Accueil du site - Séances-débats

Vendredi 11 février : LE VISAGE D’UN AUTRE (Festival CSF 2011)

20h30- Cinéma Mercury - Nice
Publié le samedi 29 janvier 2011.


Tanin no kao

Hiroshi TESHIGAHARA

Japon - 1966 - 2h04 - vostf

Réalisation : Hiroshi Teshigahara
Scénario : Kôbô Abe
Montage : Yoshi Sugihara
Photo : Hiroshi Segawa
Musique originale : Tôru Takemitsu
Avec : Tatsuya Nakadai (M.Okuyama), Mikijirô Hira (le Psychiatre), Kyôko Kishida (l’Infirmière), Eiji Okada (le Patron), Miki Irie (la fille balafrée), Machiko Kyô (Mme Okuyama).
Distributeur : Carlotta
Diffusion sur support DVD, aucune copie 35mm n’existant en France. Merci à Carlotta pour nous avoir cédé les droits.

Le nom d’Hiroshi Teshigahara ne parle pas beaucoup au grand public français. Très peu, en dehors des aficionados du cinéma japonais, ont vu son premier film, le passionnant Le Traquenard (Otoshiana, 1962) ou son troisième, ce Visage d’un autre (1966). Seul, l’extraordinaire La Femme des Sables (Suna no onna, 1964, Prix spécial du Jury à Cannes), ressorti récemment en salle et présenté par CSF en janvier 2008, également diffusé à la télévision, a rencontré un large public. Et que dire de ses quatre autres films, fictions ou documentaires, quasiment pas diffusés chez nous ? Hélas pour ses œuvres tardives comme Antonio Gaudi, superbe documentaire (1984) ou son avant-dernier film, Rikyu (1989) sur le grand Maître de thé.

Teshigahara arrive dans la foulée de la Nouvelle Vague cinématographique japonaise, celle des Imamura, Oshima et autres Yoshida, mais n’y appartient pas vraiment, tournant à l’époque des documentaires. Néanmoins, par son style formel et ses thèmes, comment ne pas le lier à ce mouvement qui a bouleversé le cinéma nippon ? Il est à rapprocher en cela d’un autre grand formaliste et avant-gardiste ayant débuté en même temps, Masahiro Shinoda (Fleur pâle/Kawaita hana, 64, L’Assassin/Ansatsu, 64, avant son formidable Double suicide à Amijima/Shinjû : Ten no amijima, 69).
En fait, Teshigahara a débuté comme peintre puis élargi son approche artistique en formant un groupe d’avant-garde avec le romancier Kôbô Abe et le compositeur Toru Takemitsu, trio que l’on retrouve associé au triptyque que constituent Le Traquenard, La Femmes des Sables et Le Visage d’un Autre. Enraciné dans sa culture nationale - il reprend en 1960 la direction de la célèbre école d’Ikebana de ses parents - mais fasciné par l’Art occidental, il ne cesse de travailler à leur fusion, les appréhendant comme des yin et yang faits pour s’enrichir l’un l’autre.

Le Visage d’un autre se situe dans la continuité de ses deux premiers films, aussi bien au niveau de certains thèmes que sur le plan de l’inventivité formelle. Mais il va encore beaucoup plus loin. Si les spectateurs japonais apprécient, la critique nationale rejette assez violemment l’œuvre après le triomphe de La Femme des Sables : "Chic extravagant… hermétique… Plus grotesque qu’émotionnel…" Quarante-cinq ans plus tard, le film reste aussi extraordinaire qu’au premier jour. Tournant entièrement autour du thème de l’identité de l’homme face à la société mais aussi et surtout face à lui-même, l’œuvre fascine. L’homme se réduit-il à son visage ? Sa personnalité dépend-t-elle de ses traits physiques et des regards qui lui sont portés, à commencer par le sien ? Le masque - visage d’un autre - peut-il, en plongeant cet homme dans l’anonymat, modifier en profondeur son rapport aux autres et réciproquement ? Entraîne-t-il un changement irréversible de destinée ? Quelques questions parmi d’autres posées par le film. Les réflexions philosophiques, morales et politiques entraînées par une telle situation sont débattues et débouchent sur un constat plutôt pessimiste. A ces problématiques viennent se greffer - le mot n’est ici pas choisi au hasard - d’autres interrogations sur la nature même de la Liberté, des contraintes sociales, de la fidélité et donc de l’amour. La Liberté, par exemple, réside-t-elle au creux de la solitude ? Peut-on et doit-on s’extraire de la vie sociétale afin d’être enfin soi-même ? Lorsque Okuyama, visage bandé, remarque : "Il ne faut pas se fier aux apparences", son épouse (jouée par l’une des plus grandes actrices japonaises, Machiko Kyo) rétorque : "Mais nous devons les respecter." Les apparences, autrement dit le masque que la société, la famille, le couple nous imposent. Changeons de masque et qui nous (re)connaîtra ? Kôbô Abe a été très influencé dans son travail d’écrivain par les écrits de Kafka, l’Existentialisme, la littérature russe et il ne pouvait trouver meilleur partenaire qu’Hiroshi Teshigahara pour mettre toutes ses idées en images.

Le cinéaste base sa réalisation sur l’utilisation des échos, des répétitions, doublant littéralement certains plans, voire certaines séquences dans le but d’incarner à l’écran la dualité qui se propose à Okuyama. On peut recenser ainsi une bonne quinzaine de "retours" à l’image, parfois à l’identique mais le plus souvent adornés de subtils décalages. L’histoire principale elle-même - celle d’Okuyama dont le visage gravement brûlé est recouvert d’un masque parfait fabriqué par son psychiatre - est décalquée en histoire secondaire, mettant en scène une très belle jeune fille dont la moitié droit du visage est défiguré pour avoir été exposé aux radiations atomiques de Nagasaki et pour qui ses cheveux jouent le rôle de masque. Okuyama, précisons-le d’entrée, est incarné avec majesté par Tatsuya Nakadai, star du cinéma japonais, inoubliable interprète de chefs d’œuvres comme La Condition de l’homme et Hara-Kiri, deux films de Masaki Kobayashi ou, plus tard, de Kagemusha et Ran d’Akira Kurosawa).

Si cette construction, aussi intelligente qu’élaborée, enchante l’esprit du spectateur, que dire de l’aspect formel, visuel, esthétique du film ? _ Teshigahara multiplie à l’infini toutes les possibilités que lui offre le cinéma. Sa formation de peintre mais aussi sa très grande culture universelle, lui permettent de créer des univers visuels invraisemblables et toujours terriblement excitants. D’abord les décors, à commencer par celui du cabinet du docteur, véritable installation de verre, de miroirs, de transparence, avec un œil sur les œuvres de Marcel Duchamp, très populaires au japon dès les années 30. Cette espace blanc arrive à paraitre aussi vide et nue que trop plein d’objets, dominé par la - double et symbolique - présence de l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci aux membres dédoublés eux aussi. Les étagères de verre, toujours au premier plan, créent un écran translucide entre le spectateur et les protagonistes. Des énormes clous ou des tâches noires accusent encore un peu plus cet effet de distanciation et d’étrangeté. L’appartement d’Okuyawa, lui, est sombre et chargé de tapisseries surchargées de motifs. A l’inverse du cabinet médical, la profondeur de champ y est réduite au minimum, accentuant le sentiment de claustrophobie et d’étouffement conjugal.

Comme dans ses deux œuvres précédentes, Teshigahara use à merveille des alternances visuelles et autres effets formels : gros, voire très gros plans et plans d’ensemble isolant un personnage dans son environnement, modification de format d’une séquence sur l’autre lors du premier passage de l’histoire principale à la secondaire, changement de focale à l’intérieur du même plan, fausses pistes par l’utilisation de miroirs entraînant une perte de repère spatial, division du même champ en divers niveaux de réalité - un plan superbe de porte qui s’entrouvre à l’arrière plan sur une chevelure se mouvant comme des algues -, déformation surréaliste de l’image, métaphores (rayon lumineux intense pour le péril nucléaire suivi d’une vision de carcasse faisant penser aux tableaux de Bacon), une plongée vertigineuses sur une cage d’escalier, une autre sur un chantier et dans lequel le bandage d’Okuyawa participe à la construction géométrique du plan, effets réussis de zoom, tournage aux rayons X, vues de type documentaire, balayage, surimpressions, gros plans fixes directement inspirés de La Jetée (Chris Marker, 1962), la liste pourrait être sans fin…

La photo et la musique, dues au même tandem que dans Le Traquenard et La Femme des Sables - Hiroshi Segawa et Tôru Takemitsu - se fondent à la perfection. La partition musicale, à laquelle vient se coller une utilisation des sons très pointue, est particulièrement remarquable. Discrètement anxiogène, elle participe pleinement à faire de ce Visage d’un autre ce qu’il demeurera encore très longtemps à n’en pas douter : un pur chef d’œuvre.

Philippe Serve


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe SERVE.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h 30 précises...

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents, chômeurs).
Passe Festival : 4 films = 20€

Adhésion : 20 € pour un an (365 jours) - 15 € pour les étudiants. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club :
http://cinemasansfrontieres.free.fr
Contact mail CSF : cinemasansfrontieres@free.fr
Contact téléphonique CSF : 04 93 52 31 29 / 06 64 88 58 15
Contact téléphonique Mercury : 08 92 68 81 06 / 04 93 55 37 81.