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Mille Mois

Dimanche 6 mai - 16h - Mercury
Publié le dimanche 6 mai 2007.


de Faoudi Benzaïdi

Maroc, 2003, 124’

avec Nezha Rahil, Mohamed Majd, Fouad Labied

"Mille mois", le premier film de Faouzi Bensaidi est un film mosaïque. Mille éclats de vie, mille fragments d’histoires, quelque chose qui en peinture s’apparenterait sans doute au pointillisme. L’image qui s’en dégage n’en est pas moins vive et nous y entrons de plein pied tout de suite. Mais il ne s’agit pas pour autant à proprement parler d’un film choral. (nous sommes loin de la virtuosité d’un Altman dans "Short Cuts" par exemple). Mehdi, petit garçon rêveur et attachant, en est bien l’élément essentiel et c’est d’abord lui que nous allons suivre au gré de ses déambulations. Mais tous les acteurs-clés du village (l’instituteur, le caïd, la jeune fille émancipée, le fou, etc.) et de la famille (la mère et le grand-père) sont là, bien présents, chacun avec sa personnalité, son histoire et son mystère. Car ce film n’est pas non plus un documentaire. Il nous révèle sans doute bien des choses sur la vie d’un petit village de l’Atlas marocain au début des années 80 (nous sommes encore sous le règne d’Hassan II), mais il serait à mon avis complètement réducteur de n’y voir qu’une évocation sociologique agrémentée de magnifiques paysages. Faouzi Bensaïdi réussit à mêler tous ces ingrédients avec de subtiles variations de dosage. Il fait ainsi vivre ses personnages sous nous yeux et nous fait passer, comme dans la vie, du rire aux larmes, de la contemplation à l’indignation, de la jubilation à l’abattement.

Le film se place à un moment - clé de la vie de Mehdi : non seulement sa première journée de jeûne, le premier point de passage vers l’âge adulte, mais surtout son arrivée dans le village du grand-père, avec une nouvelle vie marquée par l’absence du père. Car Mille mois est aussi un film sur l’absence et son corollaire l’attente.

Souvent, nous ne savons pas ce que les personnages attendent ou nous ne le savons qu’a posteriori. Et le hors-champ acquiert ainsi une importance toute particulière. (par exemple, la première scène, le lever de la lune et le début du Ramadan). Faouzi Bensaïdi joue ainsi avec notre curiosité, notre étonnement voire notre incompréhension et nous amarre solidement à son histoire. La caméra bouge peu et sait très bien utiliser les plans larges. Ces paysages immenses et arides de l’Atlas où l’homme ressent tous les jours à quel point il n’est qu’un grain de poussière dans l’univers. A plusieurs reprises, nous ne savons pas vraiment quels sont les personnages qui sont dans le champ, tellement ils sont loin, minuscules dans un environnement implacable qui les dépasse. Nous n’apprenons "le fin mot de l’histoire" qu’après coup (cf. la mort de Malika où nous sommes d’abord confrontés à son enterrement avant de savoir ce qui s’est passé).

De manière générale, la caméra est plutôt distante : très peu de gros plans, d’autant plus saisissants. La caméra laisse de l’espace autour des personnages, nous oblige à enregistrer tout ce qui se trouve dans le cadre, alors que dans le même temps, la bande son privilégie les bruits de la vie quotidienne : le chant des oiseaux, les cris des enfants, les chants religieux, le bruit des pas, les coups de tonnerre, le grésillement d’une télé mal réglée, etc. La musique est pratiquement absente et n’a droit de cité que si elle fait partie de l’environnement et en découle elle aussi sans artifice. (une chanson de Kate Bush en l’occurrence et l’Occident s’invite dans le champ). Cette dimension sonore contribue autant que l’image à rendre présent, je dirais même prégnant, le monde qui se déroule sous nos yeux Un monde à la croisée des chemins entre tradition et modernité, fait de contrastes et de contradictions qui traversent à la fois chacun des individus et la société tout entière. La mise en scène reflète ainsi directement la fragmentation du tissu social alors que le village peut de prime abord donner l’impression de fonctionner en vase clos. C’est grâce à ces "mille" détails que Faouzi Bensaïdi rend compte de toute la complexité des choses. Il est en effet remarquable de constater que sont ainsi évoqués la répression des opposants politiques (le père est en prison), la hiérarchie dans la communauté (le caïd et ses privilèges, les prérogatives de l’instituteur), la place de la religion (le film se déroule pendant le Ramadan), la condition des femmes (les personnages de la mère, de Malika et de Saddia), les différences entre les générations, le clivage ville/campagne, et bien d’autres aspects encore qui sont chacun déclinés sur une note différente. Car c’est en effet l’autre grande qualité de Faouzi Bensaïdi : cette capacité à manier les émotions comme autant de secousses, de la plus imperceptible à la plus puissante, comme on parle de secousses sismiques sur une échelle de Richter. Pas de misérabilisme même si la vie est dure, pas de nostalgie passéiste, ni de credo en une supposée modernité, aucune trace de sentimentalisme : la solitude de la mère est abordée avec pudeur, celle de l’instituteur avec humour. Et la noce finale se place plutôt dans le registre burlesque (certains critiques allant même jusqu’à avancer le nom de Kusturica !!) et fait basculer le film dans un tout autre registre.

Les puristes trouveront sans doute à redire : film touffu où le réalisateur a voulu caser trop de choses — comme c’est souvent le cas dans un premier film — et où le spectateur risque de se perdre. Un film dense plutôt, porté par un grand désir de cinéma et qui se plaît à jouer avec le kaléidoscope de la réalité. D’ailleurs, le deuxième film de Faouzi Bensaidi s’appelle « What a wonderful world WWW ».

Josiane Scoleri

Le film sera précédé d’une présentation et suivi d’un débat avec le public.

Présentation et Animation : Josiane Scoléri