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CAPITALISM : A LOVE STORY

Vendredi 08 janvier 2010 - 20h 30 - Cinéma Mercury - Nice
Publié le lundi 11 janvier 2010.


Film documentaire (Etats-Unis) de Michael MOORE - 2009 - vostf - 2h06

LA MOORE STORY

par Philippe Serve

Décapant, démago, militant, propagandiste, incontournable, têtu, borné, nécessaire, inutile, pédagogue, manipulateur… Tout et son contraire ont été dit depuis vingt ans au sujet du plus célèbre trublion du cinéma – et même de la société – américaine : Michael Moore.

En 1989, l’homme de Flint, Michigan – il y est né en 1954 – réalisait son premier documentaire, Roger & Me (Roger et Moi) sur les catastrophiques plans sociaux dans sa ville natale de la General Motors qui y avait son siège, avec pour conséquence 30 000 pertes d’emplois. Peu sans doute se souviennent du titre complet du film : Roger et moi, ou Un regard humoristique sur comment la General Motors a détruit Flint, Michigan. Toute la démarche de Michael Moore y est expliqué : un regard, soit une vision personnelle, subjective, loin de toute volonté objective, journalistique. Un documentaire, pas un reportage. Et le réalisateur nous prévenait d’entrée : cette vision se voulait humoristique. Attention cependant à ne pas se tromper. La forme aura beau prendre dans ce film comme dans tous les suivants les chemins de la satire ou parfois du pur sketch comique, le fond de l’affaire demeure toujours diablement sérieux. De film en film, Moore trace le même sillon : celui d’une radioscopie des tares de la société américaine, de ses structures, de son modèle, le fameux American Way of Life que l’homme à la casquette et à l’embonpoint envahissant ne cesse de démythifier.

Dès cette époque, certains commencent à reprocher au cinéaste sa mise en scène au détriment d’une simple énonciation des faits, ainsi que sa propension à occuper lui-même le maximum d’espace à l’écran. Mais c’est justement là la profonde originalité du style Michael Moore. Construire ses documentaires comme de vraies fictions nourries au réel sans pour autant se cacher. Cette façon de faire trouvera son apogée dans ses trois œuvres suivantes. Le talent – le génie, parfois – de Moore réside dans sa façon d’alterner, souvent à l’intérieur d’une même séquence, divers formats : archives d’origines très diverses, extraits de films – jouant souvent le rôle de métaphore ou de parodie, parfaite illustration de ce qu’est un montage parallèle – photos, interviews têtues qu’il mène avec une obstination faussement naïve et même séquences d’animation crées pour l’occasion. Le but est de dévoiler ce qui est caché, de mettre à jour et à nu ce que le spectateur ignore le plus souvent. Notons ici que le reproche souvent asséné par ses contempteurs – « On n’apprend rien qu’on ne savait déjà » - ne s’avère valable que pour ceux qui suivent de près les évolutions économico-financières du monde en général et des Etats-Unis en particulier, c’est-à-dire (et on ne peut que le regretter) une minorité des spectateurs de ses films. Michael Moore ne destine pas ses œuvres aux militants déjà informés et convaincus mais au citoyen qui a appris à avaler les pseudos vérités assénées par les gouvernements en place et leurs zélés serviteurs médiatiques. En cela, le cinéma de Moore est authentiquement populaire et pédagogique.

« Il n’empêche… », se plaignent encore certains – y compris parmi ceux de son camp – « Michael Moore n’hésite pas à tordre parfois le cou à la réalité afin de mieux faire passer son message ». Le reproche, encore peu entendu à la sortie de son deuxième documentaire (The Big One, 97) puis de son troisième sur la « religion » des armes dans son pays (Bowling for Columbine, 2002, Oscar du meilleur doc et Prix du 55ème festival de Cannes), le sera davantage pour sa violente charge anti-George W.Bush, Fahrenheit 9/11 (2004, Palme d’Or cannoise)… surtout après la réélection de ce dernier et comme s’il fallait trouver un bouc émissaire responsable de cette catastrophe. Michael Moore, par l’imperfection et les vraies/fausses outrances de sa propagande anti-Bush aurait ainsi provoqué la victoire de celui-ci ! Ou comment se défausser de ses propres responsabilités… Dans la foulée, son film sur le système de santé aux Etats-Unis (Sicko, 2007) passera presque inaperçu chez nous

Michael Moore n’est pas un homme politique mais un cinéaste – au sens plein du terme – doublé d’un agitateur. Ou un agitateur cinéaste, comme on voudra. Dans un pays – première puissance impériale du monde – où les deux seuls partis politiques aspirant et alternant au pouvoir ne remettent pas en cause le Système malgré leurs différences d’approche sociale ou éthique, la simple existence d’un tel agitateur capable par son talent de remettre la pendule de plusieurs millions de ses compatriotes à l’heure relève presque d’un miracle (Capitalism : A Love Story a été distribué dans près de mille salles aux Usa contre moins de six cents pour Une vérité qui dérange, le film de Davis Guggenheim et Al Gore.)

Chez nous aussi, bien sûr, Michael Moore provoque la polémique au sein même des alter-mondialistes et des anticapitalistes. On lui reproche par exemple de ne jamais prononcer une seule fois le mot socialisme dans son dernier opus, dénonciation du capitalisme. C’est oublier peut-être un peu vite que Moore entend s’adresser en premier lieu à l’ouvrier ou au chômeur de Chicago ou de Detroit comme au paysan du fin fond de l’Arkansas. Voire à la famille Simpson… Et pour tous ces gens là, la simple énonciation du mot socialisme dont on leur a répété depuis des décennies qu’il était lié au Mal, les empêcherait d’écouter ce que le film a à leur dire. Commencer par leur asséner que, non, le Capitalisme n’est ni la panacée universelle garante du bonheur des peuples, ni la fin de l’Histoire, est déjà sacrément osé et révolutionnaire par là-bas. Curieusement, ceux-là mêmes qui fustigent Michael Moore de ne pas porter assez loin les conclusions de son assaut anti-capitaliste sont les mêmes qui s’extasient devant les discours écologistes d’Al Gore là bas, de Nicolas Hulot ici sans s’étonner que ni l’un ni l’autre ne remettent clairement en cause et noir sur blanc le système le plus directement responsable de l’état de notre planète en en citant le nom : Capitalisme…

J’ajouterai que l’on a peu de chance de devenir un vrai socialiste sans avoir au préalable compris les rouages et la logique même du Capitalisme, qu’il soit classique ou accommodé à la sauce néo-libérale. Avant de courir, il faut apprendre à marcher. Et Michael Moore s’est précisément et de toute évidence assigner cette tâche : apprendre à marcher à ses compatriotes en leur expliquant, film après film, les différentes pièces du puzzle. Nous pouvons d’ailleurs nous demander pourquoi personne dans le cinéma français ne tient un rôle à l’identique. Quelqu’un d’assez talentueux et dont la voix porterait fort et loin, qui expliquerait lui / elle aussi comment les réformes assénées en cascades depuis deux ans et demi dans tous les domaines les plus névralgiques de notre société (économie, justice, finance, emploi, éducation, santé, audio-visuel, immigration, etc.) ne sont que des pièces qui, loin d’être isolées, vont constituer à terme un puzzle ayant toutes les chances de se révéler indémontable par la suite et qui prendra peut-être le nom de nouveau capitalisme. Alors, personne ? Amis, entends-tu l’écho du silence dans la plaine ? Certains, soulagés, s’en réjouiront. D’autres, dépités, le regretteront. En attendant et puisque l’époque est à la mondialisation, Michael Moore travaille pour tous. Autrement dit, pour nous aussi.

Philippe Serve

La séance est précédée d’une présentation et suivie d’un débat avec le public.
Animation : Philippe SERVE.

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