Accueil du site - Séances-débats

Yaaba

Vendredi 14 novembre 2008 - 20h30 - Mercury
Publié le vendredi 14 novembre 2008.


de Idrissa Ouedraogo

1h30, com dram., 1989

Avec Fatimata Sanga, Noufou Ouedraogo, Roukietou Barry

France-Suisse, 1989, cl, vostf, 1h30
Scénario et Réalisation : Idrissa OUEDRAOGO
Image : Matthias Kälin
Montage : Loredana Cristelli
Musique originale : Francis Bebey
Costumes : Mariam Sidibé
Avec : Fatimata Sanga, Noufou Ouedraogo, Roukietou Barry, Adama Ouedraogo

Image Hosted by ImageShack.usImage Hosted by ImageShack.us

Vendeur de beignet devant "La Porte du Non Retour" (© Lionel Pupin) - Lagos, un jour ordinaire

A travers l’amitie que porte le jeune Bila a une vieille femme abandonnee et rejetee, Idrissa Ouedraogo retrace l’histoire et les moeurs d’un village du Burkina Faso.

Avec ce cycle consacré aux cinémas d’Afrique (au pluriel), Cinéma Sans Frontières étend enfin sa programmation à l’Afrique Noire. Il était temps. Le simple fait que le continent africain ait été absent de nos cinq premières années d’existence montre bien les difficultés auxquelles se heurtent les réalisateurs y compris les plus prestigieux qui sont à l’honneur dans les festivals internationaux.

Mais, entendons-nous bien : notre ambition n’est pas de présenter un panorama du « cinéma africain » ni de faire un tour d’horizon rapide du plus grand nombre de pays possible. A Cinéma sans Frontières, nous ne croyons pas à la représentativité de la formule « Un film, Un pays ». Nous avons tendance à penser qu’une œuvre est avant tout le reflet du monde intérieur de son auteur. Cela vaut pour tous les arts et pour toutes les latitudes. Et donc, ipso facto, pour le cinéma et les cinéastes du monde entier.
Nous avons donc plutôt souhaité rendre hommage à quelques grands cinéastes africains dont les films sont souvent méconnus, très peu distribués (y compris en Afrique) et qui continuent à se battre pour que le cinéma existe dans leur pays, pour faire reconnaître sa place et sa fonction en tant qu’expression artistique, y compris dans les sociétés les plus pauvres. Car aujourd’hui comme du temps de Lascaux, l’art est indispensable à la société des hommes. Il n’est pas, comme on aurait quelquefois tendance à le croire dans nos sociétés repues, un joujou - voire un gadget - lié à l’opulence. Il est essentiel à fabrication du lien social. Et de ce côté-là, les plus mal lotis ne sont pas forcément ceux qu’on croit...
Notre sélection ne sera donc ni chronologique, ni géographique. Et il pourra arriver qu’un pays ou un cinéaste soit représenté à plusieurs reprises. Le seul critère, comme toujours à Cinéma sans Frontières, sera celui de l’excellence cinématographique et dans la mesure de la disponibilité des oeuvres, de la plus grande diversité possible dans la forme et le contenu.
À vous de nous dire en fin de parcours, si nous avons atteint notre objectif.

Image Hosted by ImageShack.us

Idrissa Ouedraogo

Avec « YAABA » de Idrissa Ouedraogo, nous entrons de plein pied dans l’Afrique des contes et de la palabre telle qu’elle existe souvent dans nos représentations mentales. Certains ont d’ailleurs reproché au réalisateur de nous présenter une Afrique de carte postale. Un village qui semble hors du temps, les hommes et les femmes qui vaquent à leurs occupations et les enfants tout à leurs jeux. Les querelles, les histoires de famille, les rivalités. Les préjugés, la superstition et le poids de la tradition. Tous les ingrédients semblent réunis pour nous conter une bluette « à l’africaine ». Mais si Ouedraogo a pris la peine de retourner dans sa région d’origine pour filmer un village « lambda » du Sud du Burkina-Faso, c’est bien pour nous parler malgré tout de l’Afrique telle qu’elle existe encore aujourd’hui dans les campagnes, tout autant que dans les mégalopoles tentaculaires. La modernité, c’est justement les deux ensemble. C’est à dire qu’il faut, je crois, éviter de s’arrêter à l’apparente limpidité du propos et de la forme. Et de fait, la substance même du film tient dans cet aller -retour incessant entre conte et réalité, fable et mythe, anecdote et tragédie, tradition et modernité, foi et croyance, convenance sociale et conscience personnelle... La liste est longue et nous montre bien qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. Car c’est bien dans le microcosme du village que tout se noue. Les rapports hommes/femmes, la transmission d’une génération à l’autre, le statut social, le formatage des idées et du regard, etc.

Ce qui rend, d’après moi, le film de Ouedraogo intéressant, c’est que pour nous parler de ces sujets lourds de sens, le réalisateur a pris le parti de la plus grande simplicité possible. Peu de mouvements de caméras pour dire l’infini de la brousse africaine qui est là sous le pendant infini du ciel. Une mise en scène dépouillée qui laisse « naturellement » s’avancer les éléments sur le devant de la scène. Avant tout bien sûr la terre et l’eau, synonymes à la fois de la vie et du dur labeur des hommes. Ouedraogo ne se contente pas de planter le décor, il ne s’en sert pas non plus pour faire dans le reportage plus ou moins ethnographique. Il nous signifie l’essentiel : l’indissoluble lien entre l’homme et son environnement. Nous comprenons dès lors que la « carte postale » n’a rien à faire ici. On le perçoit tout autant dans la manière dont Ouedraogo filme ses personnages. Avec la même sobriété, le même classicisme qui donne sa noblesse au film. Sans effets. Sans apprêts. Les allers et retours de Bila entre le village (autrement dit la famille, la société, les codes établis, le monde connu) et l’extérieur (l’au-delà des limites balisées, la maison de Sana, l’inconnu, le danger, les plaisirs interdits) rythment le film et matérialisent le questionnement qui sous-tend le récit : le groupe peut-il se tromper ? L’individu, peut-il /doit-il, grâce à sa conscience, s’opposer à la doxa ? ( la loi du père, des ancêtres, de la continuité historique, du conformisme social...). C’est là qu’on s’aperçoit que chacune des scènes du village aborde un aspect nouveau et nous oblige à approfondir la réflexion grâce, entre autres, au regard que Bila et Nopoko posent sur les adultes. Car ces enfants sont encore suffisamment enfants et donc relativement libres de leur temps, de leurs mouvements etc. et en même temps suffisamment mûrs pour que rien ne leur échappe des contradictions du monde des adultes. Du coup, le personnage de l’ivrogne ou celui de sa femme volage, loin d’être anecdotiques, portent eux aussi cette dimension tragique de l’individu face au groupe, du choix de vie de chacun face à la norme imposée par la société. Les rapports des femmes entre elles disent leur place dans la société, leur aliénation, leur plus ou moins grande acceptation de cette aliénation.

Image Hosted by ImageShack.us

Le chaman charlatan, le faux aveugle, le père autoritaire et l’oncle en attente de se marier, tous nous parlent de cette architecture sociale dont nous sommes à la fois artisan et prisonnier. Mais de ce point de vue, le personnage le plus emblématique est bien celui qui donne son titre au film. « Yaaba ». La vieille femme intouchable, exilée à l’orée du village, la sorcière bouc-émissaire. Sana, droite comme un I malgré l’opprobre généralisé et l’ostracisme dont elle est victime. Ouedraogo la filme avec cette dignité, cette retenue qui exclut la moindre trace de sentimentalisme. Elle aussi traverse en permanence le champ, son rythme imperturbable nous dit l’opiniâtreté de son combat et la pérennité des valeurs qu’elle représente. Surtout, malgré son bannissement, c’est elle qui est en contact avec l’extérieur et les véritables ressources qui apporteront le salut. À savoir, non seulement la guérison de Nopoko, mais l’ouverture à celui qui vient d’ailleurs en ami, et cette règle de vie qui servira de talisman aux enfants : Ne pas juger l’autre. Il ou elle a sans doute ses raisons.

« Yaaba », une histoire africaine. Une leçon de vie universelle.

Josiane Scoleri

Image Hosted by ImageShack.us

Le film sera précédé d’une présentation et suivi d’un débat.