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L’HOMME SUR LES QUAIS : Samedi 20 février (solidarité avec Haïti)

Samedi 20 février 2010 - 20h 30 - Cinéma Mercury - Nice
Publié le lundi 15 février 2010.


THE MAN BY THE SHORE - film franco-canadien de Raoul PECK - 1992 - 1h45 - vostf.
Avec Jean-Michel Martial, Jennifer Zubar, Toto Bissainthe.

Soirée spéciale "Solidarité avec Haïti"

Ce film est présenté en partenariat avec le Cercle Méditerranée Caraïbe dans le cadre de leur manifestation Haïti mon amour et suite au terrible tremblement de terre dont ce pays a été victime tout récemment (200 000 morts, plus de 300 000 blessés).
L’intégralité de la recette sera reversée à l’association LES ENFANTS DES RUES au bénéfices des enfants haïtiens
Tarif d’entrée unique : 5 €

CE N’EST QU’UN MAUVAIS RÊVE...

« Ce n’est qu’un mauvais rêve… »

Si seulement… La petite Sarah, huit ans (magnifique Jennifer Zubar) croit-elle à l’affirmation assénée en boucle par sa grand-mère, Camille ? Mais celle-ci, femme debout, digne et courageuse, est-elle elle-même convaincue ? Car ce terrible cauchemar tissé des horreurs de la dictature de François « Papa Doc » Duvalier en ce début des années 60 est hélas ancré dans la pire des réalités.
Raoul Peck, comme tous les Haïtiens âgés de plus de 25 ans – lui est né en 1953 – garde le cauchemar des années Duvalier au cœur. Cœur blessé.
Près de trente ans de dynastie familiale sanguinaire. D’abord le père, François, élu en 1957, réélu « à vie » en 64, défenseur farouche de sa propre idéologie politique et raciale, le Noirisme, confortablement appuyé sur les exactions de sa milice paramilitaire des Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN) plus communément appelés Tontons Macoutes. Cette simple nomination – le macoute est un croque-mitaine du folklore local – indique bien le niveau de terreur ressenti par la population entière à la présence d’hommes tout puissants, libres d’arrêter, torturer, massacrer tout citoyen soupçonné de tiédeur envers le « père de la nation ». Ce père disparaîtra en 1971, non sans avoir fait installer son fils, Jean-Claude « Bébé Doc » sur le trône, lui aussi président à vie à… 19 ans. Il le restera quinze ans avant d’être forcé à l’exil.

Ce sont cependant aux premières années de Duvalier père, autrement dit à l’instauration de la dictature, que s’intéresse Raoul Peck. Un tel sujet – tragique, authentique et encore très frais dans les mémoires au moment où le film est tourné – menaçait le film de se transformer en brûlot exacerbé, frappé d’un sceau désir de vengeance où les stéréotypes et les clichés se seraient bousculés dans un trop-plein émotionnel. Ce n’est pas le moindre mérite de Raoul Peck d’avoir su éviter pour son troisième film ce piège dans lequel tout réalisateur moyen aurait sombré. Certes, brûlot il y a. Mais c’est un feu maîtrisé, entretenu comme à distance. A l’image de cette caméra qui montre tout mais avec élégance – le mot put-il choquer dans un tel contexte – glissant et tournant sur et autour des sujets filmés, êtres ou choses. Le temps semble souvent suspendu comme en songe, ce mauvais rêve évoqué par cette si admirable grand-mère. Temps éclaté aussi, et recomposé dans un désordre de bulles mémorielles flottant autour de Sarah devenue adulte et penchée sur son enfance.

« Jeter, c’est oublier. Ramasser, se souvenir. »

La séquence générique inaugurale donne le ton formel du film. Un plan fixe en extérieur tout d’abord accompagné d’une chanson à peine esquissée sur le souvenir, puis un lent mouvement de caméra à la grue en plan-séquence. Passant à l’intérieur, derrière des volets clos, la caméra continue à se déplacer lentement, presque en apesanteur. Un portrait, les jambes noires d’une petite fille à la robe blanche immaculée qui passent devant nous, une bande dessinée un peu déchirée et ouverte abandonnée sur le parquet (Tintin ?), des vieux exemplaires de Paris Match se prélassant sur un lit et le reflet de Sarah, chantonnant, dans le miroir de la penderie, brossant les cheveux de sa poupée… La caméra poursuit sa ronde majestueuse, collant désormais au corps de l’enfant, révélant de nouveaux objets, dégageant un étrange sentiment de quiétude mêlé à une profonde nostalgie. Ce début de film est magnifique et tendre. La séquence qui suit, enchaînée, nous fera basculer de l’autre côté, celui de la violence, de l’horreur, celui des Tontons Macoutes. La petite fille et les tontons, tel aurait pu s’intituler ce film en forme de conte noir – sans mauvais jeu de mots.

L’aspect visuel est la grande force de L’Homme sur les Quais, faisant bien plus que rattraper les quelques faiblesses dans l’écriture des dialogues, justement parfois trop écrits. Raoul Peck compose son film à coup de petites touches, maniant parfois l’ellipse, mettant en valeur les sons notamment dans l’utilisation du hors-champ (convoi militaire invisible passant dans la rue, détonations des armes à feu, etc.). La quasi absence de la musique autre que diégétique ajoute une atmosphère pesante, lourde de menaces. Le réalisateur filme à hauteur de petite fille. Peu d’indications ou d’explications précises sont apportées mais les éléments sont là, dans le cadre ou juste derrière, qui doivent permettre au spectateur de comprendre et recomposer le puzzle des souvenirs. Ces rebelles qui ont débarqué, sont arrêtés et exécutés, sont-ils là – on ne les voit pas – pour rappeler les massacres de Thiotte (juin 64, 600 hommes, femmes et enfants exécutés) ou celui, prolongé, d’août à octobre de la même année des Vêpres Jérémiennes dont on ne sait combien de centaines de victimes mulâtres ont péri, après tortures, aux mains trop expertes des Tontons Macoutes ? Peu importe, à vrai dire, tous les massacres se ressemblent et s’assemblent dans la mémoire.

Le mystère du film de Raoul Peck réside dans la poésie qu’il dégage. Rien ou si peu s’y prête pourtant. Elle naît du dénuement de la réalisation, de sa pudeur, de la lenteur de ses travellings déjà évoqués. Une sorte de fusion entre le dépouillement de Ozu et la fluidité de Mizoguchi. Les deux personnages féminins centraux, la grand-mère et sa petite-fille, dégagent elles aussi une forte charge poétique, bien que différente l’une de l’autre. A Camille, interprétée avec classe par Toto Bissainthe, grande actrice de théâtre et chanteuse – elle est considérée comme la Miriam Makeba haïtienne -, disparue l’année suivant le film, révoltée mais en total contrôle, inflexible et charismatique, répond Sarah dont le visage pétille d’intelligence, d’espièglerie et d’insolence. Mais les grands yeux de la petite fille sont toujours grands ouverts. Ce sont eux qui, plus tard, permettront à une Sarah adulte de se souvenir. La petite fille voudrait comprendre mais il y a tant de questions et si peu de réponses. En plein cauchemar, elle rêve qu’on la presse d’une interrogation : « Qui est ton père ? » Elle ne sait que répondre à satiété : « Je ne sais pas ». Jusqu’au cri, aux pleurs, au réveil. Mais même éveillée, elle n’en saura pas plus. Le temps de l’enfance est d’abord celui de la confusion, puis de la découverte, de la compréhension. Sarah recueille les pièces du puzzle qu’elle ne sait encore assembler. Le temps viendra.
Sarah nous rappelle d’une certaine façon sa petite cousine espagnole Ana du Cria Cuervos de Carlos Saura (1974) œuvre magnifique où une petite fille faisait elle aussi l’apprentissage de la dictature, quoique de façon plus métaphorique. La manière de filmer de Raoul Peck n’est d’ailleurs pas si éloignée de celle de son aîné espagnol.

Face à ces deux êtres liées par quelque chose de plus fort que le sang, se dresse Janvier, chef local des Tontons Macoutes. Le Mal borné, insensible, le mal fonctionnarisé. Raoul Peck refuse de plonger dans les psychés de ses personnages. Aucune approche psychologique, que des faits bruts et brutaux.
Pourquoi Janvier est-il si mauvais, si haineux ? On ne le saura pas. Lui-même se prétend gentil et il y croit sans doute, ce qui est bien le plus horrible. L’Homme sur les Quais ne se prend pas pour un film à thèse mais pour un témoignage sur l’une des plus terribles périodes de l’histoire haïtienne qui n’en a par ailleurs guère connu d’heureuse et c’est là un euphémisme.

Philippe Serve

La séance est précédée d’une présentation et suivie d’un débat avec le public.
Animation : Philippe SERVE.

Notez que CSF s’astreint cette saison à commencer ses séances à l’heure ! Veillez donc à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h 30 précises...

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