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DES OISEAUX PETITS ET GRANDS

Vendredi 15 janvier 2010 - 20h 30 - Cinéma Mercury - Nice
Publié le lundi 11 janvier 2010.


UCCELLACCI E UCCELLINI - Film italien de Pier Paolo PASOLINI - 1966 - 1h40 - vostf

Un corbeau qui parle tente d’initier deux voyageurs, un père et son fils, aux choses de la vie. Devant leur ignorance, il leur raconte une histoire authentique qui, dit-il, traite d’oiseaux, petits et gros, bons et méchants, et les transforme en moineau et moinillon.

UCCELLACCI E UCCELLINI

par Josiane Scoleri

« La mort, ce n’est pas ne pas pouvoir communiquer, mais ne plus pouvoir être compris. » Pier Paolo Pasolini

Avec “Ucellacci e uccellini”, Pasolini signe en 1965 le film peut-être le plus atypique de sa filmographie et en même temps un film extrêmement personnel. On retrouve en effet les deux axes qui marqueront toute sa vie : le marxisme et le catholicisme, intimement liés chez le poète- militant par leur puissante charge potentielle contre tous les pouvoirs établis. Il vivra d’ailleurs son engagement en insurgé contre les institutions de l’Église (dont il subira d’incessantes attaques) et du Parti Communiste Italien (dont il sera exclu).

Ici, la grande originalité du film réside très certainement dans sa forme de fable des temps modernes, qui permet au réalisateur d’exprimer dans un même mouvement à la fois la dimension poétique et le contenu politique de son propos.

Avec un coup de maître à la clef : le choix du grand comique napolitain, Toto, dans un des rares rôles où il a pu sortir du personnage prévisible et généralement outrancier auquel il fut cantonné pendant la plus grande partie de sa longue carrière (près de 100 films). Toto, avec sa gueule cassée à la Buster Keaton et sa démarche inspirée de Chaplin nous vient droit du burlesque pour interpréter tout en finesse l’homme quelconque des années soixante, déraciné quelque part dans un entre-deux improbable entre campagne et banlieue, mais aussi un moine mystique du XII siècle, disciple de St François d’Assise. On comprend que la critique de l’époque ait tiqué devant le mélange des genres !

Car enfin, de quoi nous parle Pasolini dans ce film ? Après une brève présentation des deux personnages qui reste d’ailleurs plutôt énigmatique mais qui plante le décor (friche urbaine, dialecte, localisation approximative dans le temps « avant la mort de Togliatti »), Toto et Ninetto rencontrent un corbeau qui parle et surtout qui s’exprime dans un italien choisi et plutôt raffiné. Ninetto l’appelle « Signore » (Monsieur) et Toto « Dottore » (terme qui fait figure dans la culture populaire italienne d’appellation générique marquant le respect devant un personnage plus ou moins intellectuel et qui, du coup, est souvent à prendre au second degré).

Le corbeau commence par raconter son histoire d’oiseaux, gros et petits, – ce qui nous vaut une histoire dans l’histoire quasi surréaliste -, mais s’avère vite tenir le discours de l’intellectuel de gauche de l’époque, certes engagé mais surtout désabusé, en pleine crise existentielle et idéologique. Il finira par lasser nos deux compères et du coup… finira mal. Comment ne pas y voir un double de l’artiste lui-même, incompris, rejeté par ceux-là même auxquels il s’adresse et dont la fin sera véritablement tragique.

Dans son récit, reprenant l’histoire de St François d’Assise parlant aux oiseaux, Pasolini file la métaphore de l’idéalisme et de la lutte des classes, l’utopie de la réconciliation du genre humain. Car il ne suffit pas que les faucons et les moineaux chantent les louanges de Dieu chacun de leur côté, encore faut-il qu’ils vivent dans l’harmonie et le respect au lieu de s’entretuer.... Comment y croire ? Le retour au présent est d’autant plus brutal que non seulement les gros mangent les petits, mais les petits s’entredéchirent et cherchent toujours plus petits qu’eux, histoire de se sentir gros... À ce titre, la scène où un Toto impitoyable dit « biziness iz biziness » est à la fois comique et terrible. Où trouver l’espoir ?

Dans cette troupe d’acteurs ambulants ? Eux qui nous régalent d’un spectacle aussi ancien que le théâtre lui-même, mais surtout du mystère de la naissance, célébrée comme une fête. Le bébé s’appelle certes Benvenuta (Bienvenue) mais la fillette risque quand même d’être abandonnée à la porte de la première église rencontrée sur le chemin... Décidément, l’espoir est bien maigre. Y compris du côté de la sexualité qui court comme un fil rouge de bout en bout du film. Dès le début, Ninetto s’éclipse pour draguer une fille habillée en ange (sic !) et en embrasser une autre (« en civil »). Toto parle à plusieurs reprises de ses18 enfants, Père et fils entonnent ensemble la chanson « Carmé. Carmé », où ils déclarent qu’il leur faut au moins trois femmes, tout cela dans une bonne humeur évidente y compris dans la rencontre à double détente comique avec la prostituée en plein champ. Le plaisir est là - ce qui n’est déjà bien sûr pas si mal- mais il est frustre et sommaire. Les sentiments crient leur absence. Là non plus, il n’y a pas de quoi rêver.

Pourtant, nous rions et nous sourions souvent. Le ton est léger comme la caméra. Pas de grands mouvements. Pour nous dire tout ça, Pasolini préfère en général la caméra fixe ou presque. Son cinéma a beaucoup à voir avec les grands portraitistes de la peinture classique italienne. Il aime à s’attarder sur les visages et être au plus près des acteurs. Ce qui nous donne un cinéma pétrit d’humanité, qui fait la part belle aux acteurs, en leur demandant d’être eux-mêmes. (Pasolini a presque toujours tourné avec des acteurs non professionnels). Dans ce film, le comique de situation, de gestes, de mots vient sans cesse contrebalancer ce qui serait sinon un propos assez noir. Le contraste même entre la figure du corbeau sautillant sur la route et le sérieux de son discours contribue au comique, de même que tous les détails de la bande son (Wagner chez les bourgeois ou l’air de Plaine ma plaine, histoire de rappeler quand même l’Union Soviétique chez les prolos et les intellectuels de gauche) et des décors (les pancartes qui indiquent Istanbul ou Cuba ou encore l’inamovible « propriété privée »). Pasolini en artiste complet ne laisse rien au hasard pour nous emmener dans ce monde en équilibre entre la réalité la plus prosaïque et l’imaginaire le plus débridé où les hommes vont inexorablement leur chemin. Un chemin qui semble d’un côté, tout tracé, dont il leur est pratiquement impossible de s’écarter et en même temps une errance dont ils ignorent à la fois le but et la finalité. Le poète se fait philosophe et nous entraîne sans coup férir sur la voie de la réflexion métaphysique. Nous devenons nous aussi philosophes, loin de l’aridité conventionnelle associée à cette discipline, dans la gaieté et la légèreté. C’est toute la magie du cinéma en action.

Merci Pier Paolo Pasolini.

Josiane Scoleri

Un film, présenté en copie neuve, à ne rater sous aucun prétexte

La séance est précédée d’une présentation et suivie d’un débat avec le public.
Animation : Josiane SCOLERI.

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