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UN WEEK END AVEC ...INGMAR BERGMAN, VENDREDI 05 DÉCEMBRE : SONATE D’AUTOMNE ET SAMEDI 06 DÉCEMBRE : PERSONA

20h30 Cinéma Mercury - 16 place Garibaldi - Nice
Publié le dimanche 30 novembre 2014.


Ingmar Bergman

Sonate d’Automne : Suède - 1978 - 1h37 - vostf

Persona : Suède - 1966 - 1h24 - vostf

Charlotte Andergast, pianiste de renommée internationale, est invitée par sa fille Eva à lui rendre visite après 7 ans pendant lesquels les deux femmes ne se sont pas vues. Eva vit avec son mari Viktor, un pasteur, et sa jeune soeur Helena, handicapée mentale, qui avait été placée par Charlotte dans une institution. Bientôt, les tensions refont surface entre cette fille, Eva, et sa mère qui l’a toujours négligée, pour aboutir à une nuit de conversation...

Article de Josiane Scoleri : Ingmar Bergman ou « le métier de vivre »

“Je voudrais dire qu’il n’existe pas d’art qui ait plus en commun avec le cinéma que la musique. Les deux affectent directement nos émotions, sans passer par l’intellect. Et un film est essentiellement un rythme, inspiration et expiration dans une séquence continue".

Bergman a souvent comparé l’écriture d’un scénario à celle d’une partition et s’il prend le soin d’intituler ce film Sonate d’automne, il va de soi que le titre, loin d’être une convention, fait sens lui aussi. Et en effet, ces deux mots a priori si anodins portent en eux toute la structure du film, ses couleurs et sa musique. Une sonate dite « classique » se définit par deux thèmes ayant chacun sa tonalité propre, avec éventuellement quelques variations, et trois mouvements intitulés généralement : exposition, développement et ré-exposition suivis de la coda. Deux thèmes, Eva, la fille et Charlotte la mère (Liv Ulmann et Ingrid Bergman, absolument magnifiques l’une et l’autre) avec chacune une vibration et un registre qui leur appartiennent en propre. Les variations sont introduites par les personnages secondaires du film, Viktor, le mari d’Eva et Helena, la deuxième fille de Charlotte. Les trois mouvements sont dotés tout aussi clairement de leur propre rythme : l’invitation -allegro ma non troppo- les retrouvailles -andante sostenuto con basso ostinato- et la séparation -melancolico sentito. La coda est bien présente et n’ a rien de formel elle non plus. Elle signe avec la dernière scène de la lettre qui fait écho à la première une ouverture totalement inattendue. La boucle n’est donc pas bouclée, après tant de noirceur. L’espoir est permis, malgré tout. Le scénario chez Bergman relève de la construction mathématique, autre parenté avec la musique... Le second mot du titre est tout aussi prégnant. C’est l’automne, à l’intérieur comme à l’extérieur. Le film baigne dans une lumière un peu filtrée de fin d’après-midi. Les costumes et les décors se déploient dans un camaïeu de rouge, orange, marron et vert sombre qui font écho aux arbres et aux feuilles mortes de l’allée. Les éclairages de Sven Nykvist, le chef opérateur de la plupart des films de Bergman, sont en symbiose constante avec l’atmosphère du film et les émotions qui défilent sur le visage des actrices. Mais c’est aussi l’automne dans la vie des personnages. Charlotte, malgré son appétit de vivre et sa belle prestance est au bord de la vieillesse. Eva, la quarantaine à peine est pourtant déjà un peu éteinte, que ce soit dans ses tenues, sa coiffure, ses lunettes ou les mouvements du corps. Bergman filme ses actrices au plus près, dans un grand nombre de gros plans qui sont autant de révélations des sentiments qui les traversent. Les visages s’animent aussi sensibles que l’eau d’un lac sous l’effet du vent, du plus léger friselis à la plus violente tempête. Seul le cinéma permet une telle intimité. Car nous sommes bien au cœur du cœur de l’intime. Et c’est toute la quête inlassable, jamais satisfaite d’Ingmar Bergman. La scène du prélude de Chopin en est un bel exemple. L’interprétation qu’en font tour à tour Eva et Charlotte suffit à mettre à jour les traits essentiels de la personnalité de l’une et de l’autre. Eva, sensible, tremblante d’insécurité, en mal de reconnaissance. Charlotte toute entière dans la maîtrise, insaisissable derrière sa carapace. La caméra cadre avant tout celle qui écoute. D’abord Charlotte, surprise, gênée et pourtant furtivement émue par la maladresse de sa fille. Puis Eva, hypnotisée dans la proximité insupportable de sa mère, les deux visages comme débordants du cadre. Les plans sont suffisamment longs pour qui nous en absorbions les moindres détails. La confrontation est sans appel. Ce moment-clé du film va effectivement servir de prélude à la grande scène centrale qui fera remonter l’histoire et revivre le passé dans les larmes, les cris et la fureur. Le film qui jusqu’ici usait des dialogues avec parcimonie va basculer dans le texte avec une virulence ouverte. Eva raconte comment elle a appris tout enfant au contact de sa mère que les mots servent souvent à dire le contraire de ce qu’on pense ou qu’on ressent, qu’il ne faut donc pas s’y fier et observer plutôt le langage du corps, les expressions du visage, les gestes incontrôlés. Elle crie sa frustration. Pour la première fois sans doute, elle trouve la force de ne pas se taire devant cette mère toujours absente, tellement inaccessible. Et surtout, elle réussit à se faire entendre d’elle. Charlotte va très certainement pour la première fois, elle aussi, révéler le manque de contact physique avec sa propre mère, l’absence du corps si cruelle et le refuge dans la musique, justement en dehors du langage des hommes. L’affrontement est terrible. Le film oscille entre la nécessité absolue des mots et leur réalité trompeuse, le gouffre du silence et celui de la fuite. Ces tensions se retrouvent poussées à l’extrême dans le corps torturé et la parole quasi-incompréhensible d’Helena. Ses brèves apparitions dans le film sont des moments paroxystiques qui mettent le spectateur à rude épreuve, mais surtout qui agissent comme un précipité de culpabilité, d’une densité insoutenable pour Charlotte. Incapable d’être mère face à ses deux filles, Charlotte ne peut que partir. Et là, après 90 minutes d’un crescendo sans faille qui superpose le noir au noir malgré les couleurs chaudes de l’automne, Bergman trouve le moyen de renverser complètement la donne dans les quelques minutes finales. Après cette nuit catharsistique, Eva n’est plus une petite fille. Elle s’assume en tant qu’adulte, Elle ne donne plus sa lettre à lire à son mari pour avoir son approbation comme dans la première scène du film. Elle la lui tend pour le tenir informé. Elle pourra désormais faire face à Charlotte en égale. Le passé est enfin hors d’état de nuire. Ce qui nous amène à conclure que contre toute attente, Sonate d’automne est une film optimiste. Qui l’eut dit !

Sonate d’Automne reste le dernier rôle au cinéma d’Ingrid Bergman, laquelle souffrait déjà du cancer qui l’emporterait quelques années plus tard, en 1982. Son tout dernier rôle, toutefois, fut celui de Golda Meir dans la fiction TV A Woman Called Golda. Coïncidence troublante, elle joue dans le film de Bergman une pianiste, précisément le rôle qu’elle tenait dans son premier film américain, Envol vers le bonheur, où elle fut découverte par David O. Selznick.

Le tournage se déroula à l’automne 1977 en Norvège, et non en Suède, Ingmar Bergman se trouvant alors en conflit avec les autorités fiscales de son pays. Le film fut alors financé par la société de production du cinéaste, Personafilm, en Allemagne de l’Ouest et tourné dans de vieux studios à l’extérieur d’Oslo. Sonate d’Automne marque la rencontre (tardive) de deux monstres sacrés du cinéma, Ingrid et Ingmar Bergman. Une collaboration qui ne fut pas toujours évidente, d’après les témoignages, l’actrice ne partageant pas le regard de son réalisateur sur son personnage, et s’opposant frontalement à ce dernier. Elle eut cependant d’autres rapports houleux avec de grands réalisateurs, tel que Rosselini pour Stromboli. Ingmar Bergman et Ingrid Bergman n’ont aucun lien de parenté, de même qu’Ingrid Bergman, la femme du réalisateur, qui porte le même nom que l’actrice suédoise sans pour autant avoir de lien quelconque avec cette dernière. La confusion fut souvent faite et amena même des rumeurs quant aux relations qu’entretenaient la comédienne et le cinéaste. L’actrice Jaime Bergman n’est pas, quant à elle, reliée à l’un ou à l’autre, étant Américaine et non Suédoise. Sonate d’automne est le premier film que tourna Ingrid Bergman dans sa langue natale, le Suédois, en onze ans. Sa carrière américaine l’amena à tourner majoritairement en anglais, mais elle parlait aussi couramment français, allemand et italien.

C’est en réalité l’Estonienne Käbi Laretei, concertiste reconnue et ex-femme d’Ingmar Bergman, que l’on peut entendre jouer du piano dans le film et non Ingrid Bergman, qui ne fait que mimer les mouvements sur les touches du clavier sur les plans larges. Laretei la double également pour les plans rapprochés sur les mains. Le roman d’Adam Kretzinsky que lit Charlotte (Ingrid Bergman) dans l’une des scènes, contient, sur sa quatrième de couverture, une image représentant Ingmar Bergman.

Liv Ullmann, l’un des amours naturels de Bergman, fut reconnue grâce aux rôles qu’elle tint dans les films de ce dernier. Avant et après Sonate d’automne, elle joua dans neuf autres longs-métrages du réalisateur, dont Cris et chuchotements, Persona, Saraband et Une Passion. Elle aimait à se vanter d’être la seule actrice ayant tourné avec Bergman à ne pas être tombée amoureuse de son ami Erland Josephson, qui tient par ailleurs un rôle dans Sonate d’automne. Gunnar Björnstrand est l’acteur qui est le plus apparu dans les films de Bergman. On le retrouve dans pas moins de 23 longs-métrages. Ses capacités de jeu ont amené Bergman à lui donner des rôles toujours plus disparates. S’il joue un honnête écuyer dans Le Septième Sceau, son personnage, Paul, dans Sonate d’automne n’a rien de comparable.

Prédestiné à être utilisé dans ce film, Chopin aima une fille, Solange, qui ne supportait pas le poids du talent de sa mère, George Sand. De même dans le film de Bergman, Eva est écrasée par la présence de sa mère Charlotte. C’est alors le prélude No.2 en la mineur, du dit Chopin, qui est joué par la mère et par la fille au piano. On entend par ailleurs plusieurs morceaux de Bach et de Händel dans la bande originale du film.

D’après Liv Ullmann, les tensions engrangées entre les deux géants Bergman éclatèrent lors d’une des scènes finales, lorsque la fille avoue justement toute sa colère à sa mère. La séquence fut l’occasion d’une violente dispute entre l’actrice et le cinéaste, à cause de la vision de la mère qu’avait celle-ci, totalement opposée à celle qu’en avait le réalisateur. L’actrice ne se séparait jamais d’une boîte contenant quelques bouts de pellicule, photographiés et filmés par son père durant son enfance et son adolescence. On l’y voit même en train de jouer du piano, justement comme son personnage dans le film. Bergman proposa à la star suédoise de prolonger la vie de ces petits bouts de plastique, pour ne pas que les souvenirs s’effacent avec les images imprimées dessus. "Et ce n’est pas sans difficultés que je pus obtenir de l’emprunter pour faire une nouvelle copie de cette bande usée qui menaçait de s’effacer", écrira-t-il plus tard.

Sonate d’Automne a remporté le Golden Globe 1979 du Meilleur film étranger, et fut nommé aux Oscars dans deux catégories : Meilleure actrice (Ingrid Bergman) et Meilleur scénario original (Ingmar Bergman).

Les relations d’une actrice soudain frappée de mutisme et de son infirmière bavarde. Un processus d’osmose des personnalités va contribuer à la guérison de la comédienne, mais renforcera peut-être la solitude de l’infirmière.

Article de Bruno Precioso :

« Peut-être le plus beau film de l’auteur, à coup sûr le plus complexe, le plus limpide et le plus mystérieux, le plus séduisant et le plus inquiétant. » écrivait Jean Baroncelli dans le Monde en 1967 à la sortie de Persona. Curieux film qui peut s’ouvrir à tant de paradoxes et de superlatifs simultanément… et assez loin pourrait-on croire de l’aboutissement de la carrière d’Ingmar Bergman qui ne meurt que 40 ans plus tard, le même jour que Michelangelo Antonioni, et tourne jusqu’en 2003 (Sarabande). Ce serait oublier que la carrière de Bergman est d’une rare abondance, et qu’il est déjà en 1966 un cinéaste accompli et dès longtemps reconnu. A la sortie de Persona Bergman a 43 ans, 26 films derrière lui et une carrière cinématographique récompensée dans les festivals depuis dix ans. Après des études écourtées par sa passion du théâtre, il débute à 21 ans en 1939, à l’opéra d’abord, au poste d’assistant mise en scène. Sa démobilisation pendant la guerre lui offre de retrouver le théâtre, et à l’issue d’une mise en scène en 1941 il est approché par la Svensk Filmindustri qui l’engage comme scénariste. L’emploi est trop limité pour le satisfaire, mais il y apprend beaucoup et reçoit les premiers conseils qui lui permettent de réaliser son premier long-métrage, Crise (1945). Dans le même temps il prend la direction d’un théâtre municipal et désormais mène de front les deux carrières – qui se nourrissent mutuellement. Les films des années 1940 (Musique dans les ténèbres, La prison…) sont très marqués par l’esthétique française de Renoir ou Carné, et diversement reçus par la critique suédoise ; Monika a été peu goûté à sa sortie en 1953, et Bergman est plus reconnu pour son travail théâtral (nommé directeur à Malmö en 1952) voire radiophonique (adaptations théâtrales, commençant en 1951 avec La Ville). A partir de 1946, il tourne un film par an, monte des pièces du répertoire ou les siennes qu’il écrit dans le même temps, dirige son théâtre et multiplie les adaptations pour la radio… jusqu’à une hospitalisation pour surmenage fin 1956. A la sortie de son hospitalisation, il a écrit deux scénarios qu’il tourne sans attendre. Ce sera le Septième sceau et les Fraises sauvages (1957) qui consacrent le cinéaste à Cannes et Berlin (Ours d’or 1957). Suivent chaque année des oeuvres-clefs parfois mal reçues à leur sortie suédoise (La Source, 1960) mais qui hissent Ingmar Bergman au rang de géant du cinéma (A travers le miroir, Les communiants mais surtout Le Silence, 1963). Parvenu à ce qui semble le sommet de sa carrière, Bergman est nommé directeur du Théâtre Dramatique Royal de Stockholm. Cette fonction accapare beaucoup le réalisateur qui s’éloigne un temps des tournages. C’est pour retrouver le contact avec le cinéma qu’il accepte de répondre à une commande de la Svensk Filmindustri en 1965.

Le gros plan : visage et dévisagéification (G. Deleuze)

Pour ce faire, Bergman retourne sur l’île de Fårö qui l’avait fortement marqué lors du tournage d’ A travers le miroir (1961) et qui restera un pivot de son univers artistique – et personnel puisqu’il y mourra le 30 juillet 2007. Le nouveau projet du cinéaste est un gros budget dont le sujet annonce une entrée dans le fantastique : Les cannibales. Comme ce fut le cas dix ans plus tôt, c’est sa santé qui impose au cinéaste un tournant dans sa carrière. Une double pneumonie cloue Bergman dans un lit d’hôpital pour 6 mois, délirant et halluciné. Les scènes entrevues alors, infirmières dans les couloirs, lumières filtrant par les fenêtres, photos d’actrices dans des journaux apportés lui inspirent un nouveau projet. Il renonce aux Cannibales, mais écrit en quinze jours un film de structure proche et dont les liens avec le projet en gestation sont nombreux. Il faudra attendre deux ans pour voir porté à l’écran Les cannibales, remaniés pour devenir L’Heure du loup. En lieu et place, Bergman tourne en 70 jours Persona. Toujours avec la même équipe technique (Nykvist, Ryghe), le réalisateur tourne un film absolument novateur, qui constitue comme un noeud dans l’oeuvre du réalisateur : certaines scènes sont reprises directement de films antérieurs, en auto-citation (le Silence), certaines répliques mêmes sont identiques dans la bouche de personnages portant le nom de la première occurrence (le Visage). De même les influences personnelles de Bergman sont exposées d’emblée et assumées, formulées en un bloc d’images initiales très ramassé qui dévoile les coulisses du cinéma comme pour donner accès avec honnêteté aux artifices de la création. Ce poème d’images en ouverture entrechoque oeuvres identifiables et bribes de l’inconscient collectif du cinéma comme le surgissement d’une scène originelle surgie du rêve ou de l’état hypnotique du convalescent Bergman. Le film devait s’appeler Cinématographie. C’est le réalisateur et producteur Kenne Fant qui déconseille un titre jugé peu « vendeur » à Bergman, lequel choisit alors Persona. Ce faisant il dévoile ses intentions ; moins la référence au masque porté par l’acteur du théâtre antique et lui servant de porte-voix – qui est évidemment présente puisque Bergman est indissociablement lié au théâtre et que le film ne fait pas mystère de s’en nourrir – qu’une clef de lecture livrée sans manières comme pour présupposer son dépassement. Ni métaphore, ni habile allusion, mais une introduction explicite pour chacun, visible et pourtant incompréhensible. La persona dans le vocabulaire psychanalytique auquel le cinéaste en appelle est un concept très précis de la théorie de Carl Jung. Il s’agit de la part de la personnalité qui incarne la relation sociale, qui définit un personnage social construit aux yeux d’autrui, et à laquelle le Moi (ou l’âme) risque de se confondre au point d’entraîner une perte de personnalité. Etre au monde, être face à l’autre et dans les yeux de l’autre, telles sont les problématiques qui parcourent l’oeuvre bergmanienne des Communiants à A travers le miroir, pour se résoudre dans cette scène inaugurale de Persona.

« Comment décrire un spectacle d’une si grande beauté ? » (J.L. Godard)

Gilles Deleuze envisage Persona comme un film structural beaucoup plus que comme un film psychologique, rien n’étant expliqué, moins encore sûr, de la relation des deux femmes. « C’est le gros plan de Bergman qui a poussé le visage jusqu’à ces régions où le principe d’individuation cesse de régner. Ils ne se confondent pas parce qu’ils se ressemblent, mais parce qu’ils ont perdu l’individuation. » écrit-il dans L’image-mouvement. Et de fait le travail de forme dans Persona n’est pas surtout mis au service de l’ambiguïté d’une narration (confusion, fusion ou transfert ?) mais bien plutôt la substance même du film. Pour reprendre un mot fameux du cinéaste suédois, « mes films sont l’explication de mes images. » De fait l’enjeu de Persona est avant tout sa matière formelle, expérimentation pour elle-même, où le spectacle au présent du traitement du plan et du cadre parle seul. La matérialité de la pellicule, la fiction du cinéma dévoilée par ses coulisses sont intégrées à ce qui se joue sur l’écran pour dire bien au-delà d’une histoire qu’il appartiendrait au « spectateur actif » de retisser. Pour cela sans doute, l’aventure de Persona marque pour ainsi dire une cassure chez Bergman, qui renonce après la sortie du film à la direction du Théâtre Dramatique Royal de Suède. Bien sûr il faudra encore 15 ans au cinéaste avant de renoncer au cinéma, après avoir livré Fanny et Alexandre, son testament cinématographique, en 1982. Mais Bergman a pleinement conscience de l’importance de l’aventure lorsqu’il déclare : « Je sens aujourd’hui que dans Persona je suis arrivé aussi loin que je peux aller. Et que j’ai touché là, en toute liberté, à des secrets sans mots que seul le cinéma peut découvrir. »

Au printemps 1965, Ingmar Bergman est admis à l’hôpital de Sophiahemmet, suite à une double pneumonie. C’est alors qu’il se met à rédiger les prémices du scénario de son vingt-septième film, Persona"principalement pour garder la main dans le processus créatif." Le réalisateur confiera que ce film lui aura sauvé la vie : "Si je n’avais pas trouvé la force de faire ce film-là, j’aurai sans doute été un homme fini." Huit ans auparavant, le cinéaste suédois avait déjà entamé les premières lignes d’une de ses intrigues, Les Fraises sauvages, depuis un lit d’hôpital.

C’est sur son lit d’hôpital qu’Ingmar Bergman feuillette des journaux et tombe sur deux photos de Bibi Andersson et Liv Ullmann. "Il avait été stupéfait par l’étrange lumière sur nos visages", déclarera plus tard Liv Ullmann. Le cinéaste avait également regardé des diapositives prises lors du tournage de Kort är sommaren, où les deux actrices se partageaient l’affiche, et avait alors réalisé leur similitude. C’est la septième fois que l’actrice Bibi Andersson tourne sous la direction du réalisateur suédois. En tout, ils collaboreront à dix reprises, de 1955 à 1973.

C’est lors d’une conférence de presse qu’Ingmar Bergman dévoile le titre originel de Persona. Le long-métrage devait s’appeler "Cinématographie", mais lorsque le cinéaste proposa ce titre à Kenne Fant, ce dernier lui rétorqua que c’était un nom terrible. Le réalisateur a donc proposé le titre "Persona", en référence à un terme latin désignant les masques derrière lesquels se dissimulaient les acteurs à l’antiquité : "C’est un titre amusant, un bon titre, un titre approprié. Le film portera sur les masques et les attitudes des gens." En mai 2009, Kenne Fant lèguera le script original du film à la fondation Ingmar Bergman.

Ingmar Bergman tournera six de ses longs-métrages sur l’île de Farö, au milieu de la mer Baltique, dont Persona. La plupart des scènes ont été tournées à Farö, mais le tournage a également eu lieu dans les studios de Filmstaden à compter du 19 juillet 1965. Et si les premiers jours de tournage se sont avérés cauchemardesques, quand l’équipe est arrivée sur l’île, l’atmosphère s’est améliorée et le film a pu progresser en douceur. Le tournage s’achèvera deux mois plus tard, le 15 septembre 1965. Le lendemain de la fin du tournage, le 16 septembre 1965, Ingmar Bergman écrit quelques notes dans son journal de bord. Le réalisateur se met à déprimer de nouveau, noyé dans sa solitude après les retours de Bibi Andersson pour l’Amérique, de Sven Nykvist pour Zurich et de Liv Ullmann pour Oslo. Il démissionnera quelques mois plus tard de son poste de directeur du Royal Dramatic Theatre, qu’il aura dirigé de 1963 à 1966.

C’est sur le tournage de Persona que naît l’histoire d’amour entre Ingmar Bergman, alors âgé de 47 ans, et Liv Ullmann, actrice norvégienne de 25 ans. Une passion tumultueuse qui s’essouFflera au bout de cinq ans, et qui donnera naissance à une petite fille. Devenus amis, le duo collaborera sur de nombreux films du cinéaste suédois, jusqu’à Saraband (2003). En 2012, Dheeraj Akolkar réalise le documentaire Liv & Ingmar, où Liv Ullmann en personne retrace l’histoire hors du commun de ce couple mythique du cinéma.

Avec Persona, Ingmar Bergman débute en quelque sorte une trilogie, un premier volet qui sera suivi par L’Heure du Loup et La Honte. En effet, on peut parler d’une sorte de continuité dans la mesure où les trois longs-métrages ont eu pour lieu de tournage l’île de Farö. Autre dénominateur commun : la présence de l’actrice norvégienne et compagne du réalisateur, Liv Ullmann.

En 2001 sort Mullholland Drive de David Lynch. Beaucoup voient alors une inspiration Bergmanienne dans cette plongée schizophrénique au coeur de la "Cité des Rêves". Deux personnages féminins, une dualité déroutante, la figure de l’actrice handicapée (le mutisme dans Persona, l’amnésie dans Mullholland Drive), une relation nimbée d’érotisme... Mullholland Drive devient le remake du film de Bergman.


Présentation des films et animation des débats avec le public : Josiane Scoleri et Bruno Precioso

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