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Vendredi 17 décembre 2010 - LA FEMME AUX 5 ELEPHANTS

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le lundi 13 décembre 2010.


Film documentaire de Vadim JENDREYKO

Suisse - Allemagne - 2009 - 1h33 - vostf

par Josiane SCOLERI

«  La femme aux cinq éléphants » est un film étrange à plus d’un titre. D’abord par son sujet premier, la traduction littéraire qui n’a rien a priori de très cinématographique. Voir le traducteur / la traductrice se pencher sur sa feuille, lire et relire son texte, revenir à l’original, lancer les mots à la volée dans la pièce, d’abord dans une langue, puis dans l’autre, un peu à la manière de Flaubert dans son gueuloir, biffer raturer, polir, désespérer, renoncer, s’entêter, faire et défaire, recommencer encore... il semble bien difficile de tenir son public en haleine avec un tel sujet...
Et pourtant.... et pourtant Vadim Jendreyko réussit son pari, avec beaucoup d’humilité en laissant toute la place à sa protagoniste, Svletana Geier à qui il voue, on le sent, une admiration sans borne. Sa caméra accompagne avec tendresse la silhouette fragile de la vieille dame et révèle tout autant la vivacité d’esprit et la force de caractère que l’on devine bien trempée.
Il faut dire que Svetlana Geier n’est pas une personnalité anodine. C’est LA traductrice qui a redonné ses lettres de noblesse à la grande littérature russe en allemand. Elle a dépoussiéré le texte allemand des maniérismes anciens, lui restituant son rythme, sa profondeur philosophique et sa dimension poétique. Ce n’est pas rien.
Elle a traduit aussi bien Tolstoi, Pouchkine,Gogol, Boulgakov ou Soljenitsyne. Elle s’attèle relativement tard dans sa vie à Dostoievski (en 1992, elle a presque 70 ans), et entame son grand œuvre, la traduction des cinq romans majeurs de l’ écrivain ( vous aurez tout de suite reconnu les cinq éléphants du titre).Une vie vouée au texte en quelque sorte, consacrée toute entière à ce rôle de passeur entre les cultures qui définit par essence l’œuvre du traducteur littéraire. Mais avec Svetlana Geier, cette définition prend une acuité et une force peu communes.

Le film s’attache donc à ce moment du travail de Svetlana Geier, et avec Dostoeivskj, ce sont les grandes questions existentielles qui entrent en force dans le film. : la liberté et le libre arbitre, les ressorts de l’action des hommes, la notion de bien et de mal, la nécessité de la dimension spirituelle, etc.... Les héros de Dostoievski, aristocrates ou marginaux, sont des êtres tourmentés, insatisfaits par l’ordre moral et les conventions sociales désespérant de pouvoir les remplacer par quelque chose de plus convaincant, de plus cohérent, de plus noble. La perte de repères pouvant aboutir aux pires excès ( cf Crime et Châtiment, les Frères Karamazov, etc...) dans une quête d’élévation qui s’avère le plus souvent destructrice. Dostoievski qui aura connu lui-même la prison, la déportation, la condamnation à mort et un simulacre d’exécution n’aura de cesse d’interroger la nature humaine, avec comme fil rouge tout au long de son œuvre ce lancinant « qui suis-je ? » voué à rester éternellement sans réponse. Sans l’air d’y toucher, avec légèreté et finesse, le film plonge ainsi dans un étonnant foisonnement métaphysique qu’on ne pouvait soupçonner au départ.
Mais ce n’est pas tout. En effet, le film réussit pleinement à travers la personne même de Svetlana Geier à nous faire toucher du doigt à quel point l’œuvre de Dostoievski résonne fort, longtemps après la mort de l’ écrivain, tout au long de ce terrible XXième siècle qui verra la violence des hommes se déchainer comme peut-être jamais dans l’histoire de l’humanité.

Née en Ukraine en 1923, Svetlana Geier verra sa vie traversée comme un champ de force par les convulsions de l’histoire.( guerre civile, stalinisme, deuxième guerre mondiale, occupation de l’Ukraine par les Nazis, camp de travail en Allemagne). Mille fois au bord du gouffre, coquille de noix dans la tempête, elle saura survivre malgré tout. Elle met en avant les rencontres qui lui ont permis de traverser les épreuves et de s’en sortir. Dans la survie, rien n’est plus important qu’une main tendue. C’est ce qui maintient le lien, ce qui nous permet de puiser dans les ressources les plus cachées à soi-même. C’est la lumière dans les ténèbres qui peut prendre la forme d’un officier allemand ou d’un fonctionnaire dans un ministère. Là aussi l’écho avec Dostoievski est puissant,

Le film entrecroise récit personnel et documents d’archives avec simplicité et efficacité et nous parle de ce fait, en creux pour ainsi dire, de la place de l’ individu face à l’histoire en train de se faire. De ces forces qui le dépassent et dont il est pourtant le moteur. Dans un conflit, peut-on /doit-on parler de choix ? À partir de quel moment ? Jusqu’à quel point ?...
On le voit, ce film qu’on pourrait penser à première vue modeste, voire mineur, porte en lui bien des niveaux de lecture et aborde, souvent indirectement, nombre de questions essentielles.
Mais Svetlana Geier a aussi connu dans la deuxième partie de sa vie la paix et la reconstruction, de l’Europe et peut-être avant tout de soi. La vie a continué, le fil des générations est là pour en attester et la traduction est sans doute le secret qui lui a permit de ne pas renier cette part première d’elle même qui s’exprime par et dans la langue maternelle, le russe sans pour autant renoncer au terreau de l’exil dans lequel elle s’est ancrée, l’allemand. Il est extrêmement rare, surtout dans la traduction littéraire des très grands textes comme c’est le cas ici, de traduire dans une autre langue que sa langue maternelle. Là aussi Svetlana Geier s’avère une exception. Mais son histoire personnelle a sans doute rendu cette prouesse non seulement possible, mais probablement nécessaire. Une manière de rendre compte, de ne pas trahir, de contribuer à cette connaissance de l’autre qui nous permet en retour de mieux se connaître soi-même. On comprend que la rencontre avec Svetlana Geier ait marqué le réalisateur. Et en tant que spectateur, nous lui sommes gré de nous avoir fait découvrir une personnalité aussi lumineuse avec autant de respect et de délicatesse, sans rhétorique ni artifice. Comme un parfum subtil, une musique aérienne ou un tissu vaporeux.

J.S.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane SCOLERI.

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