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Mardi 23 février : L’ETAT DES CHOSES (Festival CSF 2010)

Mardi 23 février 2010 - 20h 30 - Cinéma Mercury - Nice
Publié le mardi 23 février 2010.


Un cinéaste épris de liberté et d’expérimentation

Le film que nous présentons à l’occasion de ce festival est l’œuvre d’un réalisateur jeune mais déjà aguerri : en 1982, Wim Wenders a 38 ans, et 10 films à son actif. L’Etat des choses constitue comme une charnière dans l’œuvre de Wenders, après Alice dans les villes et l’Ami américain (77), mais avant Paris Texas, qui lui vaut une Palme d’Or à Cannes en 84 et une notoriété mondiale, et bien sûr Les Ailes du désir (87).

Etant entré en 1968 à la Hochschule für Film und Fernsehen de Munich (son 1er film, de fin d’études : Summer of the city, sort en 1970), Wim Wenders s’est formé dans une époque éprise de liberté – notamment créatrice, qui n’excluait nullement le travail collectif. Dès 1971, il était à l’origine de la création, avec d’autres jeunes cinéastes allemands, du Filmverlag der Autoren (coopérative d’artistes réalisant et produisant eux-mêmes leurs œuvres). Il y travailla avec Fassbinder, Herzog, Straub... En 1974, l’expérience autogérée se révélant insuffisante, Wim Wenders fonda sa propre société de production, la « Wim Wenders Produktion ». Il y entama une collaboration au long cours avec l’écrivain Peter Handke, souvent présent à ses côtés (Les Ailes du désir…), et resta toujours très attentif à la littérature dans son travail.
Wim Wenders appartient donc en ce début des années 1980 à un groupe d’intellectuels et d’artistes européens autant qu’allemands, investis dans la réflexion sur l’art et insérés dans les questions idéologiques en cours. Le cinéaste pour autant aborde ces problématiques depuis une perspective artistique et poétique plutôt que réellement politique. La question de la liberté d’action et d’expérimentation de l’artiste est un pivot Les choix de Wim Wenders attestent de cette liberté : le rôle de Dennis est interprété par un ami de longue date qui n’avait jamais tourné en tant qu’acteur. Quant à Patrick Bauchau, le réalisateur, il avait abandonné la carrière cinématographique pour devenir charpentier lorsque Wenders le contacta pour jouer le réalisateur du remake Les survivants, dans L’Etat des choses.

L’expérience hollywoodienne (1977-1982) : l’état du cinéma

Dans ces dispositions, l’invitation de Francis Ford Coppola en 1977 pour tourner un film sur l’auteur de romans policiers Dashiell Hammett débouche sur l’un des pires traumatismes cinématographiques de Wim Wenders. Les conflits à propos du scénario et de la distribution, retardent la sortie d’Hammett jusqu’en 1982. Dans le même temps, Wenders réalise Lightning Over Water (1980), documentaire filmant les derniers mois du réalisateur Nicholas Ray, atteint d’un cancer. C’est cette période particulièrement difficile sur le plan professionnel, mais aussi émotionnel qui donne naissance à L’Etat des choses, en 1982. L’état des choses, ou plutôt l’état du cinéma selon les mots même de Wim Wenders.
« Ma première idée lorsque j’ai pensé à ce titre en 1972 visait un film purement ‘‘phénoménologique’’, descriptif. Etat des choses dans un sens littéral, donc. Lorsqu’en 1982 j’ai eu du temps pour repenser à ce titre qui avait vécu avec moi tout ce temps, c’est le système très fermé du cinéma hollywoodien qui m’est revenu – aussi parce que je venais de vivre une mauvaise expérience au contact de Hollywood. Il est impossible de prendre le moindre recul à l’intérieur de ce système, tant qu’on y exerce. »

Le film assume la tension extrême, éprouvée par Wim Wenders depuis 1977, entre cinéma hollywoodien et cinéma européen. C’est le sens de la phrase empruntée à Murnau : « Je ne suis nulle part chez moi ».
A l’origine de sa difficulté à sortir de cet entre-deux culturel et idéologique : la structure particulière du cinéma hollywoodien que Wenders qualifie «  d’industrie fossile ». Dans plusieurs interviews qui éclairent le film, il évoque le pouvoir des agents et des avocats, des hommes d’argent à ses yeux le plus important ; les producteurs constituent un second échelon répercutant aux réalisateurs les exigences des financiers ; les scénaristes sont décrits comme des alliés objectifs des producteurs, cherchant à satisfaire les critères des financiers pour obtenir d’être intégrés comme salariés dans les studios. Au bout du système, les réalisateurs sont tiraillés entre leur désir artistique et les contraintes froides qui les brident.
Ce regard extrêmement pessimiste que porte Wim Wenders sur son passage par Hollywood vaut, pense-t-il, pour le cinéma entier étant considérée la puissance des studios nord-américains. L’Etat des choses prend donc la forme d’un dessillement des yeux, d’une soudaine lucidité éclairant d’un jour morbide l’art dans lequel Wim Wenders a choisi de s’exprimer. Situation d’autant plus insupportable qu’elle est pour lui le fruit d’un lâche renoncement des professions du cinéma, en particulier des scénaristes renonçant à leurs droits d’artistes sur leur propre création, acceptant subordination et impuissance.

Plaidoyer pour une histoire

Parallèlement à cette vision très noire du monde du cinéma et comme pour lui faire contrepoint, Wim Wenders produit un film éminemment esthétique, où la beauté s’impose alors comme une forme de résistance.
Le choix du noir et blanc, magnifié par l’admirable photographie de Henri Alekan, place d’emblée le film dans une logique de distanciation car, comme l’affirme Wim Wenders, « le grand cinéma laisse l’homme libre de prendre ses distances avec le spectacle qui se joue sur l’écran, comme le chien pourrait se libérer de sa laisse. » La beauté des images, l’élégance de la caméra, une véritable liberté dans le cadrage qui cherche à élargir l’écran comme pour retrouver l’ampleur du western, ce langage de libération s’accompagne de citations véritables. L’Etat des choses est probablement l’un des films les plus riches en reprises, clins d’œil, références empruntés au monde cinématographique. Le sujet même du film l’exigeait dans une certaine mesure. On retrouve des citations, visuelles ou textuelles, de la plupart des grands cinéastes qui ont marqué Wenders : Fritz Lang, Murnau, Nicholas Ray, John Ford… La plupart sont d’ailleurs volontairement explicites, voire comiques parfois. Les réalisateurs Sam Fuller et Robert Kramer jouent d’ailleurs l’assistant réalisateur et le technicien. Le dialogue est permanent avec d’autres cinématographies ; on pense à Truffaut, à Rohmer – dont La collectionneuse avait d’ailleurs permis à Wim Wenders de repérer l’acteur auquel il attribua le rôle de Friedrich, Patrick Bauchau.

Le film est donc une vaste méditation sur le sens de l’expérience cinématographique, ce que devrait être un film et ce sur quoi il se fonde. L’état des choses est autant une réflexion sur la « vie en cinéma » pendant le tournage pour tous ceux qui écrivent, réalisent, jouent un film, que la question – qui reste irrésolue dans le film – de la narration d’une histoire. Si la recherche d’un sujet, la volonté de raconter ou de re-raconter une histoire est au cœur du rôle que s’attribue Friedrich, c’est que la narration est nécessaire aux yeux de Wim Wenders pour que « quelque chose se joue », qu’il y ait enjeu dans le film et ouverture des possibles.
L’Etat des choses est bien une méditation sur la situation et le devenir du cinéma, tant sur le fond que sur la forme ; mais loin d’être une spéculation abstraite et désincarnée, il s’agit pour Wenders d’une urgence viscérale aux enjeux immédiats. D’une question de vie et de mort.

Bruno Precioso

La séance est précédée d’une présentation et suivie d’un débat avec le public.
Animation : Brunio PRECIOSO.

Notez que CSF s’astreint cette saison à commencer ses séances à l’heure !
Veillez donc à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h 30 précises...

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats : La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents, chômeurs).
Pass Festival pour 4 films :20 € (non adhérents), 16 € (adhérents)

Adhésion : 20 € pour un an (365 jours) - 15 € pour les étudiants. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
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