une femme inconnue qui puisse jouer ce personnage. C’est au moment où il allait se lancer dans la production que le co-directeur de la photographie Pedro Sotero lui a suggéré Sonia Braga. "Alors Marcelo Caetano, notre directeur de casting, a envoyé le scénario à Sonia aux États-Unis. Elle a répondu sous 48 heures en signalant qu’elle voulait faire le film. Je suis allé à New York faire sa connaissance, et je l’ai adorée. L’une des plus belles choses dans tout ça, c’est que Sonia faisait déjà partie de ma vie, comme c’est souvent le cas avec les grands artistes, et elle est devenue une collaboratrice, puis une amie aussi", se souvient le metteur en scène.

La vie dans un quartier de classe moyenne de la zone sud de Recife est perturbée par l’arrivée d’une société de sécurité privée. La présence de ces hommes est source de tranquillité pour certains et de tension pour d’autres, dans une communauté qui semble avoir beaucoup à craindre. Une chronique brésilienne, une réflexion sur l’histoire, la violence et le bruit.

Le réalisateur est très attaché à la ville de Recife, dans laquelle il habite. La rue qui revient le plus fréquemment dans le film est celle où il vit, ainsi que l’appartement de Bahia, qui n’est autre que le sien. Trois de ses court-métrages tiennent aussi place dans ce quartier de Setúbal où se déroule l’action des Bruits de Recife. Ce facteur commun tient en ce que Mendonça Filho s’intéresse beaucoup aux rapports de classe qu’il peut observer dans la vie quotidienne des habitants de Recife, des restes féodaux qui persistent dans la société, et de l’architecture de la ville qui participe à cette atmosphère anxiogène et impersonnelle. C’est aussi pourquoi le réalisateur écrit les scénarios de la plupart de ses films.

Les Bruits de Recife, comme l’indique le titre, est un film centré sur le son. C’est pourquoi le réalisateur recommande fortement de voir le film au cinéma plutôt que sur un écran de salon. La construction (enregistrement, mixage et montage) sonore du film dure plus d’un an et doit constituer, toujours selon Mendonça Filho, la bande originale de son long-métrage, qui, sinon, n’utilise aucune musique dans le sens traditionnel du terme. DJ Dolores, avec qui le réalisateur avait travaillé pour son documentaire Critico, orienté sur la critique de cinéma, signe ici la production musicale du film, tout en détails sonores.

Une légende urbaine brésilienne a servi de référence à l’ambiance parfois fantastique, comme hantée, du film. Un adolescent, entre 13 et 18 ans, s’amusait à s’introduire chez les gens en grimpant sur la façade de leur immeuble. Il visitait les appartements mais ne volait rien et parfois, les occupants se réveillaient et le retrouvaient allongé sur le canapé. Il fut un jour retrouvé mort, le corps criblé d’une douzaine de balles. Ce personnage fantomatique, dont l’existence même est incertaine, sert au cinéaste qui voulait au départ l’intégrer au film. Il traduit le besoin d’évasion, de transgression, que ressentent les protagonistes. Dans une interview, Mendonça Filho précise qu’il voyait son film comme un soap opéra filmé par John Carpenter. Quand on sait l’attention que ce dernier donnait lui-même au son dans ses thrillers (The Thing, Christine, Dark Star), il est clair que le réalisateur des Bruits de Recife s’est inspiré de l’Américain pour son film. Du soap, il récupère les intrigues parallèles et multiples mais y apporte une qualité visuelle supérieure à l’aide du Cinémascope. Assaut (toujours Carpenter) est aussi cité par le cinéaste, pour son utilisation sensible de l’espace, comme il a tenté de la transmettre dans Les Bruits de Recife.

Comme le film se penche sur les rapports entre classes sociales, une comparaison a été faite entre Les Bruits de Recife et la construction d’un western : la question de pouvoir, de territoire, de clôture de l’espace, est omniprésente et rappelle au réalisateur les plantations de cotons et l’esclavage qui y a perduré au Brésil jusqu’au XIXème siècle. Il prend également d’autres films en référence, La Randonnée, de Nicolas Roeg, et Cabra Marcado para Morrer d’Eduardo Coutinho, autrement dit un film initiatique au coeur du bush australien et un historique sur des luttes de territoires entre paysans. Le cinéaste a réalisé son film dans l’optique qu’il serait essentiellement vu par des Brésiliens. Il lui faut attendre le festival de Rotterdam pour comprendre que Les Bruits de Recife n’est pas uniquement un film indépendant et local, "paroissial" disait-il. Pourtant, il craint que certains aspects de son intrigue échappent aux spectateurs qui ne connaissent pas le Brésil. Ainsi, son idée sur la classe moyenne, qu’il met en scène, est des plus personnelles : "ses pieds ne touchent jamais le sol". Il les voit comme constamment enfermés dans une bulle de protection, obsédés par leur sécurité, vision des choses qui touchent précisément cette classe brésilienne mais pas nécessairement la classe moyenne mondiale. L’universalité qu’il a pu voir dans son film ne fut que postérieure à la réalisation de celui-ci.

Mendonça Filho n’a pas fait qu’écrire et mettre en scène Les Bruits de Recife, rôle pourtant déjà conséquent. Il participe aussi à la sonorisation et au montage du film et le fait produire par Emilie Lesclaux au sein de sa société de production Cinemascópio. Outre ses activités de cinéaste, il dirige avec cette dernière le festival de cinéma de Recife (Janela Internacional de Cinema do Recife), créé en 1997 par Alfredo et Sandra Bertini.

Les Bruits de Recife figure sur la liste des dix meilleurs films de l’année 2012 du New York Times, déterminée par le critique de cinéma Anthony Oliver Scott. Il reconnaît aux Bruits de Recife une qualité de travail du son époustouflante et parle d’un "paysage auditif d’un film d’horreur. Ou celui d’un thriller sans chute. La tension qui envahit la routine quotidienne est tout aussi difficile à identifier qu’à éviter [...]". Caetano Veloso, probablement le musicien brésilien le plus populaire qui soit, le voit quant à lui comme l’un des meilleurs films brésiliens de tous les temps, alors même qu’il s’agit du premier long-métrage de fiction de Mendonça Filho. Les Bruits de Recife cumule aujourd’hui 125 000 entrées, score très rare pour un film indépendant au budget de sortie limité.


Présentation des films et animation des débats avec le public : Bruno Precioso et Josiane Scoleri

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