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Still Walking

Samedi 06 Juin 2009 - 20h 30 - Cinéma Mercury
Publié le lundi 1er juin 2009.


Une journée d’été à Yokohama. Une famille se retrouve pour commémorer la mort tragique du frère aîné, décédé quinze ans plus tôt en tentant de sauver un enfant de la noyade. Rien n’a bougé dans la spacieuse maison des parents, réconfortante comme le festin préparé par la mère pour ses enfants et ses petits-enfants. Mais pourtant, au fil des ans, chacun a imperceptiblement changé... Avec un soupçon d’humour, de chagrin et de mélancolie, Kore-Eda nous donne à voir une famille comme toutes les autres, unie par l’amour, les ressentiments et les secrets.

Filmde Hirokazu KORE-EDA - Japon - 2008 - 1h55 - vostf

Une oeuvre forte et magnifique, pleine d’humanité par le réalisateur de After Life (élu meilleur film du festival CSF 2009) et Nobody Knows. Kore-eda s’affirme comme le véritable héritier de Ozu et Naruse.

Hirokazu Kore-Eda est un poète et un grand cinéaste. Peut-être le plus grand aujourd’hui au Japon. On en eut l’intuition dès son premier film, le poignant Maborosi (1995). On y suivait le parcours d’une jeune femme dont la grand-mère avait soudainement – et littéralement - disparu et dont le mari, écrasé par un train avait laissé derrière lui la lancinante question : suicide ou pas ? Tout le film était centré sur la – très – lente reconstruction de la jeune femme, la façon dont elle pourrait apprendre à (re)vivre et à laisser les morts derrière elle. L’infini délicatesse du traitement, l’œil très sûr pour des compositions tirées au cordeau et une photographie magnifique avaient fortement impressionné. Une filiation avec l’immense Yasujiro Ozu avait aussi été évoquée.

Maborosi (1996)

Trois ans plus tard – avec entre-temps un documentaire, Without Memory (96) qui montrait bien où se situait les centres d’intérêt du cinéaste (sous influence de la perte de son grand-père victime de la maladie d’Alzheimer alors que Hirokazu n’avait que six ans) – le cinéaste enfonçait le clou avec le brillantissime After Life, présenté au Festival 2009 de CSF consacré au thème des Frontières. Ici, frontière – et passage – entre Vie et Mort, entre souvenir et oubli. Un chef d’œuvre, élu par les spectateurs meilleur film de notre festival.

Les films traitant de la Mort se révèlent souvent et au choix ennuyeux, insupportables de mièvrerie et de kitsch dégoulinant, quand ils ne sont pas carrément prétexte à une multitude d’effets spéciaux tous plus laids ou emphatiques les uns que les autres ou bien encore générateurs d’une sorte de sur-morbidité hyper plombante ne laissant qu’envies de suicide aux spectateurs les mieux intentionnés ! Tous les cinéastes n’ont pas le talent d’un Bergman. Mais pour Kore-Eda, centrer tous ses films autour de ce sujet semble une démarche des plus naturelles. Le cinéaste tokyoïte (47 ans) n’aborde jamais deux de ses films de la même manière – même si l’on y retrouve systématiquement le poids du souvenir et des non-dits – faisant davantage appel à la technique des variations sur un même thème, plutôt qu’à une simple déclinaison répétitive. Les problématiques religieuses ou métaphysiques sont évacuées. A aucun moment, le nom de Dieu n’y est prononcé. La mort est laïque jusqu’au bout des ongles. Et l’émotion soudaine et incontrôlée de la mère âgée de Still Walking à la vue d’un papillon, persuadée d’y voir la réincarnation d’un cher disparu n’en est que plus dérangeante.

After Life (1999)

Retenue et pudeur sont les maîtres mots du style cinématographiques de Kore-Eda. Auteur complet de ses films – il en signe les scenarii et en assure les montages – le réalisateur a parfaitement retenu les leçons de ses maîtres, Ozu, déjà évoqué mais aussi - surtout pour Still Walking - Mikio Naruse. C’est au sentiment si japonais du mono no aware - sereine mélancolie qui contamine le spectateur et le rend dans un état proche du bonheur à la sortie, apaisé - qu’il baigne ses films.

Distance (2001)

After Life fut suivi de Distance, encore un film sur la mémoire mais aussi le pardon (2001). Hirokazu Kore-eda trouvait une sorte de reconnaissance sous la forme d’une sélection pour la compétition officielle du Festival de Cannes. Encore et toujours la Mort, via les conséquences meurtrières de la secte Aum. Tournant résolument le dos à tout discours moralisant ou manichéen, Kore-Eda nous plaçait en observateurs d’un groupe venu se recueillir à l’endroit où avaient péri leurs amis ou parents, victimes d’un suicide collectif au sein d’une secte. Leur rencontre et confrontation avec l’un des rescapés de cette secte élevait le film à un haut degré de réflexion humaine et philosophique.

Trois ans plus tard, le cinéaste était de retour sur la Croisette où il créait l’un des événements majeurs de la dernière édition avec et surtout son oeuvre coup de poing Nobody Knows (2004). Le premier intérêt du film, sur un plan scénaristique, était de nous montrer le long et lent processus menant à la perte. Un point en faveur duquel la lenteur jouait pleinement son rôle puisque grâce à elle le spectateur avait l’impression de suivre au quotidien l’impitoyable descente en enfer de jeunes enfants.
Pour illustrer son histoire (adaptée de faits réels), Hirokazu Kore-eda devait se garder de trois pièges : sentimentalisme, démonstration et misérabilisme. Non seulement il les évitait mais il ne s’en approchait même pas. Toute sa mise en scène reposait sur une énorme pudeur et un style "cinéma vérité" où simplicité rimait avec perfection. On retrouvait ici les qualités purement cinématographiques déjà mises en lumière dans ses films précédents,.en particulier cette maîtrise des plans rapprochés ou gros plans signifiants d’objets, d’une main, d’une tâche de vernis à ongle ressemblant trop à du sang et qui finirait par ne plus laisser qu’une ombre de regret : celle de la mère.
Cette oeuvre de la maturité s’avèrait le film le plus facile d’accès de tous ceux de son auteur et dégageait une émotion d’autant plus intense qu’elle s’imposait peu à peu, comme une évidence.
Si Nobody Knows nous parlait si fort, c’est que sous sa surface très japonaise, il renfermait un vrai universalisme. Cette histoire aurait aussi bien pu se passer à Londres, New York ou Nice qu’à Tokyo.

Nobody Knows (2004)

Contre-pied inattendu, Kore-Eda livrait ensuite une comédie légère en costumes, Hana (2006) toujours inédit en France à ce jour. L’histoire d’un jeune loser, samouraï maladroit et amoureux cherchant à venger la mémoire et l’honneur de son père. Bien que radicalement différent, on retrouve dans ce film les inévitables thèmes de la mort et du souvenir ainsi que le traitement visuel, où l’extrême attention apportée à la composition du cadre ne se confond jamais avec maniérisme.

Avec Still Walking, Kore-Eda nous offre une oeuvre du niveau de After Life et Nobody Knows. Une histoire de famille qui renvoie aux noms déjà cités plus haut – Ozu, Naruse, Bergman. Plus que jamais, l’information nous est distillée au compte-gouttes, ellipses et décalages provoquant une sorte de report de celle-ci, d’acquisition différée de la part du spectateur qui reconstitue, morceau par morceau, non seulement l’histoire dont il est question et le passé qui la soutient mais aussi les véritables portraits de chaque personnage. Ces derniers sont passionnants car, au-delà du peu qui nous en ait dit, leur vérité complexe se met patiemment au net à nos yeux. Le père, la mère, la sœur, l’épouse précédemment veuve, le beau-frère et les divers personnages hors famille – très importants – qui entourent Ryota, le fils, changent au fur et à mesure de ces petites et grandes révélations. Tout cela très souvent via le regard scrutateur et enfantin du jeune Atsushi, beau-fils de Ryota.

Still Walking (2008)

Still Walking est un film d’un intelligence très subtile, d’une suprême élégance dans son traitement cinématographique et se trouve servi par une interprétation générale parfaite. Avec ce film, Hirokazu Kore-Eda s’affirme une fois encore comme le plus talentueux des cinéastes nippons du moment.

Philippe Serve

La séance est précédée d’une présentation et suivie d’un débat avec le public.
Animation : Philippe Serve

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats : La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents, chômeurs).

Adhésion : 20 € pour un an (365 jours) - 15 € pour les étudiants. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club :
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Contact mail CSF : cinemasansfrontieres@free.fr
Contact téléphonique CSF : 04 93 52 31 29 / 06 64 88 58 15
Contact téléphonique Mercury : 08 92 68 81 06 / 04 93 55 37 81.