Accueil du site - Séances-débats

VENDREDI 13 MARS 2015 - TIMBUKTU

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le lundi 2 mars 2015.


Abderrahmane Sissako

France/Mauritanie - 2014 - 1h37 - vostf

En partenariat avec Amnesty International dans le cadre du Festival "Au coeur des droits humains".

Non loin de Tombouctou tombée sous le joug des extrémistes religieux, Kidane mène une vie simple et paisible dans les dunes, entouré de sa femme Satima, sa fille Toya et de Issan, son petit berger âgé de 12 ans. En ville, les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur des djihadistes qui ont pris en otage leur foi. Fini la musique et les rires, les cigarettes et même le football… Les femmes sont devenues des ombres qui tentent de résister avec dignité. Des tribunaux improvisés rendent chaque jour leurs sentences absurdes et tragiques. Kidane et les siens semblent un temps épargnés par le chaos de Tombouctou. Mais leur destin bascule le jour où Kidane tue accidentellement Amadou le pêcheur qui s’en est pris à GPS, sa vache préférée. Il doit alors faire face aux nouvelles lois de ces occupants venus d’ailleurs…

Article de Bruno Precioso :

« Le 29 juillet 2012 à Aguelhok, une petite ville au nord du Mali, alors que plus de la moitié du pays est occupée par des hommes dont la plupart sont venus d’ailleurs s’est produit dans l’indifférence quasi totale des médias et du monde un crime innommable. Un couple d’une trentaine d’années qui a eu le bonheur de faire deux enfants a été lapidé jusqu’à la mort. Leur crime : ils n’étaient pas mariés. La scène de leur mise à mort, diffusée sur internet par les commanditaires, est horrible. La femme meurt au premier coup de pierre reçu, et l’homme émet un cri rauque, puis un silence. Peu de temps après, ils seront déterrés pour être enterrés plus loin. Aguelhok n’est ni Damas ni Téhéran. Alors on ne dit rien. Ce que j’écris est insupportable, je le sais. Je ne cherche aucunement à émouvoir pour promouvoir un film. Et, puisque maintenant je le sais, je dois raconter dans l’espoir qu’aucun enfant ne puisse apprendre plus tard que leurs parents peuvent mourir parce qu’ils s’aiment. » C’est par ces mots qu’Abderrahmane Sissako, interrogé lors du festival de Cannes où il est venu présenter son film à peine achevé, explique sa motivation pour reprendre la caméra. Du film qui naît dans cette urgence, on a déjà beaucoup parlé et à peu près tout dit, loué, contesté, célébré et regretté, de ses beautés et de ses insuffisances ; le film a été oublié à Cannes, couvert d’honneurs à la cérémonie des Césars en février 2015, finalement dépassé d’une courte tête aux Oscars le lendemain, 22 février. N’importe. Timbuktu avait déjà créé l’exploit en devenant le premier film africain sélectionné pour l’Oscar du meilleur film étranger. Depuis, il semble de bon ton d’en parler du bout des lèvres, certains considérant le succès du film comme de pure circonstance. Il a d’ailleurs été boudé au FESPACO à Ouagadougou (7 mars 2015) qui ne lui a attribué que deux récompenses mineures, et une polémique un peu surréaliste est apparue – qui semble ne pas prendre véritablement – pour attaquer la personne d’Abderrahmane Sissako (article de Nicolas Beau).

Un cinéaste

On peut, avec le journaliste de RFI S. Forster, se demander pourquoi Sissako et son film suscitent tant de haine et d’aigreur… Abderrahmane Sissako est un nomade du cinéma, de là peut-être lui vient une sympathie inconsciente pour les touareg impliqués dans le conflit du Nord-Mali sur lequel il construit son 4ème long-métrage. Né en Mauritanie en 1961, sa famille émigre l’année suivante au Mali où il est scolarisé ; Sissako fait un bref retour en Mauritanie en 1980 (qui lui inspirera en 2002 En attendant le bonheur) mais c’est à Moscou qu’il se rend à 20 ans pour se former au VGIK (Institut Fédéral d’Etat du Cinéma soviétique). Son film de fin d’études (Le jeu, 1989) fait déjà la part belle au désert africain – même s’il est en réalité tourné au Turkménistan. Ce parcours ressemble à celui de la plupart des cinéastes africains de la région depuis l’après-guerre, de Souleymane Cissé à Ousmane Sembène, qui se formèrent en Union Soviétique. Abderrahmane Sissako partage ensuite sa vie et son travail entre le Mali, la Mauritanie et la France à partir de 1994.

A cela s’ajoute le contexte international, sur fond de tensions sino-soviétiques, avec l’engagement officiel de l’armée américaine dans la guerre terrestre au Sud Vietnam (185.000 hommes mobilisés en octobre 1965).

La conjuration des adversaires génère donc le pogrom géant lancé le 8 octobre 1965, à Jakarta d’abord, dans tout le pays ensuite. La Chine, seul pays susceptible d’intervenir, est isolée et ses ressortissants pourchassés, le Time se réjouit de la situation voyant là « the West’s best news for years in Asia » sur fond de spectre d’escalade au Vietnam… Seul Robert Kennedy, exclu du pouvoir, dénonça en janvier 1966 un « inhuman slaughter in Indonesia ». L’armée de terre participe aux massacres, encadre les milices populaires, libère des criminels de droit commun contre leur engagement dans les pogroms, mais en profite surtout pour renverser le gouvernement Sukarno et placer à la tête du pays le général Suharto qui restera en place jusqu’en mai 1998 – et dont les réseaux non seulement dans l’armée mais dans les médias et le monde économique sont encore largement dominants en Indonésie aujourd’hui. A titre d’exemple, le dirigeant de la NU, principal parti musulman du pays et responsable de massacres de masse en 1965-66 était Wahid Hasjim, dont le fils Abdurrahman Wahid devint président de l’Indonésie en 1999 après la démission de Suharto. Les massacres se déroulent dans un cadre paradoxal, les victimes étant parfois de circonstance. Aux communistes, les musulmans radicaux de la NU ajouteront çà ou là leurs concurrents modérés du PNI, voire les foyers bouddhistes résiduels à Java ; dans certaines îles, des divisions de l’armée très anti-communistes mais ayant combattu les séparatistes musulmans empêcheront les milices islamistes d’agir, limitant le nombre de victimes… L’armée prêta la main, mais l’essentiel des massacres fut le fait de milices populaires musulmanes qui ne firent pas de distinction entre les militants communistes et leurs familles, voire leurs villages. A Java en particulier, les responsables des pires exactions sont les para-commandos et des gangsters recrutés pour l’occasion. L’ensemble des massacres a été assumé par le nouveau régime, les corps mutilés faisant partie d’une propagande propre à terroriser les opposants résiduels ; le régime de Suharto a par ailleurs poursuivi les massacres ponctuellement sous forme de rafles-exécutions (8000 en 3 semaines de 1969 au centre de Java), d’escadrons de la mort, d’enlèvements de leaders politiques, de génocide à Timor à partir de 1975. L’ « ordre nouveau » suhartien a été établi sur l’irrationnel de ces tueries, mais aussi et surtout sur des lâchetés et des complicités à tous les niveaux de l’Etat et de la société dont il est difficile de sortir aujourd’hui, ce que donne à voir le film d’Oppenheimer.

Film de non-fiction et « passeur cinématographique » (Serge Daney)

The act of killing nous invite donc à une plongée dans la mémoire de cette société refoulant avec plus ou moins de mauvaise conscience un crime de masse. C’est ce que laisse transpirer en hors-champ une pesanteur constante au présent de cette « violence légitime » qui s’applique aux survivants, aux descendants des victimes encore terrorisés, mais aussi à tout un peuple de migrants rackettés, de travailleurs exploités que le film permet d’apercevoir sous un masque hilare et effrayant. En effet, la situation empêchant de donner la parole aux victimes, Oppenheimer choisit une forme hybride, entre comédie musicale kitsch, film de fantômes indonésien et making-of d’un film-gore hollywoodien à grand spectacle – revendiqué d’ailleurs par les gangsters-acteurs, conscients de jouer un spectacle. C’est de cette tribune offerte à des assassins décomplexés que naît le malaise assumé par le réalisateur, pariant que leur vanité les dévoilera mieux que tout jugement. On a souvent rapproché depuis sa sortie le film d’Oppenheimer du S21 de Rithy-Panh ; c’est plutôt l’ombre du Amin-Dada de Barbet-Schroeder qui plane sur le film jusqu’au bout ou presque – le parti-pris final de The act of killing mettant peut-être un terme au dispositif, par le choix d’une situation limite qui décale l’objet cinématographique. Plus que la question de la banalité du mal ou plutôt de l’absolue humanité du criminel que poursuit bien entendu Oppenheimer, c’est en effet la posture du cinéma documentaire qu’il interroge. Le film au fond ne cesse de mettre en abyme : le spectaculaire, la culpabilité d’acteurs vieillissants revivant leur jeunesse, le réalisateur poussant les assassins à se (re)mettre en scène… Affirmant ne pas choisir entre documentaire et fiction, Oppenheimer dit faire un film de « non-fiction » permettant de rendre visible chez ses acteurs un processus d’auto-construction, de soi et de son monde. Film manipulatoire à coup sûr, revendiqué comme tel, dont la mise en scène se donne à voir comme le sujet réel d’un film étrange et très discuté.

Si Timbuktu est une fiction, l’inspiration du réalisateur, Abderrahmane Sissako, vient de faits réels. En juillet 2012, dans la petite ville d’Aguelhok au Mali, un couple d’une trentaine d’années est placé dans deux trous creusés dans le sol en place publique, puis lapidé. Dans ce village contrôlé par des hommes, leur unique faute a été d’avoir eu des enfants hors mariage. Ce n’est pas tout, puisque l’histoire de l’homme qui est racontée dans le film, est inspirée de l’exécution d’un Touareg sur la Place de Tombouctou. Choqué par la lapidation publique de ce couple et l’absence totale de médiatisation la concernant, Abderrahmane Sissako a décidé de faire Timbuktu. "(…) maintenant je le sais, je dois raconter dans l’espoir qu’aucun enfant ne puisse apprendre plus tard que leurs parents peuvent mourir parce qu’ils s’aiment", explique-t-il.

Le film, qui est sensé se situer à Tombouctou, a été tourné près de la frontière malienne, à l’extrême Est de la Mauritanie, dans un village hautement sécurisé. Avant le début du tournage, le réalisateur Abderrahmane Sissako avait effectué des repérages dans la ville de Tombouctou, mais malheureusement entre-temps un attentat-suicide s’est produit sur la place principale. Le lieu étant devenu trop dangereux, le cinéaste a préféré déplacer le tournage en Mauritanie. Le tournage s’est déroulé en partie dans la ville mauritanienne de Oualata, qui est très ressemblante à celle de Tombouctou. Pour que le tournage se déroule dans de bonnes conditions, l’équipe technique et les acteurs étaient protégés par l’armée mauritanienne, ainsi que par l’Etat de Mauritanie qui s’est beaucoup impliqué dans cette sécurité.

Pour la scène de la lapidation du couple, Abderrahmane Sissako avait tout d’abord pensé à la réaliser à l’aide d’images animées, pour pouvoir créer une distance et éviter qu’elle soit trop violente, comme avait pu le faire Quentin Tarantino dans le premier volume des Kill Bill en 2003. Finalement, pour Timbuktu, le cinéaste a choisi de filmer de véritables acteurs lors de cette séquence.

Pour rassurer les producteurs, Abderrahmane Sissako a annoncé que son projet de film était un documentaire, car cela coûte beaucoup moins cher à la production, alors qu’en réalité il s’agissait d’une fiction. Le réalisateur s’est tourné vers ce type de long-métrage car il souhaitait avoir davantage de liberté de création.

Trois comédiens ont été choisis au dernier moment pour le tournage. Le metteur en scène s’est aperçu que l’acteur qui devait interpréter le juge ne correspondait pas au rôle, c’est pourquoi il demanda au régisseur du film d’enfiler son costume et de passer devant la caméra, ce que le technicien fit sans hésiter. Puis, ce fut le tour de l’interprète du pêcheur qui ne plaisait pas au cinéaste. C’est finalement un piroguier qui passait par là qui a été intégré au casting. Enfin, même façon de faire pour le casting de la petite fille prénommée Toya. Celle-ci devait avoir 3 ans d’après le scénario, mais lors de la venue du réalisateur sur le lieu du casting, une jeune fille de 12 ans ne le quittait plus d’une semelle. C’est de cette manière que le rôle lui a été attribué. Deux comédiens ont été sélectionnés à l’étranger pour Timbuktu. Pour le rôle du Touareg c’est Ibrahim Ahmed dit Pino, un musicien habitant Madrid qui a été choisi sans passer d’essai, puis, le personnage de la femme du Touareg a été attribué à Toulou Kiki, une chanteuse repérée à Montreuil. Le personnage de Zabou dans Timbuktu existe dans la réalité. Cette ancienne danseuse du crazy-horse qui exerçait ce métier durant les années 60 est la seule femme qui, au milieu des djihadistes, possède des droits que les autres femmes n’ont pas. Le réalisateur précise : "Elle s’habille comme dans le film, elle a toujours un coq sur l’épaule et elle parle très bien français. Quand les djihadistes étaient à Gao, c’était la seule qui pouvait marcher sans se couvrir la tête, la seule qui pouvait chanter, danser, fumer, et leur dire qu’ils étaient « des connards ». Autrement dit : l’interdit est permis quand la personne est folle."

Timbuktu a été présenté en Compétition au Festival de Cannes 2014. Ce fut le seul long-métrage africain en compétition, qui reçut la distinction du Prix du jury œcuménique et du Prix François-Chalais. Le long métrage a également été présenté au Festival du film de Sydney 2014, ainsi qu’à celui de Toronto. Il a été sélectionné dans la catégorie "Meilleur film en langue étrangère" pour les Oscars 2015. C’est la première fois que la Mauritanie est représentée lors de cette célèbre cérémonie.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club :
http://cinemasansfrontieres.free.fr
[https://www.facebook.com/cinemasansfrontieres ?ref=bookmarks]
Contact mail CSF : cinemasansfrontieres@hotmail.fr
Contact téléphonique CSF : 06 72 36 58 57/04 93 26 54 46